Les femmes et la révolution française

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De Guillaume Mazeau, maître de conférences, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Publication 14 juil. 2024, 09:40 CEST

« La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » L’article premier de la célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, écrite en 1791 par la non moins fameuse Olympe de Gouges, est aujourd’hui unanimement célébré comme l’un des actes fondateurs de la lutte pour l’égalité des sexes.

Pour certains, rien n’est moins vrai. En proclamant une égalité de façade sans avoir les moyens de l’appliquer, la période révolutionnaire aurait au contraire privé les femmes des protections particulières dont elles jouissaient sous l’Ancien Régime, faisant de fait régresser leur situation. Qu’elles soient noires ou dorées, beaucoup de légendes restent attachées à l’histoire de cette période.  

 

ADIEU, LA TOUTE-PUISSANCE DU PÈRE

Pour répondre à cette question, il faut en réalité en poser une autre : comment les femmes vivaient-elles avant 1789 ? Considérées comme des mineures, à l’instar d’autres catégories de la population, elles faisaient partie des nombreux subalternes de la société d’ordres. Le XVIIIe siècle n’apportait ses « Lumières » que pour de rares femmes comme Madame de Genlis, Madame du Deffand ou Madame Roland, dont nous retenons exagérément les noms et qui, tout en s’émancipant grâce à la mondanité des salons, devaient aménager leur liberté à l’intérieur des cadres de la société masculine.

Mais, pour la majorité des femmes ordinaires, c’est la soumission et l’obéissance aux hommes qui jalonnaient l’existence. Or, l’infériorité des femmes n’était pas qu’une question de rapports de force : c’était avant tout une réalité juridique qui les empêchait d’hériter, de participer à l’activité de secteurs entiers de la vie publique, les plaçant sous l’autorité de leur père puis, après le mariage, de leur mari.  

La Révolution ouvre une brèche juridique inédite. Reconnues comme des membres de plein droit de la nation souveraine, les femmes sont, tout comme les hommes, protégées par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Surtout, elles voient leur situation changer grâce aux efforts des premiers législateurs pour briser le patriarcat familial : les 16 et 26 mars 1790, une loi interdit les lettres de cachet, qui permettaient aux maris et aux pères de faire enfermer femmes et enfants indésirables.

L’Assemblée institue aussi en août les tribunaux de famille, chargés d’arbitrer les conflits familiaux, privant les pères de leur toute-puissance parfois arbitraire. Quant au Code pénal de 1791, il supprime l’obligation des femmes célibataires ou veuves de déclarer leur grossesse sous peine de mort. Surtout, il dépénalise l’homosexualité : en contestant l’ordre viril de la sexualité masculine, les premiers révolutionnaires améliorent ainsi indirectement la situation des femmes, qui profitent de cet assouplissement des mœurs.   

La mise sous tutelle semble ne plus être qu’un mauvais souvenir : les femmes deviennent indépendantes à 21 ans, âge auquel elles accèdent pour la première fois à une pleine capacité juridique. Elles ont désormais le droit de signer des contrats, d’entrer en justice, de se marier sans autorisation parentale et d’agir sans l’accord d’un homme. Votées entre 1791 et 1794, les différentes lois sur les successions placent les femmes à égalité avec les fils de famille. Parce qu’elles touchent la famille, cellule de base de la société, ces mesures vont bien au-delà de l’écume des promesses : elles transforment réellement la vie de millions de femmes après 1789. Le 20 septembre 1792, la loi sur le divorce leur attribue le droit de librement nouer et dénouer le mariage, désormais considéré comme un acte civil et surtout réciproque entre deux individus autonomes.

Mars de l'poissardes, ou les femmes du marché, à Versailles, au cours de la Révolution française, ...

Mars de l'poissardes, ou les femmes du marché, à Versailles, au cours de la Révolution française, à la demande de pain et de justice.

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Aussitôt, des milliers de femmes se saisissent du droit et reprennent leur liberté. Sous le Directoire (1795-1799), la réciprocité et l’affection entre époux deviennent des modèles du couple républicain. La toute-puissance du mari semble appartenir au passé. Demandés par de nombreuses femmes, les projets d’éducation féminine se multiplient. En 1792, Condorcet prévoit de les intégrer dans l’enseignement gratuit des écoles primaires et secondaires, jusqu’à 13 ans. L’année suivante, Félix Le Peletier envisage d’éduquer ensemble filles et garçons dans un vaste plan d’éducation nationale. En décembre 1793, les femmes gagnent d’ailleurs le droit d’ouvrir des écoles, et nombre d’entre elles deviennent institutrices. 

 

QUAND LES HOMMES SONT À LA GUERRE 

Mais les femmes ne font pas que « recevoir » de nouveaux droits que leur auraient concédés les hommes : à la faveur d’une Révolution qui dérange les habitudes, certaines d’entre elles gagnent aussi de nouvelles marges de manœuvre… sans toujours l’avoir voulu ni espéré. Par le simple fait de l’absence des hommes, partis au combat, dans la clandestinité ou l’exil, quand ils ne sont pas emprisonnés ou exécutés, des millions de femmes ordinaires doivent gérer des commerces, administrer des domaines, exploiter des terres, faire des démarches auprès des autorités pour défendre la cause d’un proche ou d’un voisin, cacher des contre-révolutionnaires…

Une minorité d’entre elles passe à l’action politique : des journées d’octobre 1789 aux grandes mobilisations du printemps 1795, ce sont souvent les femmes qui pétitionnent, qui jouent le premier rôle dans les appels à l’insurrection, qui brisent les machines accusées d’aggraver le chômage, qui dénoncent les spéculateurs, protestent contre l’augmentation des prix de première nécessité ou la baisse des salaires.

De nombreuses femmes assistent assidument aux procès, aux exécutions publiques, mais aussi aux débats des assemblées de quartier, voire de l’Assemblée nationale, ne se privant pas d’intervenir. Certaines créent des clubs, mixtes ou non, et, comme les Républicaines révolutionnaires de Pauline Léon et Claire Lacombe, revendiquent le droit de combattre les ennemis de la Révolution aux côtés des hommes.

Dans le camp opposé, des femmes comme Renée Bordereau, surnommée « l’Angevin », défient les frontières sexuelles : habillée en homme, celle-ci s’engage dans l’Armée catholique et royale, et s’illustre dans des combats particulièrement violents. 

 

HALTE AUX FURIES DE LA GUILLOTINE  

Pourtant, à peines esquissées, les promesses s’évanouissent. En fragilisant les hiérarchies sexuelles et les frontières de genre, la Révolution provoque une réaction masculine de forte ampleur. Réaffirmée le 1er octobre 1789, la loi salique est durcie par rapport à l’Ancien Régime, puisqu’elle exclut les femmes de la régence : la répulsion qu’inspirent Marie-Antoinette et les femmes de la cour dans le camp des patriotes renforce la masculinité du pouvoir.

À l’été 1793, l’assassinat du député et journaliste Marat par la jeune Charlotte Corday, une inconnue venue de Normandie, libère les fantasmes négatifs contre les femmes qui « outrepassent leur sexe ». Les clichés sur les « furies de la guillotine » se multiplient, dénonçant les prétentions politiques des femmes.

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    Au printemps 1793, les femmes sont interdites dans les armées. Le 29 octobre, à la Commune de Paris, Gaspard Chaumette en appelle aux « lois de la nature » pour exclure les femmes de la vie publique. Le lendemain, à la Convention nationale, le député Amar renchérit : « Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre ; son action est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir. »

    Les clubs féminins sont aussitôt interdits, et certains d’entre eux sont fermés aux cris de « À bas les femmes révolutionnaires ! »

    Pendant l’Empire (1804-1815) et la Restauration (1815-1830), le retour à l’ordre politique et social se double d’un retour à l’ordre sexuel. Avec le Code civil de 1804, les femmes redeviennent des mineurs en droit : l’article 213 affirme ainsi que « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». La mise sous tutelle revient : les femmes ne peuvent désormais gérer seules leurs biens et se voient davantage punies en cas d’adultère.

    Douze ans plus tard, en 1816, le divorce par consentement mutuel est supprimé. Comme dans beaucoup d’autres domaines, la Révolution est en somme une période complexe : si elle permet à de nombreuses femmes de s’extraire des pesanteurs de la société patriarcale de l’Ancien Régime, elle ne le fait que très partiellement et sans vraiment remettre en cause l’ordre masculin, considéré comme « naturel ».

    Pourtant, elle laisse un legs important, dont sauront se saisir les premières féministes de l’époque contemporaine, dans les années 1830.  

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

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