Toutankhamon : comment ce pharaon est devenu une icône populaire
Après la découverte du tombeau du célèbre pharaon en 1922, la fièvre Toutankhamon s’est emparée aussi bien d’Hollywood que du monde de la mode et de la publicité.
Le visage enfantin de Toutankhamon accueille les visiteurs du Musée égyptien du Caire. Ce buste grandeur nature, qui a peut-être servi de mannequin pour exposer des robes et des parures royales, est l’un des 5 000 trésors découverts dans le tombeau du jeune pharaon en train d’être restaurés et préparés pour être présentés dans le Grand Musée égyptien qui doit ouvrir en fin d’année. Une équipe internationale de spécialistes travaillant dans le laboratoire de conservation du musée restaure en ce moment même une multitude d’artefacts provenant de toute l’Égypte.
Le monde n’avait jamais rien vu de tel. Fin 1922, l’archéologue britannique Howard Carter découvrit dans la Vallée des Rois un tombeau royal intact depuis 3 300 ans et rempli de bijoux clinquants. L’occupant, un pharaon adolescent dénommé Toutânkhamon Nebkhéperourê, devint aussitôt la coqueluche des médias.
Les journaux ne se lassaient ni de lui, ni de sa richesse sidérante que symbolise parfaitement son masque funéraire en or massif à « l’expression triste mais tranquille », selon les mots d’Howard Carter. En recueillant et en cataloguant avec le plus grand soin les artefacts dorés de son tombeau, les archéologues donnèrent au jeune pharaon, mort à 19 ans après un règne des plus banals, une seconde vie dans laquelle il allait devenir superstar et même prescripteur de modes.
Sur cette photo colorisée prise en octobre 1925, Howard Carter inspecte le cercueil enfoui de Toutankhamon.
« Il n’y a qu’un seul sujet de conversation, un seul sujet qui anime l’esprit des hommes », écrivait un correspondant du New York Times à Louxor en février 1923. « Où que l’on soit, il est impossible d’échapper au nom de Tout-Ânkh-Amon. On le crie dans les rues, on le murmure dans les hôtels, tandis que les échoppes locales vendent des œuvres à l’effigie de Toutânkhamon, des couvre-chefs Toutânkhamon, des curiosités Toutânkhamon, des photographies de Toutânkhamon, et demain sans doute de véritables artefacts ayant appartenu à Toutânkhamon. Aujourd’hui, chaque hôtel à Louxor a son je-ne-sais-quoi d’inspiré par Toutânkhamon. »
La fièvre Toutankhamon venait de faire son apparition.
EFFET DE MODE FULGURANT
Si mode et Égypte ancienne ne semblent pas rimer au premier abord, après la découverte de Toutankhamon, ces deux domaines se percutèrent de plein fouet.
Palmiers, lotus en fleur et sphinx se mirent à orner les textiles utilisés pour fabriquer les robes et les manteaux. De faux hiéroglyphes encerclaient la partie basse des gants au niveau du poignet. Sacs à main, parapluies et étuis à cigarettes furent égyptianisés. Les garçonnes portaient des serre-tête ornés de cobras et des bracelets en forme de serpent qui remontaient sur une partie du bras.
La princesse Marie-José de Belgique parée de somptueux vêtements d’inspiration égyptienne à l’occasion d’un bal donné sur le thème de Toutankhamon à Bruxelles en 1926.
Il existait même des couvre-chefs inspirés par Toutankhamon, des robes du soir aux manches lacérées et à la ceinture ample ou encore des cannes surmontées d’une tête d’ibis.
Les joailliers haut de gamme fabriquaient des parures inspirées par l’Égypte ancienne reprenant souvent les motifs des plus beaux atours de Toutankhamon. Cartier, pourvoyeur de produits de luxe pour les monarchies modernes, produisit de somptueuses pièces, parmi lesquelles une étincelante broche en or en forme de scarabée ailé, sertie de diamants, de saphirs, d’émeraudes et d’onyx et une horloge de nacre aux reflets chatoyants représentant l’entrée d’un temple antique.
Les fabricants de cosmétiques s’emparèrent également de cette mode, associant leurs produits aux exotiques rois et reines d’Égypte. Libérées des carcans de la période victorienne, où le maquillage était associé aux travailleuses du sexe, les femmes se maquillaient les yeux avec du kohl. On conservait sa poudre pour le visage dans des poudriers au style égyptien. Les coupes au carré inspirées de l’Égypte ancienne faisaient également fureur.
Cette affiche publicitaire française datant de 1924 faisant l’article de cigarettes est l’œuvre de l’artiste espagnol Gaspar Camps, qui fut grandement influencé par le peintre tchèque Alphonse Mucha.
EFFET ARTISTIQUE
Cette découverte inspira également les acteurs, les auteurs et les artistes, parfois de manière excentrique. Dans les années 1920, le magicien Charles Joseph Carter dit « Carter le Grand », promettait de dévoiler « au monde moderne les secrets du sphinx et les merveilles du tombeau de l’ancien pharaon Toutankhamon ».
L’écrivain Richard Goyne fit du jeune Toutankhamon le protagoniste d’un livre intitulé The Kiss of Pharaoh: The Love Story of Tut-Ankh-Amen, paru en 1923. Dans celui-ci, le pharaon, qui lutte pour accéder au trône, doit surmonter de nombreux obstacles et retrouver sa femme qui a disparu.
La chanson « Old King Tut » sortit en 1923 à une époque où la jeunesse et le beau monde s’étaient épris d’une nouvelle danse populaire, le Charleston. « Dans les sables du désert, l’orchestre du vieux roi Tutty / Jouait pendant que les jeunes filles chaloupaient », disent les paroles enjouées de cette chanson.
Au cinéma, le film La Momie, sorti en 1932, avec Boris Karloff dans le rôle-titre, met en scène un archéologue, une momie enrubannée de lin et une malédiction. L’intrigue fut inspirée par la série de morts étranges qui se produisirent après la découverte du tombeau de Toutankhamon, et notamment par celle de Lord Carnarvon, mécène aristocratique des fouilles, survenue moins de cinq mois après la découverte.
EMBELLISSEMENTS ARCHITECTURAUX
La découverte du tombeau de Toutankhamon renouvela l’inspiration des architectes formés dans le style d’antan. Les motifs égyptiens connurent une vogue particulière dans les lieux à l’architecture marquée. On pense notamment aux portes des ascenseurs du Chrysler Building, à New York.
Mais c’est dans le royaume des cinémas que la mode égyptienne prit réellement son envol. Tout commença avec le Grauman’s Egyptian Theatre d’Hollywood Boulevard, à Los Angeles, qui arborait à l’origine un style espagnol. Avec la découverte du tombeau de Toutankhamon, cette stylique évolua et on para le cinéma de splendeurs pharaoniques comprenant faux hiéroglyphes, scarabées et colonnes en forme de papyrus pour encadrer le grand écran.
Le cinéma avait ouvert au mois d’octobre 1922, cinq semaines avant que Howard Carter ne découvre le tombeau de Toutankhamon. Cette synchronisation fortuite avec la naissance d’Hollywood allait inspirer, avant même que la décennie ne se termine, la construction de près de cinquante cinémas au style égyptien dans l’ensemble du pays et faire fleurir les références à ce style dans de nombreux autres.
À Hollywood, le Grauman’s Egyptian Theatre a ouvert quelques semaines avant la découverte du tombeau de Toutankhamon en 1922.
ARGUMENT PUBLICITAIRE
La publicité s’empara également de cette manie pour Toutankhamon et associa l’exotisme du nom des pharaons et des reines d’Égypte à des produits, quand bien même ceux-ci n’avaient aucun lien avec le pays. Dans tel journal, une publicité plaçait par exemple une machine à écrire à côté d’une pyramide pour mettre sur un pied d’égalité la longévité du produit vendu et celle de ce monument de l’histoire humaine. On insérait des cartes à l’effigie du jeune pharaon dans les paquets de cigarettes. On vendait des citrons de la marque « King Tut Brand » pour les rendre plus désirables que les citrons ne portant pas le nom du jeune souverain.
TOUTANKHAMON POUR TOUJOURS
Après cet enthousiasme initial, la fièvre ToutAnkhamon n’est pas retombée. En 1976, le pharaon et ses trésors voyagèrent aux États-Unis pour une exposition itinérante présentée dans six villes intitulée « Les trésors de Toutankhamon ». Les musées battirent leurs records d’affluence, on faisait la queue pendant des heures pour y accéder. Huit millions de visiteurs purent s’ébahir devant ses attributs. Ainsi, la Toutankhamon-mania reprit de plus belle.
Cet article est en partie extrait de King Tut and the Golden Age of the Pharaohs d’Ann R. Williams. Copyright ©2018 National Geographic Partners, LLC.