Découverte de fossiles d’un chien sauvage préhistorique en Géorgie

Les chemins de deux mammifères très sociables se seraient croisés il y a 1,8 million d’années à Dmanisi : ceux de nos cousins hominidés et d’un canidé chassant en meute.

De Michael Greshko
Publication 30 juil. 2021, 15:06 CEST
Mis au jour sur le site de Dmanisi, daté de 1,8 million d’années et situé en Géorgie, ...

Mis au jour sur le site de Dmanisi, daté de 1,8 million d’années et situé en Géorgie, ces fragments de dents et de mâchoire appartiennent à un canidé aujourd’hui éteint, le chien de chasse d’Eurasie. Il s’agit des fossiles de ce type les plus anciens jamais découverts.

Image by S. Bartolini-Lucenti

Situé en Géorgie, le village médiéval de Dmanisi est la Mecque de la paléoanthropologie. C’est là qu’ont été mis au jour les fossiles d’hominidés les plus anciens hors d’Afrique, faisant ainsi la lumière sur la vie d’Homo erectus au carrefour de l’Europe et l’Asie il y a environ 1,8 million d’années.

Les hominidés de Dmanisi n’étaient pas seuls dans le Caucase. Des fossiles récemment mis au jour révèlent qu’ils auraient croisé le chemin d’un voyageur à quatre pattes en provenance de l’Est ; un grand chien sauvage particulièrement sociable, doté de dents robustes pour découper la viande.

Les fossiles appartiennent au chien de chasse d’Eurasie (Canis [Xenocyon] lycaonoides), qui a évolué en Asie de l’Est voilà 1,8 million d’années avant de s’éteindre 800 000 ans avant notre ère. D’après les fragments osseux mis au jour à Dmanisi, des dents et des éclats de mâchoire, le canidé pesait 30 kg à sa mort, ce qui laisse penser qu’il s’agissait d’un jeune adulte.

Les auteurs de l’étude affirment que ces fossiles de Canis (Xenocyon) lycaonoides sont les plus anciens jamais identifiés. Avec plusieurs autres chercheurs, ils avancent que le canidé serait étroitement apparenté au lycaon (Lycaon pictus) qui vit aujourd’hui en Afrique. Si cela est confirmé, le nouveau fossile serait le premier de cette lignée spécifique à avoir été mis au jour à Dmanisi.

Notons toutefois que cette découverte ne suggère en aucun cas l’existence d’une coopération entre les hominidés et les canidés à Dmanisi il y a presque deux millions d’années. Les signes les plus anciens d’une quelconque domestication de canidés datent d’il y a seulement 40 000 ans. Cette découverte décrite hier dans la revue Scientific Reports devrait néanmoins livrer des informations cruciales sur l’évolution des chiens, en grande partie méconnue.

 

UNE ESPÈCE DIFFICILE À PLACER

Canis (Xenocyon) lycaonoides, dont des fossiles ont déjà été mis au jour en Sibérie, en Espagne, ainsi qu’en Afrique du Sud, avait une vaste répartition géographique. C’est pourquoi l’absence du chien de chasse d’Eurasie ou de ses parents proches à Dmanisi irritait les chercheurs. Outre les restes de nos ancêtres hominidés, les fossiles de plus d’une vingtaine de mammifères différents ont été mis au jour dans les sédiments du site. Y figurent notamment des ossements de hyènes, d’ours, de guépards, de tigres à dents de sabre, ainsi que de quelques canidés éloignés des loups et des chiens modernes.

« Il était vraiment très étrange de ne pas avoir trouvé Lycaon à Dmanisi après plus de 30 années de fouilles », confie Bienvenido Martínez Navarro, coauteur de l’étude et paléontologue à l’Institution catalane de recherche et d’études avancées en Espagne. « C’est finalement le cas ! Nous avons eu de la chance ».

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Malgré cette nouvelle découverte, il sera « extrêmement » difficile de déterminer où se situent les canidés sur l’arbre généalogique du groupe, indique Saverio Bartolini Lucenti, auteur principal de l’étude et paléontologue à l’université de Florence en Italie.

Le groupe des canidés se révèle assez frileux en matière d’évolution, sa morphologie changeant peu par rapport aux félidés tels que les tigres à dents de sabre. Pour ajouter à la confusion, il arrive parfois que des lignées éloignées évoluent pour présenter des caractéristiques physiques similaires. Déterminer la parenté en se basant uniquement sur les os et les dents est alors difficile.

Pour l’heure, Saverio Bartolini Lucenti et ses collègues ignorent si le chien de Dmanisi appartient au genre Canis, dont font partie les loups modernes et les chiens domestiques, ou au genre Xenocyon. C’est pour cette raison que l’équipe a opté pour le nom de Canis (Xenocyon), dans l’éventualité où l’espèce appartiendrait à l’un ou l’autre de ces genres.

Bien que cela puisse paraître étrange, la prudence est de rigueur. En début d’année, des chercheurs ont découvert que Canis dirus, espèce aujourd’hui éteinte que l’on pensait être apparentée aux loups modernes, n’appartient en réalité pas au genre Canis. (À lire : Canis dirus : cette espèce légendaire a bel et bien existé.)

Les auteurs de l’étude sont néanmoins sûrs du régime alimentaire de l’animal. Ils ont comparé la taille des dents exhumées à celles d’autres canidés afin de déterminer la quantité de viande qu’il ingurgitait. Les dents de Canis (Xenocyon) lycaonoides correspondent à celles des « hypercarnivores », des canidés éteints et vivants (à l’image du lycaon) dont le régime alimentaire est composé à plus de 70 % de viande.

 

DES ANIMAUX SOCIABLES

L’étude met aussi en exergue des similitudes intrigantes entre Canis (Xenocyon) lycaonoides et Homo erectus. Tous deux se sont dispersés sur plusieurs continents, Homo erectus évoluant en Afrique avant de partir vers l’Est et les îles du sud-est de l’Asie ; le chien de chasse d’Eurasie évoluant probablement en Asie avant de prendre la direction de l’Ouest, vers l’Europe et l’Afrique.

Ils étaient aussi des mammifères très sociables, et même altruistes selon les chercheurs. Mais comment les scientifiques font-ils pour connaître le comportement d’un chien à partir de fossiles vieux de plusieurs millions d’années ? Ils se basent sur l’examen de la forme des crânes présentant des handicaps évidents, comme des dents manquantes et des mâchoires déformées, qui auraient rendu tout nourrissage presque impossible pour l’animal en question. Si un animal semblait en bonne santé après la survenue de ces problèmes, c’est parce qu’il obtenait vraisemblablement sa nourriture d’autres individus.

De telles preuves révélatrices d’un comportement altruiste ont été constatées chez Canis (Xenocyon) lycaonoides sur un site espagnol. Des chercheurs ont mis au jour un crâne asymétrique sur lequel manquaient plusieurs dents, dont une canine. Le chien en question semble avoir vécu sept ou huit ans, ce qui laisse penser que d’autres membres de sa meute le nourrissaient.

Des preuves de partage de la nourriture chez Homo erectus ont aussi été relevées sur le site de Dmanisi. Le crâne d’un hominidé âgé révèle que celui-ci est décédé plusieurs années après avoir perdu toutes ses dents, sauf une.

La science révèle aussi que les espèces de canidés dont la masse corporelle moyenne est supérieure à 21 kg doivent tuer des proies plus imposantes pour satisfaire leur apport calorique, ce qui favorise la chasse en meute et la coopération. La taille des crânes et des dents mis au jour à Dmanisi et dans d’autres régions suggère que Canis (Xenocyon) lycaonoides dépassait largement le seuil de poids pour la chasse en meute.

Il n’existe néanmoins aucune preuve directe attestant du caractère sociable des chiens de chasse d’Eurasie à Dmanisi. « Chez les carnivores modernes, la sociabilité peut même varier au sein d’une espèce », explique Mairin Balisi, paléontologue et chercheuse postdoctorale au musée et au site de La Brea Tar Pits en Californie, qui n’a pas pris part à l’étude. « Je suis certaine que cela peut aussi varier dans la chronique de fossiles, mais il est ensuite plus difficile d’établir cette variante », ajoute-t-elle.

La mise au jour d’autres fossiles à Dmanisi pourrait permettre de confirmer le caractère sociable du canidé dans la région. En outre, de nouveaux types de preuves moléculaires pourraient déterminer la place qu’occupe le chien de chasse d’Eurasie dans l’arbre généalogique des canidés. En 2019, des chercheurs sont parvenus à extraire et à séquencer des protéines à partir d’une dent de rhinocéros mise au jour à Dmanisi. Saverio Bartolini Lucenti a fait savoir que son équipe avait essayé de prélever des protéines anciennes des fossiles du canidé, sans succès.

Mairin Balisi est quant à elle impatiente de savoir quelles découvertes seront réalisées concernant l’histoire évolutionnaire complexe des chiens : « Plus nous réunissons de pièces du puzzle, mieux c’est ».

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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