Helen Duncan, la dernière sorcière condamnée par la justice britannique
Helen Duncan vivait de ses séances de spiritisme... jusqu'à ce qu’elle effraie les autorités britanniques à cause des informations qu’elle détenait sur des drames classés secret défense durant la Seconde Guerre mondiale.
Helen MacFarlane Duncan était une médium écossaise connue pour être la dernière personne à avoir été emprisonnée en vertu de la loi britannique de 1735 sur la sorcellerie. Ses pratiques incluaient, comme on le voit sur cette image, la production d'ectoplasme par la bouche et le nez. Selon les sceptiques, il s'agissait probablement d'étamine.
Le 23 mars 1944, alors que l’Angleterre était en pleine Seconde Guerre mondiale, l'Old Bailey de Londres fut envahi par la foule, comme lors des deux siècles précédents. Siège de la justice pénale de la ville, cette institution historique avait accueilli de nombreuses affaires judiciaires de premier plan, des plus obscènes aux plus sinistres.
Pourtant, en ce début de printemps, l'Old Bailey était le théâtre d'un procès peu ordinaire. Des siècles après la dernière exécution pour sorcellerie en Grande-Bretagne, une médium du nom d'Helen Duncan était accusée du même délit et allait bientôt devenir l’ultime personne emprisonnée en vertu de la loi sur la sorcellerie en Grande-Bretagne.
L’histoire d'Helen Duncan avant son arrivée à l’Old Bailey était pavée de secrets d'État et de raids spectaculaires. Voici comment cette mère de six enfants a effrayé les autorités en temps de guerre et l'a payé très cher.
L'ÉLÉVATION DES ESPRITS
Née en 1897, Helen MacFarlane grandit dans la petite ville écossaise de Callander, où elle lutta pour s'élever socialement. Surnommée « Hellish Nell » (l’infernale Helen), elle semblait posséder des dons mystiques : elle pouvait, disait-on, communiquer avec des esprits.
En 1926, Hellish Nell, dont le nom de famille changea après son mariage avec Henry Duncan en 1916, travaillait comme médium, d'abord à Dundee, en Écosse, puis dans tout le pays, pour subvenir aux besoins de sa famille qui s'agrandissait et finit par compter six enfants.
Duncan trouva un public réceptif à son travail. Après une Première Guerre mondiale et une pandémie de grippe mortelle ayant fait des millions de morts, de nombreux Britanniques se tournèrent vers le spiritisme, qui prétendait que les vivants pouvaient entrer en contact avec les morts.
Les séances de Duncan avaient lieu dans l'obscurité, éclairées uniquement par une légère lumière rouge. Assise derrière des rideaux, elle entrait en transe et s'en remettait à ses « guides spirituels », qu’elle appelait Peggy et Albert, pour la diriger. Pendant les séances, de l'ectoplasme coulait de sa bouche et de son nez. Cette substance blanche et fantomatique, qui semblait se matérialiser sous la forme d'esprits, choquait et émerveillait les personnes qui la consultaient.
Au fur et à mesure que sa réputation s’étendait, Duncan attira l'attention de sceptiques comme Harry Price, un chercheur psychique qui obtint l'autorisation de mener une enquête sur elle en 1931. Selon lui, Duncan était une escroc, bien qu'il ne puisse pas trouver d’explication à sa production d'ectoplasme, il avait une théorie. Selon lui cet ectoplasme n’était rien d’autre que de l'étamine et des blancs d'œuf qu'elle avalait et régurgitait. En outre, les esprits qu'elle matérialisait étaient davantage semblables à des poupées qu’à de vraies personnes.
La conclusion de Price ne convainquit cependant pas les admirateurs de Duncan, qui continuaient de se précipiter pour assister à ses séances, alors même que la Grande-Bretagne se dirigeait à nouveau vers la guerre.
Helen Duncan a tenu des séances de spiritisme à la Master's Temple Church of Spiritual Healing de Portsmouth, en Angleterre, avant d'être accusée d'avoir enfreint la loi sur la sorcellerie de 1735. Plutôt que d'interdire la sorcellerie à proprement parler, cette loi visait à punir les personnes qui prétendaient pratiquer la magie.
Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne entra dans la Seconde Guerre mondiale. Pour soutenir le moral des troupes sur le pied de guerre et éviter que des secrets militaires ne tombent entre de mauvaises mains, le pays limita la circulation de l'information. Les médiums constituaient une source potentielle de fuites que la presse à scandale redoutait. S’ils conjuraient les esprits des soldats, disait-on, qu'est-ce qui empêcherait les espions ennemis d'obtenir des renseignements par le biais de séances de spiritisme ?
Helen Duncan n'organisait pas de séances pour les nazis, mais alors qu'elle poursuivait son travail dans toute la Grande-Bretagne, la guerre vint la trouver. Le 24 mai 1941, elle dirigeait une séance à Édimbourg lorsqu'un esprit lui annonça une nouvelle choquante : un navire de guerre britannique avait coulé.
Roy Firebrace, chef du renseignement militaire écossais, assistait à la séance. Malgré son poste élevé, qui lui permettait d'avoir accès à des informations confidentielles, il n'avait pas entendu parler d’un tel évèvement. Après la séance, il vérifia les dires de Duncan et apprit la disparition récente du HMS Hood lors de la bataille du détroit de Danemark. Comment avait-elle pu être au courant avant lui ?
En novembre 1941, Duncan était en communication spirituelle avec Portsmouth, en Angleterre, lorsque l'esprit apparent d'un marin lui apporta la nouvelle d'une autre catastrophe navale. Un sous-marin allemand avait torpillé le HMS Barham, qui coula alors qu’il transportait 862 personnes. Le gouvernement britannique ne reconnut publiquement le naufrage qu'en janvier 1942.
Comment expliquer qu'Helen Duncan ait eu connaissance de ces événements confidentiels ? Pour le savoir, les autorités gardèrent discrètement un œil sur elle.
Le HMS Barham a coulé après avoir été torpillé par un sous-marin nazi en Méditerranée pendant la Seconde Guerre mondiale. On ne sait toujours pas comment Helen Duncan a eu connaissance de cette catastrophe navale classée secret défense, dont elle a affirmé qu'un esprit lui avait parlé lors d'une séance de spiritisme.
Deux ans plus tard, Helen Duncan était de retour à Portsmouth. Le lieutenant Stanley Worth, un officier de la Royal Navy, faisait partie de son auditoire. Ses doutes concernant les capacités de Duncan se confirmèrent lorsqu'elle prétendit avoir conjuré les esprits des parents de Worth, qui étaient alors bien vivants. Désireux de démontrer qu'Helen Duncan était une impostrice, il assista à une autre séance, cette fois avec un officier de police déguisé. Au milieu de la séance, le policier bondit de son siège, tira le rideau et l'arrêta.
LE PROCÈS DES SORCIÈRES DU 20e SIÈCLE
Le spectre de la sorcellerie avait déjà longtemps hanté les tribunaux anglais et écossais, en particulier au 16e siècle, lorsque la sorcellerie était un crime passible de la peine de mort. Selon la tradition, la dernière personne exécutée pour sorcellerie en Grande-Bretagne fut Janet Horne en 1727.
Toutefois, à l'époque de l'arrestation de Duncan, les tribunaux britanniques accusaient généralement les médiums frauduleux d'avoir enfreint le Vagrancy Act, une loi du 19e siècle visant à empêcher les diseurs de bonne aventure et les médiums d'escroquer le public.
Pourtant, l'accusation craignait qu'Helen Duncan ne soit acquittée car elle faisait payer l'entrée aux séances de spiritisme et non les services rendus. Les autorités lui reprochèrent donc d'avoir enfreint la loi sur la sorcellerie de 1735, adoptée quelques années seulement après l'exécution de Janet Horne et destinée à faire entrer le pays dans l'ère moderne en punissant simplement les personnes qui prétendaient pratiquer ou accusaient d'autres personnes de pratiquer la sorcellerie. Cette loi était assortie d'une peine d'emprisonnement.
Le procès de Duncan aurait pu avoir lieu à Portsmouth, mais les magistrats décidèrent qu'en raison de la nature « exceptionnellement grave » de l'affaire, elle devait être jugée à la Cour criminelle centrale de Londres, l'Old Bailey.
Entre l'accusation atypique et la forte médiatisation de l’affaire, le procès de Duncan était voué à être un cirque médiatique lorsqu'il s'ouvrit le 23 mars 1944. La presse s’empressa de rendre compte de ce qui s'apparentait à un procès en sorcellerie moderne. Il retint même l'attention du Premier ministre, Winston Churchill, qui qualifia cette procédure singulière de « bêtises obsolètes »
Le 3 avril, le jury rendit son verdict : coupable.
APRÈS SA MORT
Le 6 juin 1944, quelques mois après le procès, les Alliés débarquèrent en France, alors occupée par les nazis. Le peu de temps écoulé entre l’arrestation d'Helen Duncan et le D-Day amena certains à penser que le gouvernement britannique avait pris pour cible la médium écossaise afin de l'empêcher de révéler des secrets d'État avant l'invasion. Cependant, « rien ne permet d'étayer directement ces rumeurs », met en garde l'historien Francis Young, même s’il admet que « la gestion de l’affaire Duncan par les tribunaux a été tout à fait inhabituelle. »
Alors que le D-Day se déroulait à des centaines de kilomètres, l'équipe de Duncan préparait un dernier recours, qui échoua. C'est ainsi qu'Helen Duncan entra à la prison de Holloway et devint la dernière personne à être emprisonnée en vertu de la loi sur la sorcellerie. Une autre personne, Jane Yorke, médium de 72 ans, fut condamnée à une amende de 5 livres sterling (6 euros) en septembre 1944, sans peine d’emprisonnement, avant que cette loi ne soit abrogée en 1951.
Après sa libération, fin 1944, Helen Duncan reprit ses activités de channeling (connexion spirituelle), ce qui lui valut d'être la cible de nouvelles descentes de police. Les admirateurs de Duncan continuèrent à se rassembler autour d'elle. Même après sa mort en 1956, ils adressèrent une pétition au gouvernement britannique pour qu’elle soit graciée.
Le mystère entourant Helen Duncan lui a survécu, personne ne sachant expliquer avec certitude comment elle a eu connaissance du sort du Hood et du Barham. Tout comme les esprits désincarnés qu’elle conjurait, les secrets d'Helen Duncan ont disparu avec elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.