Le folklore français regorge lui aussi de figures effrayantes
Fées, ondines, loups et le diable en personne : les récits populaires contés dans les maisons françaises depuis des siècles n'ont rien à envier aux autres folklores.
Mélusine échappe à Raymond (ou Raymondin) sous la forme d’un dragon. Dans la deuxième moitié de cette illustration, Mélusine allaite ses fils (Roman de Mélusine de Couldrette, 1401, BNF).
Dans toutes les cultures, des histoires surnaturelles ont été contées à travers les âges. Au 19e siècle, William John Thoms, ethnologue américain, a regroupé cette culture orale sous le terme de folklore. Il le définit comme « l’ensemble des traditions, contes, chansons et coutumes d’un peuple ».
Autre que les vampires et les loups-garous, des créatures aujourd’hui méconnues faisaient l’objet de ces contes et légendes que l'on racontait dans les habitations françaises. Selon Roger Mandhuy, historien et folkloriste français, auteur de Les fantômes de l’Histoire de France, trois croyances populaires revenaient souvent.
Il y a d’abord le diable et son cortège, une légende retranscrite au 19e siècle par Paul Sébillot, ou Sibillot selon les sources. Ce dernier décrit un cortège infernal dirigé par le diable allant à la chasse accompagné de sorcières, des damnés et des meneurs de loups. Ce cortège bruyant traversait les campagnes pendant les nuits d’orage ou aux périodes de fêtes comme la Toussaint. « On raconte que ceux qui se retrouvaient sur son chemin risquaient d’être emportés ou frappés par une malédiction », souligne Roger Mandhuy.
Le loup revient aussi souvent, sous différentes formes dans le folklore français. Il en est l’une des figures les plus célèbres. Nous pouvons le retrouver dans les contes populaires de Perrault avec le Petit Chaperon Rouge ou dans les Fables de la Fontaine. Jusqu’au 19e siècle, il est perçu comme un prédateur. À l’époque, les histoires de loups attaquant des enfants ou des troupeaux étaient légion. Dans ces récits populaires, le loup a aussi un côté diabolique, qui n’est pas toujours lié au diable, contrairement aux loups-garous. Au Moyen Âge, on croyait que les loups-garous étaient des êtres humains ayant transgressé une loi divine ou humaine. La transformation était alors un châtiment pour punir des actes graves.
Le Petit Chaperon Rouge, deuxième des illustrations de Gustave Doré figurant dans une édition de 1867 intitulée Les Contes de Perrault.
La troisième croyance, plus méconnue, sont les fées et leurs cousines. « Nos ancêtres, qui vénéraient les sources de la nature, pensaient qu’elles étaient l’incarnation d’un lieu, comme un cours d’eau, une forêt, un menhir », raconte Roger Mandhuy. Les esprits de l’eau et des rivières par exemple, était appelées des ondines. Tandis que les esprits des fonds marins étaient appelés des sirènes. La fée la plus connue est Loreley, une figure du folklore allemand, associé à la région du Rhin. En France, nous avons aussi une fée célèbre, Mélusine, connue dans le Poitou, en Alsace, en Lorraine et dans le Dauphiné, jusqu’à la frontière avec l’Allemagne.
Sa légende raconte qu’elle et ses deux sœurs, ont été punies par leur mère, la fée Pressine, pour avoir offensé leur père. Chaque samedi, les jambes de Mélusine se couvraient d’écailles pour prendre l’aspect d’une queue de serpent. Si quiconque la surprenait dans cet état, elle ne pourrait plus jamais reprendre forme humaine.
Quand Mélusine épousa Raimondin, le neveu du compte de Poitiers, elle lui fit promettre de ne jamais chercher à la voir le samedi. Mais rongé par la curiosité, ce dernier finit par découvrir son secret. Mélusine maudit alors les châteaux qu’elle avait fait construire pour son mari. Depuis, elle hanterait les lieux.
LES ORIGINES DU FOLKLORE FRANCAIS
« Tous ces personnages ont laissé des traces dans notre histoire, notre géographie, notre sol », affirme Roger Mandhuy. De nombreux lieux ont pris leurs noms. En effet, nombre de « jardins des fées », « pierres du loup », ou encore « pierres du diable » sont recensés en France.
L’origine de ces contes et légendes « vient très certainement des peurs et angoisses que nous trouvons dans les tréfonds de l’âme humaine » explique Mandhuy. « L’homme est au départ, un animal peu outillé pour survivre. Nous sommes dépourvus de griffes ou de canines et avons une peau tendre. Ainsi, très naturellement, nous sommes craintifs et avons peur de beaucoup de choses comme la nuit, la souffrance et la mort ».
L’Homme a tenté de matérialiser ses peurs à travers des croyances, des créatures, des dieux terribles à qui on sacrifiait des offrandes pour éviter ou apaiser leur colère. L’humain a en parallèle aussi cherché à créer une protection qui pouvait prendre différentes formes. Nous en trouvons des traces dans la religion par exemple, avec les saints protecteurs, et dans les légendes comme celle de l’arbre à clous ou l’arbre à loques qui protégeaient les voyageurs qui s'aventuraient dans des contrées dangereuses.
UN BUT PRÉVENTIF OU ÉDUCATIF
Ces contes et légendes avaient une visée préventive ou éducative. Pour Bernard Sergent, chercheur au CNRS et président de la société de mythologie française, il est important de distinguer « les légendes qui sont souvent des récits qui se veulent historiques des contes qui sont des fantaisies que l’on raconte ».
Mélusine, par Albert Robida (1848-1926), illustrateur français, caricaturiste et auteur de science fiction.
Les contes, même s’ils ne relatent pas des faits historiques, « ont généralement un but moralisateur », relève Roger Mandhuy. Par exemple, « le conte du petit chaperon rouge nous apprend à nous méfier du loup dans la forêt. D’autres mettent en garde contre la fainéantise, la luxure, l’alcoolisme, etc. ». Pour le folkloriste, « les contes sont comme un code de bonne conduite. On pourrait s’amuser à reprendre les dix commandements et trouver le conte qui leur correspond ».
Les légendes en revanche ont été la source de pages sanglantes de notre histoire. Par exemple, « des femmes ont cherché à atteindre l’immortalité en s’inspirant du mythe du vampire », explique le folkloriste. « Elles ont bu du sang d'animaux, ont été accusées de sorcellerie et ont fini sur le bûcher ». À Besançon, aussi, « des hommes ont été brûlés parce que l’on pensait qu’ils avaient le pouvoir de se transformer en loups », ajoute-t-il.
« Il est possible d’établir certains liens entre les légendes et des évènements historiques ou naturels » continue Roger Mandhuy. Des maladies comme la peste noire ont été attribuées à la colère divine ou à des sorcières. La grêle était attribuée aux tempestaires, des femmes capables de grimper sur un nuage, de le diriger vers une paroisse, et de faire tomber la pluie ou la grêle. Les sorcières aussi pouvaient être tenues pour responsables d’inondations.
UN FOLKLORE MENACÉ
Certaines de ces croyances ont d’ailleurs traversé les frontières. La légende de la chasse menée par le diable et son cortège était commune aux pays scandinaves, à la Grande-Bretagne, la Finlande, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Slovénie, la Hongrie, la Pologne, les Alpes, et jusqu’en Méditerranée. « Ces croyances étaient transmises par les voyageurs, les marchands, ceux qui partaient en pèlerinage », affirme Mandhuy.
La France et toutes ses régions étaient à l’époque riches de leur folklore. « Mais avec la disparition des veillées, [un moment de partage entre le repas du soir et l’heure du coucher, ndlr], la transmission de cette culture orale s’est amenuisée », explique Bernard Sergent. Pour Roger Mandhuy, « le folklore a été impacté par l’urbanisation et par les innovations technologiques comme l’électricité ». Il ajoute : « les derniers vecteurs de transmission ont disparu entre les deux guerres ».
À présent, « le folklore n’a survécu que dans les régions les plus reculées de France comme la Bretagne ou les Ardennes », affirme Bernard Sergent. Cela s’explique par le fait que « ces régions ont une forte identité empreinte de chansons, de contes et de lieux incarnant ces légendes » abonde Roger Mandhuy.
Le folkloriste note que « nous avons tendance à plus nous souvenir des légendes qui font peur ». Les histoires de loups, de morts-vivants durant Halloween, les sorcières, sont des éléments qui sont restés dans notre culture. En revanche, « ce qui fait sourire, ce qui plaît, ce que l’on racontait gaiement, aujourd’hui nous n’y croyons plus », regrette-il.