Les Templiers se sont enrichis en se battant pour Dieu... avant de tout perdre
Cet ordre religieux armé fut fondé pour protéger les pèlerins lors des croisades. La richesse que les Templiers amassèrent les mena à leur chute soudaine et brutale, sous le règne de Philippe IV de France.
Des Templiers escortent des pèlerins sur les routes dangereuses des environs de Jérusalem lors d’une croisade.
Bien que leur ordre fût dissous il y a plus de 700 ans, les Templiers continuent de captiver le monde. Terroristes et cartels de la drogue s’y réfèrent. Da Vinci Code, roman de Dan Brown au succès retentissant, fut en partie inspiré par l’une des plus célèbres légendes liées aux Templiers : ceux-ci auraient été les gardiens du Graal.
Dans The Templars : The Rise and Spectacular Fall of God’s Holy Warriors, l’historien britannique Dan Jones démêle le vrai du faux afin de raconter la véritable histoire de cet ordre religieux armé. Il y a quelques années dans un pub londonien, Dan Jones nous a expliqué comment les Templiers, qui étaient les protecteurs des pèlerins lors des croisades, en sont venus à contrôler un vaste empire financier. Selon lui, leur croyance dans le martyre religieux est partagée par des groupes comme Daesh, et pourquoi l’esprit de croisade des Templiers et la rhétorique anti-musulmane attirent une nouvelle génération de suprématistes blancs et de néo-nazis.
Nous avons pour la plupart appris l’existence des Templiers grâce au roman Da Vinci Code. Dans quelle mesure ce livre s’appuie-t-il sur des faits historiques ?
Dans une mesure infinitésimale ! [Rires] Ce que Da Vinci Code fait très efficacement est de présenter une pseudo-histoire des Templiers et de recourir à des idées comme celle du Prieuré de Sion et à des notions concernant le Graal pour en faire une métaphore de la descendance secrète du Christ. Cela a sans aucun doute frappé l’imagination du public.
Les passages traitant spécifiquement des Templiers dans Da Vinci Code sont un fabuleux mélange de mythes et d’histoire des Templiers. Il passe sans transition de déclarations factuelles, comme le fait que leur ordre ait été fondé à Jérusalem en 1119, au mythe et à la spéculation, autant de choses qui font des remous autour des Templiers. L’effet paraît tout à fait vraisemblable mais, pris dans son ensemble, il s’agit d’un galimatias spéculatif présentant des demi-vérités.
Revenons au début. Qui étaient les Templiers ? D’où ont-ils opéré et quand ?
On peut faire remonter leurs origines à Jérusalem, après la première croisade. À la suite de celle-ci, quand la ville, sous contrôle musulman, passa sous occupation chrétienne, il y eut un afflux de pèlerins venant d’Occident. Ainsi qu’en témoignent des journaux tenus par des pèlerins, leur vie dans la zone environnant Jérusalem et ses lieux sacrés était extrêmement dangereuse.
Leurs journaux décrivent des cadavres empilés sur le bord des routes où des bandits les avaient attaqués et laissés-là à la merci des bêtes sauvages. Vers l’an 1119, un groupe composé principalement de chevaliers français originaires de la Champagne décida de créer un service de secours de bord de route, une sorte de dépannage autoroutier médiéval dont le but était de protéger les pèlerins autour de Jérusalem.
Dans les décennies qui suivirent, ce qui n’était qu’un service d’urgence à destination des pèlerins devint une unité paramilitaire d’élite des armées croisées. Dès le début de leur existence, on leur octroya des logements au sein de l’actuelle mosquée al-Aqsa sur le mont du Temple, Al-Haram al-Sharif (« le Noble Sanctuaire »).
On les décrit souvent comme des « moines-guerriers », mais c’est un peu trompeur. Ils n’étaient pas vraiment moines, même s’ils menaient une existence d’apparence monacale à l’origine calquée sur les préceptes des Cisterciens. Leur nom complet était d’ailleurs les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon ; les Chevaliers du Temple, pour faire court.
À la lecture de votre livre, j’ai été saisi par la quantité de toponymes que je vois désormais aux informations chaque soir, qu’il s’agisse d’Alep, de Gaza ou encore de la mosquée al-Aqsa. Pouvez-vous établir certains parallèles entre hier et aujourd’hui ?
Nous traitons-là de guerres inextricables, qui semblent sans fin, en Syrie, en Palestine et en Égypte, des guerres à la fois entre musulmans sunnites et chiites et contre les envahisseurs chrétiens. Quand j’étais en train d’écrire le livre, le fait que nous revenions à des endroits comme Alep, Mossoul ou Damas était un rappel que nombre des problèmes qui existaient à l’époque des croisades existent encore bel et bien aujourd’hui.
Sur les cartes médiévales, la région autour de Jérusalem était représentée comme le centre du monde, à la fois géographiquement et spirituellement. En un sens, c’est encore le centre du monde, un point trouble que traversent des routes commerciales et autour duquel des conflits religieux se déroulent depuis des siècles et des siècles.
L’expression « le choc des civilisations » est aujourd’hui populaire chez les intellectuels d’extrême-droite pour décrire le conflit entre l’Occident et l’islam.
Dans le livre sur Steve Bannon et Donald Trump que Joshua Green a fait paraître, il traite de certaines lectures de Steve Bannon, parmi lesquelles on retrouve des ouvrages de l’écrivain français René Guénon, selon qui la chute des Templiers fut un moment crucial dans un choc civilisationnel au long cours.
Il est facile de lire l’histoire des croisades comme un choc des civilisations, mais je ne pense pas que cela soit tout à fait correct. Il s’agit en partie d’un choc idéologique, mais aussi d’une incursion virant à la mêlée générale pour revendiquer un territoire mythologisé de manière quasi-universelle.
Il y a en surface beaucoup de caractéristiques dans les méthodes et idéologies d’un groupe comme l’État islamique que nous pouvons retrouver chez les groupes chrétiens les plus militants du Moyen Âge, le caractère central du martyre en est une des plus saillantes. Il y a aussi l’idée que le membre individuel de l’organisation est remplaçable mais que l’idéologie est ce qui unifie l’organisation, et une croyance selon laquelle la victoire ne pourra être revendiquée que lorsque les Terres saintes auront été débarrassées des mécréants et qu’il n’y restera plus que de véritables fidèles.
En plus d’être des guerriers chrétiens, les Templiers finirent par contrôler un vaste réseau financier comprenant immobilier, banque et même une version archaïque de Western Union. Emmenez-nous dans les coulisses de cet empire.
C’est absolument exact ! Dès le tout début, ils s’attirèrent un soutien sous la forme de donations matérielles et financières de la part de chrétiens pieux qui souhaitaient gagner en mérite auprès du Seigneur mais qui n’avaient pas envie d’aller se battre eux-mêmes pour autant. Grâce à cela, les Templiers construisirent un réseau de terres et de domaines en Irlande, en Angleterre, en France, mais aussi dans les royaumes d’Espagne, du Portugal, d’Italie, de Hongrie, d’Allemagne, et jusqu’à Chypre.
Ces domaines étaient gérés de sorte à maximiser les revenus et cela permit aux Templiers de bâtir une fortune financière et domaniale colossale. Arrivés au 13e siècle, ils avaient également trouvé un moyen de transférer la richesse au sein de leurs territoires. Nous savons que lors de la cinquième croisade, de 1213 à 1221, le pape se servait des Templiers comme percepteurs des impôts, car ils avaient la capacité de se déplacer, de lever l’impôt et de les acheminer vers le lieu des croisades.
Les Templiers entretenaient des liens étroits avec les rois de France. Quand Louis IX se trouva à court d’argent durant la septième croisade, les Templiers prirent activement part au garnissage de ses armées et louèrent des bateaux pour acheminer les croisés en Égypte. Durant cette croisade, Louis IX fut capturé mais les Templiers intervinrent et payèrent la dernière traite de sa rançon, qu’ils levèrent en un seul jour grâce à l’argent stocké sur leurs navires.
Les Templiers sont souvent décrits comme des banquiers, et j’utilise ce terme par raccourci dans le livre, mais je pense qu’un meilleur terme pour les décrire aujourd’hui serait de dire qu’ils fournissaient des services financiers médiévaux. En plus de faire office de banque rudimentaire de dépôts et de retraits, ils sous-traitaient également une grande partie de la trésorerie et de la collecte d’impôts de la couronne française et de la papauté sur différents territoires.
La richesse des Templiers finit par mener à leur chute soudaine et brutale sous le règne de Philippe IV de France. Parlez-nous de cet épisode et du rôle que jouèrent ce qu’on appelle aujourd’hui les « fake news ».
En 1291, les États croisés furent perdus, les Templiers furent chassés de la Terre sainte et durent se réfugier à Chypre. Cela donna lieu à une quinzaine d’années d’introspection dans l’ensemble du monde chrétien d’Occident. Dans les cercles politiques d’Europe de l’Ouest, on se disait qu’une réforme militaire s’imposait peut-être, et par-là on entendait notamment la dissolution des Templiers et la création d’un nouvel ordre militaire.
En 1306, Jacques de Molay, dernier maître templier, fut rappelé en Europe pour discuter des plans d’une nouvelle croisade et pour défendre l’Ordre contre ceux qui suggéraient qu’il devait être dissous. Le pape auquel il devait répondre, Clément V, originaire de Gascogne, était en effet soumis à Philippe IV.
Le vendredi 13 octobre 1307, Philippe jeta les bases d’une attaque sur les Templiers afin de piller leur richesse et de renforcer sa position de roi chrétien réformateur. Il envoya des agents dans chaque maison templière de France pour arrêter chaque membre des Templiers qu’ils étaient susceptibles de trouver et leur donna l’ordre de les emprisonner. Beaucoup furent torturés et n’eurent droit qu’à des simulacres de procès.
Les accusations portées contre eux concordent avec ce que l’on désigne aujourd’hui par le terme « fake news ». On prit des aspects de la vie templière, par exemple le baiser de paix, et on les amplifia pour en faire des incidents de déviance et d’inconduite sexuelle.
La persécution des Templiers en France et, plus largement, dans tous les territoires où ils opéraient, eut lieu de 1307 à 1312, année lors de laquelle les Templiers furent formellement abolis par un conseil œcuménique, le concile de Vienne. Deux ans plus tard, Jacques de Molay et plusieurs autres maîtres templiers furent sortis de prison pour être condamnés par un groupe de cardinaux pour leurs méfaits personnels. Jacques de Molay et l’un de ses confrères rétractèrent certains aveux d’hérésie qu’ils avaient faits sous la torture et furent brûlés sur un bûcher à Paris.
Selon un témoin, alors qu’il était en train de mourir, Jacques de Molay aurait demandé à Dieu de se venger de ceux qui l’avaient tourmenté. Et voilà qu’en l’espace d’un an à peine, Philippe IV et Clément V avaient tous deux trouvé la mort. [Rires]
Le terroriste et suprématiste blanc norvégien Anders Breivik affirmait faire partie d’une cellule templière réactivée. Pensez-vous que cela soit vrai et qu’en ces temps de morcellement l’organisation puisse faire son retour ?
Anders Breivik affirmait avoir été un membre fondateur d’un ordre templier réactivé. Selon lui, neuf fondateurs s’étaient retrouvés à Londres et avaient décidé de fonder un nouvel Ordre du Temple avec la mission avouée de combattre les musulmans en Europe et de leur nuire.
L’imagerie et le symbolisme des Templiers jouissent encore d’un attrait considérable, en particulier auprès des néo-fascistes, des suprématistes blancs et des islamophobes, qui nous croient engagés dans un choc civilisationnel cosmique entre chrétienté et islam. Qu’il s’agisse de francs-maçons ou même de cartels mexicains de la drogue, comme les Caballeros Templarios, un grand nombre de personnes ont fait leurs le symbolisme, les rites et les croyances templiers pour faire avancer leurs objectifs modernes.
Les Templiers continuent d’inspirer des livres, des films et même des jeux vidéo, comme Assassin’s Creed. À votre avis pourquoi ? Et que peuvent-ils nous apprendre ?
Dans cette histoire incroyable sont incorporés les mythes, les légendes et le symbolisme les plus extraordinaires, et ceux-ci s’emparent aujourd’hui encore de l’imagination du public. C’était d’ailleurs déjà le cas à l’époque des Templiers ! Au 13e siècle, le poète allemand Wolfram von Eschenbach plaça les Templiers au cœur de son épopée arthurienne, Parzival. Il en faisait les défenseurs du Graal. Ils symbolisent quelque chose d’exotique, d’étrange et de mystérieux qui nous semble de nos jours aussi bien étranger que familier tout en conservant une certaine allure.
Cet entretien a été édité par souci de longueur et de clarté. Il a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise en 2017.