Sugarcane, la sombre histoire d’un pensionnat autochtone au Canada

En 2021, plusieurs centaines de tombes anonymes ont été découvertes à proximité d’anciens pensionnats autochtones gérés par l’Église catholique. Les preuves matérielles et les témoignages des survivants lèvent le voile sur des décennies d’abus.

De Nathan Leroy
Publication 10 févr. 2025, 18:10 CET
Dans le film documentaire Sugarcane, Julian Brave NoiseCat et Emily Kassie enquêtent sur les événements sordides ...

Dans le film documentaire Sugarcane, Julian Brave NoiseCat et Emily Kassie enquêtent sur les événements sordides qui eurent lieu au sein du pensionnat autochtone de la mission Saint Joseph.

PHOTOGRAPHIE DE Sugarcane Film LLC

Cet article traite de sujets sensibles tels que la maltraitance infantile et des violences sexuelles.

En mai 2021, des radars à pénétration de sol détectent deux cent quinze sépultures sans nom, pouvant appartenir à des enfants portés disparus, à proximité du pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique. L’affaire fait grand bruit au Canada, jusqu’à faire réagir le Premier ministre Justin Trudeau qui apporte son soutien aux survivants et à leurs familles. Il annonce que le gouvernement contribuera à financer les enquêtes sur les anciens pensionnats.

Quelques mois plus tard, la Première Nation de Williams Lake dévoile les résultats préliminaires de l’enquête portant sur le pensionnat de la mission Saint-Joseph. Quatre-vingt-treize sépultures d’enfants sont identifiées, dont cinquante ne figurent pas au registre du cimetière.

Julian Brave NoiseCat est écrivain et militant, membre des Premières Nations du Canada. En 2021, il ignore encore tout un pan de son histoire familiale. Il sait alors que son père est né dans le pensionnat autochtone de la mission Saint-Joseph, mais celui-ci, tout comme sa grand-mère, se mure dans le silence. Peu après la macabre découverte de Kamloops, il est contacté par Emily Kassie, une de ses anciennes camarades devenue journaliste et réalisatrice, qui s’intéresse de près aux nouvelles recherches sur les pensionnats autochtones.

Ensemble, ils partent sur les traces de l’histoire douloureuse du pensionnat de la mission Saint-Joseph et de ses élèves.

 

LES TÉMOIGNAGES DES SURVIVANTS

Julian Brave NoiseCat se tourne d’abord vers sa propre famille. « C’est quelque chose qui ne cessera jamais de nous faire du mal, c’est sans fin » murmure son père. Les traumatismes enfouis refont surface, les gorges sont nouées et les larmes coulent. De la culpabilité, aussi, de n’avoir pas pu parler avant, de ne pas pouvoir dire toute l’horreur. Sa grand-mère reconnaît qu’il « s’est passé des choses, des choses dont j’aurais dû parler pour certaines ». Elle n’élaborera pas.

Ces messages ont été gravés par des enfants sur les murs d'une grange du pensionnat autochtone ...

Ces messages ont été gravés par des enfants sur les murs d'une grange du pensionnat autochtone de la mission Saint-Joseph. Certains ont plus d'un siècle.

PHOTOGRAPHIE DE Christopher LaMarca/Sugarcane Film LLC

Au fur et à mesure des témoignages qui s’enchaînent, on comprend. Certains évoquent des punitions à genoux, un gros livre posé sur la tête pendant une heure. D’autres parlent des poteaux où les récalcitrants étaient ligotés puis fouettés jusqu’à l’évanouissement. Une ancienne pensionnaire l’admet, « je me sentais sale d’être Indienne quand j’étais au pensionnat ». Elle ajoute, « là-bas, on nous a enseigné la honte et la culpabilité ». Tous ont perdu des proches, qui se sont suicidés ou ont disparu sans laisser de trace. Tous garderont à jamais le souvenir de ces années de souffrances. Un autre ancien pensionnaire avoue que « tous les jours, [il] pleure comme un bébé sans savoir pourquoi ».

Ils évoquent aussi les violences sexuelles par les prêtres, les attouchements et les viols. Les bébés nés à la suite de ces rapports contraints se comptent probablement par centaines. Ils finissaient « à l’adoption », devenaient pensionnaires ou étaient déposés à l’incinérateur. Parfois, un bébé était miraculeusement sauvé, comme le bébé X, découvert par hasard par le laitier de la mission en 1949.

 

L’INDIFFÉRENCE GÉNÉRALE ET L'IMPOSSIBLE PARDON

Au-delà de l’enfer que vivaient les élèves du pensionnat de la mission Saint-Joseph, c’est tout un système qui était gangrené. Les enfants qui osaient dénoncer les abus étaient confrontés à la violence ou à l’indifférence des adultes qui les entouraient, au pensionnat et en dehors. Un survivant témoigne : « quand un prêtre était pris en flagrant délit, il était simplement envoyé dans un autre pensionnat, ça ne s’est jamais arrêté ». Une autre ancienne pensionnaire raconte avoir dénoncé sans relâche les violences sexuelles dont elle a été victime, jusqu’au commissariat, où elle a simplement été renvoyée chez elle.

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    Ed Archie NoiseCat fait face aux terribles révélations concernant sa naissance au pensionnat autochtone de la mission Saint-Joseph.

    PHOTOGRAPHIE DE Emily Kassie/Sugarcane Film LLC

    Depuis l’ouverture de l’école en 1891, tous les directeurs ont été liés à des disparitions d’enfants ou à des naissances. Tous savaient ce qu’il s’y passait.

    À l’échelle du pays, ce fut la réalité de centaines de milliers d’enfants sur plusieurs décennies. La dernière des cent trente-neuf écoles financées par le Canada a fermé ses portes en 1997.

    « On veut que ces individus et ces structures soient reconnus coupables de leurs actes » clame Willie Sellars, le chef de la première nation de Williams Lake, dont le père et la grand-mère ont été au pensionnat de la mission Saint-Joseph. Les rares procès n’ont abouti qu’à trois condamnations. Un seul des prêtres condamnés est encore en vie aujourd’hui.

    Depuis 2021, le 30 septembre marque la Journée de la vérité et de la réconciliation au Canada. Un jour férié pour « honorer les survivants, leurs familles et leurs collectivités et s’assurer que la commémoration de l’histoire et des séquelles des pensionnats demeure un élément essentiel du processus de réconciliation ».

    L'église catholique de la réserve autochtone de Sugarcane.

    L'église catholique de la réserve autochtone de Sugarcane.

    PHOTOGRAPHIE DE Sugarcane Film LLC

    En mars 2022, les représentants des peuples autochtones canadiens ont été reçus par le pape François au Vatican. Celui-ci leur a présenté ses excuses, rappelant que les actes odieux dont ils avaient été victimes étaient contraires aux valeurs de l’Église. Des paroles qui, si elles ne pourront jamais effacer le mal commis, ont été appréciées par les représentants.

    Tout au long de l’enquête, le documentaire Sugarcane : les ombres d’un pensionnat nous immerge dans les traditions des Premières Nations, notamment à travers la danse ou l’artisanat. Véritables parenthèses au milieu des récits de violences, elles mettent l’accent sur la transmission des traditions, envers et contre tout.

    « Sugarcane : les ombres d’un pensionnat », est disponible sur Disney+.

    Sugarcane : les ombres d’un pensionnat a été produit par National Geographic Documentary Films. Il a reçu plusieurs récompenses, notamment aux Critics’ Choice Awards ou encore au Sundance Film Festival avec l’Award du meilleur réalisateur pour un documentaire américain ainsi qu’un Sundance Institute Vanguard Award. Ce documentaire est en lice pour l'Oscar du meilleur film documentaire. Rendez-vous dans la nuit du 2 au 3 mars pour suivre en direct la 97e cérémonie des Oscars sur Disney+.

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