La baignade dans la Seine : une vieille histoire
Aujourd’hui au cœur de l’actualité, avec la tenue des épreuves aquatiques des Jeux Olympiques de Paris 2024, la baignade dans la Seine n’est pourtant pas une nouveauté. Il y a un siècle, il était tout à fait possible de se baigner dans les eaux du fleuve.
Le 17 août 2023, Paris 2024 organisait une épreuve de triathlon féminin sur la Seine, afin de tester un certain nombre de programmes tels que les opérations sportives, un an avant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Les athlètes traverseront le cœur de Paris, en passant devant quelques-uns des plus beaux monuments de la capitale.
À un mois des épreuves de natation et de triathlon des Jeux Olympiques de Paris 2024, la qualité des eaux de la Seine n’est pas encore jugée suffisante pour y organiser les épreuves. Le 8 avril 2024, l’association non gouvernementale Surfrider faisait part, dans une lettre ouverte, de ses inquiétudes quant à « la qualité de la Seine », mais également des « risques encourus par les athlètes à évoluer dans une eau contaminée ». Les résultats du 21 mars 2024 des prélèvements de l’ONG sur le pont Alexandre III et le pont de l’Alma étaient encore jugés « mauvais », avec une trop forte concentration d’Escherichia coli et d’Entérocoques, deux indicateurs de contamination fécale. L’association concluait alors que « treize de [leurs] prélèvements auraient conduit à une interdiction de baignade et/ou de pratique sportive entre le pont de l’Alma et le pont Alexandre III, en se basant sur le barème référentiel des fédérations. »
Malgré ces inquiétudes, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a réitéré sa volonté de se baigner dans le fleuve, pour attester de l'inocuité de l’eau. Une première date de baignade, annoncée le 23 juin, a été repoussée en raison des élections législatives. La baignade devrait donc avoir lieu « le 15, le 16 ou le 17 juillet, ou la semaine d’après en fonction du temps. Mais avant la cérémonie d’ouverture des Jeux », a indiqué la maire à l’occasion d’une conférence de presse à l’Hôtel de Ville sur les Jeux olympiques et paralympiques.
Si nager dans la Seine paraît encore incertain aujourd’hui, il y a cent ans, il s’agissait pourtant d’une pratique courante.
LES BAINS EN EAUX LIBRES DU 17e SIÈCLE
La mode des bains dans la Seine apparut au milieu du 17ᵉ siècle. À Paris, les baignades eurent principalement lieu le long du quai Sully. Hommes et femmes se trempaient nus, mais séparément, les femmes étant protégées par de grandes toiles tendues. Dès le 18e siècle, la baignade en eaux libres fut régulée. Le 5 juin 1711, une déclaration interdit « à toute personne de se baigner dans le bras d’eau de la rivière de Seine depuis le pont de l’hôtel Dieu, jusqu’au petit pont. » Ces interdictions furent réitérées à plusieurs reprises, en 1724, 1737 et 1738.
À partir de 1783, la baignade libre en Seine dans Paris intra-muros fut interdite pour des raisons de décence. « Dans ce contexte-là, c’était une volonté de contrôle social, plus qu’une question de santé », révèle Agathe Euzen, chercheuse au CNRS, dirigeant la cellule Eau du CNRS et codirigeant le programme national de recherche « OneWater-Eau bien commun ». Pour autant, d’autres raisons furent invoquées pour justifier l’interdiction. En 1726 par exemple, une ordonnance interdit aux porteurs d’eau de puiser l’eau pendant l’été sur certains tronçons spécifiques.
Gravure La pleine eau, de Jean Henri Marlet, 1821. L'œuvre est conservée au musée Carnavalet à Paris.
Dès le début du 20ᵉ siècle, les questions sanitaires relatives à la baignade dans la Seine furent de plus en plus nombreuses. En 1921, des chercheurs du laboratoire du Val-de-Grâce, interrogés par le journal La Liberté, rassuraient les baigneurs, comme l’explique Le Figaro. Ils affirmaient : « il sied seulement d'indiquer aux baigneurs les précautions à prendre pendant et après le bain. Il convient d'abord de fermer la bouche en nageant, afin d'avaler le moins possible du bouillon de culture où l'on prend ses ébats. Il faut ensuite, au sortir du bain, se laver soigneusement la bouche, la figure et les mains avec de l'eau de la ville. Il est, en outre, particulièrement recommandé de se faire vacciner contre la typhoïde. »
Malgré la pollution, plusieurs compétitions sportives furent organisées dans le fleuve, tels que les Jeux Olympiques de 1900, entre les ponts d'Asnières et de Courbevoie, ou encore la première édition de la Coupe de Noël, à hauteur du pont Alexandre III.
DE L’INTERDICTION À LA RÉHABILITATION
Ce n’est qu’à partir de 1923 que la baignade dans la Seine devint officiellement interdite, sous peine d’amende. « Pour autant, il peut y avoir encore des pratiques isolées de baignades sauvages », précise Agathe Euzen. En effet, jusqu’aux années 1960, les pratiques de baignades sauvages dans la Seine et dans la Marne étaient encore très présentes. À Vitry, commune du Val-de-Marne, il était par exemple possible de faire trempette dans la Seine, dans la baignade du Port à l’Anglais. « Dans les années 1930, les maires de Vitry-sur-Seine et d’Ivry-sur-Seine ont décidé d’aménager ce lieu, avec une plage, des cabines pour se changer et une buvette. L’objectif était d’accueillir les baigneurs, et notamment les classes populaires qui habitaient en ville et qui, grâce au train, ont pu en profiter. C’était la sortie du dimanche », résume Agathe Euzen. Mais l'industrialisation des rives et la mise en place de voies rapides le long du fleuve ont progressivement découragé les nageurs les plus intrépides.
En 1988, après plusieurs décennies d’interdiction de baignade, Jacques Chirac, alors maire de Paris, affirma que « dans cinq ans, on pourra à nouveau se baigner dans la Seine. » Il promit même : « je serai le premier à le faire. » Mais cinq ans plus tard, il n’en fit rien.
C’est à l'annonce des Jeux Olympiques de Paris 2024 que le sujet revint sur la table. Une accélération drastique du plan d’assainissement des eaux a été mise en place, à partir du moment où la candidature française a été officialisée. « Les enjeux sanitaires sont importants et la qualité de l'eau de la Seine a été largement améliorée. Dans tout espace de baignade, un suivi de la qualité de l'eau est mis en place pour éviter tout risque pour la santé humaine », explique Agathe Euzen. Trois sites devraient, a priori, être ouverts à la baignade dès 2025. Ils se situent au niveau du port de Grenelle, du bras Marie et de Bercy. « Les plans d'eau surveillés seront délimités par des bouées et un ponton pour y accéder, avec des espaces pour se changer, se doucher et ranger ses affaires sur les quais », a précisé Anne Hidalgo dans un communiqué. Le projet aura totalisé un budget total de 1,4 milliard d’euros.
Si la ville de Paris parvient à relever ce défi de taille, cela permettra à des milliers de baigneurs de profiter à nouveau de la baignade dans les eaux de la Seine, plus d’un siècle après son interdiction.