Antigone, celle qui a dit non
Fille de Jocaste et du roi Œdipe, Antigone enfreint l'interdit du roi de Thèbes en accomplissant les rites funéraires destinés à son frère, le paria Polynice. Elle incarne à jamais la femme fidèle préférant mourir plutôt que de manquer à son devoir.

Œdipe et Antigone, tableau de Charles Jalabert, huile sur toile, 1842, musée des beaux-arts de Marseille.
Œdipe est le fils de Laïos, roi de Thèbes, qui, informé par un oracle que, s'il a un fils, celui-ci tuera son père et épousera sa mère, n'entretient aucune relation intime avec son épouse, Jocaste. Une seule fois, en état d'ébriété, il couche avec elle. Œdipe, le fils né de cette brève nuit d'amour, est immédiatement éloigné du royaume.
FATAL CARREFOUR
Abandonné sur le mont Cithéron, il est recueilli par des bergers et amené à Polybe, roi de Corinthe, qui l'élève comme un fils. Devenu adulte, Œdipe consulte l'oracle de Delphes, qui lui conseille de ne pas revenir dans sa patrie, de crainte que la prophétie, qu'elle lui révèle, ne s'accomplisse. Croyant que Polybe et Mérope, son épouse, sont ses vrais parents, il s'éloigne de Corinthe. Sur la route, à un carrefour, il se querelle avec un viel homme et le tue, ignorant qu'il s'agit de Laïos. En continuant son chemin, Œdipe arrive à Thèbes, où il affronte victorieusement la Sphinge qui terrorise la ville. En récompense, il obtient le trône de Thèbes, vacant depuis la mort de Laïos, et épouse la veuve de ce dernier, Jocaste. Ensemble, ils ont deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles, Antigone et Ismène.
Un jour, une épidémie de peste se déclare dans la ville. Pour la conjurer, l'oracle, une nouvelle fois consulté, ordonne d'expulser de la cité le meurtrier de Laïos. Œdipe, au cours de l'enquête qu'il mène pour le découvrir, comprend peu à peu le secret de sa naissance.
Apprenant la vérité, Jocaste, désespérée, se pend. Œdipe se crève les yeux et, accompagné d'Antigone, la seule de ses enfants à lui être restée fidèle, erre sur les routes, puis parvient à Colone, près d'Athènes, où il meurt.
EN MÉMOIRE DE POLYNICE
Rentrée à Thèbes, Antigone assiste, impuissante, à la lutte que se livrent ses frères pour le trône. Étéocle ayant chassé Polynice de la ville, celui-ci revient assiéger la cité à la tête d'une armée. Les deux frères en viennent à s'affronter directement et se tuent mutuellement. Régent du royaume, Cléon, le frère de Jocaste, interdit alors que le corps de Polynice, qu'il considère comme traître à sa patrie, reçoive une sépulture.

Antigone par Sir Frederic Leighton, 1882
Mais Antigone, qui fait prévaloir la loi divine sur les décrets humains, décide de rendre les honneurs funèbres à son frère. Surprise par les gardes du roi, elle est amenée devant Créaon qui la condamne à être emmurée vivante dans le tombeau des Labdacides, ses ancêtres. C'est en tout cas la version donnée par Eschyle dans sa tragédie Les Sept contre Thèbes.
Dans son Antigone, Sophocle donne un autre récit de la mort d'Antigone. En présence de son oncle, elle persiste à justifier son geste et l'accuse de tyrannie. Apprenant sa condamnation à être enterrée vivante, son fiancé Hémon, le fils de Créon, et le devin Tirésias interviennent auprès du roi et parviennent à infléchir la sentence. Mais Antigone, dans son tombeau, s'est déjà pendue avec sa ceinture, ce qui provoque le suicide d'Hémon et de sa mère, Eurydice, qui se tranche la gorge.
Incarnant la voix féminine qui souffre et qui combat face à la voix masculine de Créon qui déploie le discours supposé de la raison et celui des impératifs du pouvoir, Antigone est une héroïne dont la revendication de justice a trouvé un écho à chaque époque dans les œuvres de nombreux écrivains, dramaturges, peintres et compositeurs de musique.
À partir du 16e siècle, la traduction en latin, en italien et en français de la pièce de Sophocle suscite un regain d'intérêt pour le personnage d'Antigone. Jean Racine s'inspire du texte antique pour composer sa première tragédie en vers, La Thébaïde ou Les frères ennemis, créée en 1664 au Palais-Royal. Dans cette œuvre de jeunesse, Antigone n'apparaît pas comme une rebelle : en effet, elle se suicide par amour pour Hémon, mortellement blessé en s'interposant dans le duel entre Étéocle et Polynice. Bien plus tard, Jean Anouilh et Bertold Brecht raconteront à leur tour le destin tragique d'Antigone, propice à de nombreuses réflexions sur la justice et sur la philosophie de l'action humaine.
Ce portrait d'Antigone figure dans le livre National Geographic Les femmes dans les mythologies, de Jean-Baptiste Rendu, paru aux éditions Prisma.
