En Amazonie, les peuples natifs menacés par une ruée vers l’or clandestine
Les communautés natives et les peuples isolés du Brésil sont menacés par diverses mesures du gouvernement de Jair Bolsonaro visant à légaliser l’exploitation minière et forestière ainsi que l’agriculture industrielle sur leurs territoires.
Un manifestant indigène participe à une marche devant le Congrès national du Brésil à Brasilia. Les tribus du pays tout entier se sont rassemblées pour protester contre un projet de loi, appelé PL490. Il vise à légaliser les exploitations minières et forestières, ainsi que d’autres projets industriels néfastes pour l’environnement, sur les terres indigènes. En outre, l’autorisation des communautés locales ne serait pas requise.
Les tensions entre les chercheurs d’or clandestins et les communautés indigènes ont éclaté en violents affrontements ces dernières semaines en Amazonie brésilienne. Les législateurs se sont alliés au président Jair Bolsonaro afin de poursuivre activement la mise en place de mesures visant à restreindre les protections territoriales et légales des peuples indigènes.
Depuis la mi-mai, les chercheurs d’or ont lancé une série d’attaques éhontées contre les peuples Yanomami et Munduruku, respectivement dans les États du Roraima et du Pará.
Les chefs indigènes considèrent que leurs communautés font face à l’époque la plus dangereuse pour elles depuis le retour de la démocratie au Brésil dans les années 1980, après plus de 20 ans de dictature. Les menaces de mort et les intimidations sont quotidiennes dans certaines régions. Les chefs Munduruku estiment que leurs populations vivent dans un « état de guerre ».
En mai, des mineurs et certains collaborateurs natifs du territoire des Munduruku ont mis le feu aux maisons de plusieurs chefs tribaux. Un acte de représailles face à une descente de police après la découverte d’un nouveau filon d’or.
Récemment, au moins huit attaques distinctes ont été rapportées au sein du territoire des Yanomami, notamment une fusillade entre des chercheurs d’or et des villageois, selon les dires de l’Association Hutukara Yanomami. Au cours d’un affrontement, deux enfants natifs se sont noyés, pris de panique, alors que des mineurs ouvraient le feu avec des armes automatiques depuis des canots à moteur. Lors d’une autre rixe, des mineurs ont attaqué un canoë avec huit enfants à bord. Ils ont tous réussi à atteindre le rivage sains et saufs et à se cacher dans les fourrés.
Au sein des deux territoires, les agents de la police fédérale brésilienne, intervenus à l’origine pour calmer les tensions, ont également été attaqués par les chercheurs d’or, surnommés garimpeiros.
Vue aérienne d’un garimpo, une exploitation minière clandestine. On peut y apercevoir des chemins de destruction à travers la forêt tropicale aux abords du territoire des Menkragnoti, dans l’État de Pará au Brésil. Afin de séparer l’or des sols sablonneux de l’Amazonie, les mineurs utilisent du mercure hautement toxique, contaminant les rivières et les cours d’eau. En 2021, les mineurs ont attaqué des communautés natives dans les États de Pará et Rorarima.
Pendant ce temps, à Brasilia, les conservateurs radicaux de la chambre basse du Congrès national du Brésil ont surmonté un obstacle majeur le mois dernier. Ils tentent de remodeler la constitution de 1988 pour autoriser les activités commerciales sur les terres natives.
Le projet de loi 490, appelé PL490, prévoit de légaliser l’exploitation minière et forestière, l’agriculture industrielle et d’autres types de projets considérés « d’intérêt national » sur les terres natives, et ce, sans l’accord des communautés locales. Ce projet controversé a été approuvé le 23 juin par la Commission Constitution, Justice et Citoyenneté du pays et va maintenant être présenté à la chambre basse, appelée la Chambre des députés, avant d’être envoyé au Sénat. Les conservateurs alliés de l’industrie agricole, les ruralistas, ainsi que les fondamentalistes évangéliques, détiennent la majorité dans les deux chambres.
Cette mesure générale ouvrirait également la voie pour la formulation de contestations judiciaires autour des frontières des territoires natifs. Elle menacerait de réduire la taille de certaines terres, voire d’en éliminer certaines. Au Brésil, 441 territoires natifs ont été délimités et officiellement reconnus et 237 autres sont en cours de reconnaissance. Les plus grands territoires natifs du pays se trouvent dans la forêt tropicale. Ils recouvrent un quart de la région amazonienne brésilienne.
Selon les critiques, le paramètre sans doute le plus inquiétant serait que ce projet de loi autoriserait le gouvernement à revoir et réduire les frontières de plusieurs territoires désignés à protéger les peuples isolés. Des agents de terrains de la Fondation nationale de l’Indien (FUNAI) au Brésil ont confirmé l’existence de vingt-huit groupes natifs isolés dans le pays. Il pourrait y en avoir soixante-dix autres. Cette législation controversée pourrait également ouvrir la voie aux contacts forcés avec ces groupes extrêmement vulnérables au nom d’un intérêt national majeur. Elle permettrait même à des tiers de participer à des opérations de contact organisées.
« Et qui seraient ces tiers ? », demande Fabricio Amorim, vétéran de la FUNAI depuis dix ans, aujourd’hui collaborateur pour l’Observatório dos Direitos Humanos dos Povos Indígenas Isolados e de Recente Contato, un groupe de défense d’intérêt brésilien. « Des missionnaires, bien évidemment. Le projet PL490 profite non seulement aux ruralistas mais aussi aux évangélistes qui partagent ce point de vue extrémiste visant à répandre la parole du Christ aux tribus isolées ».
Depuis 1987, la loi brésilienne interdit les contacts forcés avec les tribus isolées, excepté comme dernier recours pour épargner un groupe d’un incident ou d’une maladie dévastatrice. Cette interdiction concorde avec les valeurs progressistes exprimées dans la constitution, visant à respecter le choix des peuples natifs à vivre selon leurs modes de vie sur leurs terres ancestrales sans entrave. Mais la nomination de missionnaires à des postes clés du gouvernement Bolsonaro, y compris à la FUNAI, fait craindre la mise en place imminente de campagnes de contact et d’évangélisation des tribus isolées.
L’adoption de l’entièreté du projet ou de certaines de ses parties en tant que loi dépend en majeure partie du Tribunal suprême fédéral brésilien. Le Tribunal se penche actuellement sur une affaire connexe concernant une mesure soutenue par les ruralistas. Elle exige des tribus de prouver leur présence au sein de leurs propres territoires lors de la ratification de la constitution le 5 octobre 1988. Cette dernière a été rédigée dans le projet de loi 490 et a suscité de vives critiques de la part des chefs natifs et des défenseurs des libertés.
Des manifestants indigènes dansent devant le Congrès brésilien à Brasilia le mois dernier. Ils protestent contre la loi qui supprimerait la protection accordée aux terres indigènes et à leurs droits inscrits dans la constitution brésilienne. Les chefs indigènes considèrent que leurs communautés font face à l’époque la plus dangereuse depuis le retour à la démocratie au Brésil dans les années 1980 après plus de 20 ans de dictature militaire.
« Dans le cas des tribus isolées, c’est impossible d’appliquer cette chronologie », assure M. Amorim. « On ne peut pas prouver qu’elles étaient à un endroit donné au moment de la ratification de la constitution. » En outre, de nombreux groupes sont en déplacement constant, que ce soit pour suivre les routes migratoires traditionnelles ou échapper à la pression des étrangers.
Même si la mesure est refusée par le Congrès ou les tribunaux, M. Amorim craint que Jair Bolsonaro ne laisse expirer plusieurs ordonnances de protection des terres dans les mois à venir. Ces ordonnances protègent provisoirement sept territoires abritant des peuples isolés des exploitations commerciales. Quatre de ces décrets arriveront à expiration dans l’année ou l’année prochaine. Une cinquième ordonnance, destinée à protéger le peuple nomade des Kawahiva à Mato Grosso, risque de perde son statut légal si le projet de loi est adopté. Des agents de la FUNAI ont confirmé la présence de ces nomades depuis 1996.
UNE INCITATION À LA VIOLENCE
Quelle que soit l’issue du PL490, les critiques assurent que le débat du Congrès à ce propos a favorisé la légitimation de certains points de vue extrémistes concernant les frontières des terres natifs. S’en est suivi une augmentation des effusions de sang et des tentatives d’introduction au sein des territoires protégés.
« C’est une incitation à la violence », estime Jeremy Campbell, anthropologue à l’université George Mason, spécialisé dans les régimes fonciers natifs au Brésil. « Ça donne le feu vert pour davantage d’invasions des terres. Les gens ont ainsi un moyen permissif pour ignorer les droits des natifs. »
« Ils veulent anéantir notre mémoire, notre existence », témoigne Alessandra Korap du peuple Munduruku à National Geographic, par téléphone depuis son village près de la rivière Tapajós. Elle revenait tout juste du territoire des Munduruku, déchiré par les conflits, après une semaine à Brasilia. Elle y a rejoint près de 800 manifestants natifs de tout le pays pour protester contre le projet de loi 490. Les militants ont été accueillis par des policiers anti-émeutes armés de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène. « Ils veulent effacer notre histoire et effacer les peuples natifs du Brésil pour ouvrir la voie aux exportations », a-t-elle déclaré.
Des manifestants natifs à Brasilia ont publié une lettre ouverte le 16 juin en demandant la destitution du président de la FUNAI, Marcelo Augusto Xavier da Silva, nommé par Bolsonaro. Ils évoquent une complicité de la part de la FUNAI pour le démantèlement de décennies de lois et d’institutions qui protégeaient leurs droits et leurs terres. La lettre a qualifié le mandat de M. da Silva comme le « pire » de l’histoire de la FUNAI. Ses auteurs affirment également que l’agence a failli à son devoir de protection des droits des Natifs au profit « des intérêts privés et suspicieux de l’industrie agricole, de l’exploitation minière clandestine et de nombreuses autres menaces qui mettent [leur] existence en danger ».
Une mine d’or illégale dans le territoire indigène des Munduruku, le long de la rivière Tapajós, dans l’État du Pará. L’exploitation minière est un véritable désastre écologique et suscite des conflits avec les 14 000 Munduruku qui vivent dans la région. Près de 30 tonnes d’or sont extraites clandestinement dans l’État chaque année selon les estimations officielles. Selon les critiques, l’exploitation minière clandestine est une entreprise criminelle violente à forte intensité de capital qui sème la terreur au sein des communautés indigènes.
En plus de présider la FUNAI, M. da Silva est également officier de la police fédérale brésilienne. Depuis avril, il a ordonné à des collègues policiers d’enquêter sur plusieurs chefs natifs et même sur neuf employés de la FUNAI. Les accusations vont de la « diffamation » de l’image du Brésil à l’étranger à la tentative d’empêcher la construction d’une ligne électrique sur le territoire natif des Waimiri-Atroari, à Roraima. Les chefs natifs soutiennent que M. da Silva a orienté la mission de l’agence vers la persécution des populations tribales plutôt que vers leur protection.
Dans une réponse écrite aux questions de National Geographic, la FUNAI a nié tout méfait et a assuré travailler pour surmonter des « décennies d’échecs » causés par « des intérêts inavoués, un manque de transparence et une forte présence d’organisations non gouvernementales ». S’autoproclamant « la nouvelle FUNAI », l’agence a affirmé que ses opérations visaient à « promouvoir l’autonomie des peuples natifs, qui doivent être, sans l’ombre d’un doute, les protagonistes de leur histoire ». La déclaration offrait également son soutien pour un « débat de grande ampleur » au Congrès à propos des clauses qui modifieraient la constitution et ouvriraient les territoires autochtones à l’exploitation minière, malgré les méthodes d’extraction de l’or dans l’Amazonie, ravageant les forêts et polluant les cours d’eau avec du mercure hautement toxique.
En réponse à un ordre du Tribunal suprême fédéral visant à rétablir la sécurité dans la région, des policiers fédéraux, des troupes de l’armée ainsi que des agents de la FUNAI et de l’IBAMA, un institut de protection de l’environnement, sont arrivés le 28 juin sur le territoire autochtone des Yanomami, où résident 25 000 personnes. Néanmoins, les experts indiquent qu’un effort concerté sera nécessaire, accompagné de centaines, si ce n’est de milliers, de personnes pour déloger les 10 000 à 20 000 chercheurs d’or exerçant clandestinement dans la région. Personne ne sait vraiment si le gouvernement a la volonté d’entreprendre une telle opération.
« La combinaison de l’avidité et de l’impunité sont à l’origine de cette nouvelle ruée vers l’or dans ce territoire », affirme Bruce Albert, un anthropologue qui étudie les Yanomami depuis 1975 et directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement à Paris. Bien loin d’être une industrie artisanale, les opérations minières actuelles sont « des entreprises criminelles mécanisées et capitalisées capables de déployer des forces armées afin de résister au peuple Yanomami ».
Scott Wallace est professeur associé de journalisme et auteur du livre The Unconquered: In Search of the Amazon’s Last Uncontacted Tribes (Les insoumis : à la recherche des dernières tribus isolées de l’Amazonie).
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.