En Turquie, un barrage va engloutir une partie du patrimoine
Une retenue d’eau très controversée sur le Tigre va submerger 300 sites archéologiques. Parmi ceux-ci, Hasankeyf, un village de 12 000 ans taillé dans la roche.
La Turquie n’a pas de pétrole, mais elle a de l’eau. Pour exploiter cette ressource, l’État a lancé le Projet pour l’Anatolie du Sud-Est (GAP, suivant l’acronyme turc). Dans ce cadre, vingt-deux barrages sur le réseau fluvial du Tigre et de l’Euphrate ont déjà été construits.
Le plus important d’entre eux est situé sur le Tigre, à Ilısuà. Sa construction a été entamée en 2006, et la structure va bientôt voir le jour. Problème : le barrage controversé engloutira environ 80 % de Hasankeyf, un village de 12 000 ans, taillé dans la roche, comportant notamment une citadelle, deux palais et un vieux pont. Il provoquera le déplacement de ses 3000 résidents. 300 sites archéologiques et des dizaines d’autres villages se retrouveront également sous les eaux, ce qui obligera quelque 15 000 personnes à se déplacer. L’ouvrage étant pratiquement achevé, la submersion pourrait démarrer en 2019.
En mars 2018, les habitants de Hasankeyf ont protesté lorsque des fonctionnaires sont venus présenter aux commerçants du bazar historique des avis d’expulsion et leur ont demandé de commencer à emménager dans les locaux commerciaux récents du « Nouveau Hasankeyf » – une suite d’immeubles ternes, pour la plupart inhabités, construits sur une plaine voisine.
Les marchands ont objecté que leurs commerces ne pouvaient pas vivre dans une ville fantôme. L’éviction, affirmaient-ils, portait atteinte à leur droit au travail, en tant qu’êtres humains. Ils ont remporté cette bataille, du moins temporairement. Depuis le début de la construction du barrage d’Ilısu, il y a quelques années, les habitants de Hasankeyf vivent dans une incertitude insupportable, ignorant quand ils devront partir de chez eux.
Le gouvernement devait commencer à remplir le réservoir en juillet dernier. Cela ne s’est pas produit. Alors les gens attendent, et vivent. C’est comme si, aussi longtemps que Hasankeyf n’est pas inondé, il était plus facile de croire qu’il ne le sera jamais.
Extraits du reportage “Le passé englouti” de Suzy Hansen et Mathias Depardon, paru dans le numéro de novembre 2018 du magazine National Geographic.