Qu'est-ce qu'une "bonne" sorcière de fiction ?

La journaliste et autrice américaine Margot Adler écrit que « le pouvoir même du mot ["sorcière"] réside dans son imprécision. Il ne s'agit pas simplement d'un mot, mais d'un archétype, d'un ensemble d'images puissantes ». L'incertitude quant à la nature exacte d'une sorcière fait partie de l'attrait - et de la terreur - que cet archétype suscite. Il s'agit d'un terme très large, dont les références remontent à des milliers d'années, de la mythologie grecque à la Bible jusqu'à Agatha All Along, série récemment sortie sur Disney+. Parmi les nombreuses sorcières décrites dans des mythes, les folklores ou au cinéma, nous vous proposons de nous attarder sur deux grandes figures de sorcières, qui continuent de nourrir notre imaginaire.

UNE MÉGÈRE SUR UN BALAI

À la quatrième place de la liste des plus grands méchants de l'histoire du cinéma établie par l'American Film Institute, on trouve la Méchante sorcière de l'Ouest, antagoniste de l'héroïne du Magicien d'Oz. Près d'un siècle après la sortie du film en 1939, elle parvient toujours à faire trembler les spectateurs de tous âges.

Qu'est-ce qui fait d'elle non seulement une méchante emblématique, mais aussi une sorcière emblématique ? Son physique coïncide avec la représentation classique d'une sorcière. Un chapeau noir ? Mais bien sûr, et un chapeau d'une hauteur vertigineuse et très pointu. Elle a un nez crochu, un menton pointu avec des verrues, des doigts incroyablement longs se terminant par des ongles pointus. Originalité : sa peau est d'un vert éclatant.

La menace monte encore au rythme de ses ricanements mauvais : « Je t'aurai ma belle, et ton petit chien aussi ». Elle fait suivre sa sentence d'une pirouette spectaculaire avant de disparaître dans un nuage de fumée rouge sang et une explosion.

Elle ne se contente pas de monter sur un balai. Elle traîne un épais panache de fumée noire et, avec un rire exagéré émanant de ses lèvres vertes, la Méchante sorcière de l'Ouest utilise son balai pour tracer « Rends-toi Dorothy » dans le ciel.

Au moment où la horde de singes volants, l'un des plus terrifiants groupes d'animaux jamais mis en scène, s'envole pour exécuter ses ordres et enlever Dorothy et son chien Toto, la présence de la méchante sorcière de l'Ouest a tant cristallisé le stéréotype de la sorcière que les sorcières malfaisantes du petit et du grand écran qui suivront ne pourront que lui rendre hommage.

Pourtant, cette incarnation de méchante sorcière a failli ne jamais exister. Inspiré par la très glamour Méchante Reine de Blanche-Neige dans le film de Walt Disney sorti l'année précédente, le producteur du film, Mervyn LeRoy, voulait que la Méchante Sorcière soit tout aussi splendide et pensait à une élégante actrice du nom de Gale Sondergaard pour l'incarner. Celle-ci a décliné le rôle et Margaret Hamilton a été choisie le 10 octobre 1938, trois jours seulement avant le début du tournage. De la peinture verte a été généreusement appliquée sur son visage et ses mains, et la plus iconique des sorcières était née. 

UNE TRANSFORMATION TERRIFIANTE

« Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? » demande impérieusement la Reine dans Blanche-Neige.

À ce stade du film d'animation Blanche-Neige et les sept nains (1937), qui s'inspire d'un conte de fées des frères Grimm et intègre des éléments de l'ancienne reine-sorcière nordique Grimhildr, la reine est obsédée par sa quête de beauté absolue. Mais à la fin de l'histoire, elle aura pris la forme d'une vieille femme, étroitement identifiée à l'image des sorcières, dont la métamorphose elle-même a marqué l'histoire du cinéma.

« Je me rendrai moi-même au logis des nains et déguisée de telle façon que personne ne pourra soupçonner qui je suis » : ainsi commence le monologue de la transformation de la Reine. Puis ses longs doigts effilés se posent sur une étagère. Elle saisit un grimoire, qu'elle ouvre pour transformer sa « beauté en laideur », qui comprend les ingrédients suivants : « De la poussière de momie, pour me vieillir. Pour changer ma tenue, du noir de nuit... Pour vieillir ma voix, un caquet de vieille mégère. Pour blanchir mes cheveux, un hurlement d'effroi ».

Ses traits magnifiques, ses sourcils arqués, ses lèvres rouge sang et ses cils incroyablement longs, se reflètent dans son calice tandis qu'elle boit le breuvage qu'elle vient de préparer. En quelques instants, elle se transforme de façon terrifiante sous nos yeux. « Elle est bien plus intéressante que Blanche-Neige », estime Maria Tatar, folkloriste émérite qui enseigne à Harvard. « Elle est la belle reine, sage et rusée, et devient la mégère qui n'est vue que par Blanche-Neige et qui est marginalisée. »

Ses cheveux noir corbeau se transforment d'abord en un enchevêtrement de mèches grises et sans forme. Ses doigts s'amincissent jusqu'à ne faire paraître que les os. Tandis que le port autrefois fier de la Méchante Reine s'affaisse et se replie en un dos voûté, elle grince : « Ma voix ! Ma voix ! » Enfin, son bras tombe, dévoilant son visage pour révéler d'abord des yeux globuleux, puis un nez crochu et arqué, des lèvres si minces qu'on les devine à peine, masquant avec difficulté une bouche béante et édentée.

FEMMES VIEILLISSANTES ET PUISSANTES

La Méchante Reine a non seulement créé une incarnation emblématique du stéréotype de la sorcière occidentale, mais a également mis à nu la tension de la dichotomie entre la jeune beauté et la mégère en l'espace de quelques secondes. Des légions de jeunes spectateurs ont eu cette vision de la sorcière ancrée dans leur esprit. Elle incarne à la fois la séductrice que l'on sait maléfique mais à laquelle il est impossible de résister et la vieille femme apparemment inoffensive qui a pour projet de nous tuer.

Cette scène ne se contente pas de refléter des angoisses culturelles - sur le vieillissement, les femmes maléfiques et à quel point les apparences peuvent être trompeuses - elle les crée. Sous l'une ou l'autre forme, ou sous une forme que nous ne pouvons même pas encore imaginer, il s'agit d'une femme dont nous savons que nous devons avoir peur. C'est une révélation qui fait froid dans le dos. Comme Blanche-Neige, il se peut que nous ne soyons pas capables de reconnaître les personnes que nous devrions redouter.