On utilisait autrefois des "bouteilles de sorcière" pour conjurer les malédictions

« Gardez-la cachée, gardez-la au chaud », disait-on de ces capsules anti-envoûtement dans l'Angleterre du 17ᵉ siècle. Les raisons en sont effrayantes, mais souvent mal comprises.

De Simon Ingram
Publication 30 sept. 2024, 16:30 CEST
Cette cruche pâle aux motifs reptiliens fut déterrée en 2004 d'une fosse du 17ᵉ siècle, sous ...

Cette cruche pâle aux motifs reptiliens fut déterrée en 2004 d'une fosse du 17ᵉ siècle, sous le Rochester Independent College, puis redécouverte en 2021. Son contenu étrange, une pièce de monnaie, des clous en cuivre, une dent et de fins cheveux blancs, suggère qu'elle a été utilisée comme une « bouteille de sorcière », dans le cadre d'un rituel visant à éloigner les forces malveillantes présumées.

PHOTOGRAPHIE DE Nicki Komorowski

La bouteille était plus petite et plus robuste qu'une bouteille de vin, avec un goulot fin, une hanse et des motifs de peau de reptiles. Contrairement aux autres fragments de poterie, cette bouteille était intacte et a attiré l'attention d'Ellen Crozier, directrice adjointe d'une école privée au Royaume-Uni, en 2021.

Exhumée en 2004 d'une fosse du 17ᵉ siècle située sous le Rochester Independent College, la bouteille avait été oubliée jusqu'à la découverte d'Ellen Crozier.

« Quelqu'un a plaisanté en disant que cela pourrait être une bouteille de sorcière », se souvient-elle. Mais lorsque son contenu fut examiné - des clous en cuivre, une pièce de monnaie, une dent et des cheveux fins ressemblant à ceux d'un enfant blond - Ellen Crozier fut parcourue par des frissons. Les experts datent la bouteille de la fin des années 1600.

L'idée de cocktails enfouis par superstition pendant des siècles suffit pour que n'importe quel habitant d'une vieille bâtisse anglaise regarde l'âtre d'un œil circonspect. Et pourtant, le terme « sorcière » peut avoir déformé leur vraie nature, surtout si l'on considère le peu de preuves dont disposent les archéologues.

« Il y en a beaucoup moins que, par exemple, des chaussures dissimulées », soulève Ceri Houlbrook, professeure de folklore et d'histoire à l'université du Hertfordshire. « Des milliers de chaussures dissimulées ont été retrouvées [dans les murs], et seulement une centaine de bouteilles de sorcière. »

Selon Ceri Houlbrook, les chaussures, les fers à cheval ou les bouts d'arbres dissimulés dans les murs d'une maison sont des objets apotropaïques, c'est-à-dire des objets destinés à repousser les ennemis. Dans les années 1600, « il était tout aussi probable que l'on cache quelque chose dans sa maison pour la protéger de la foudre ou du feu que du malheur », explique Houlbrook.

Cependant, la présence de bouteilles de sorcière signifiait que l'on soupçonnait des forces malfaisantes d'être à l'œuvre. Il ne s'agissait pas d'amulettes, mais d'objets apotropaïques plus ciblés. Alors à qui ou à quoi servaient-elles ?

« N'importe quelle personne que l'on pensait envoûtée », explique Nigel Jeffries, qui travaille au Museum of London Archaeology (MOLA). Il note que les livres médicaux du 17ᵉ siècle contenaient de nombreux diagnostics de ce mal, allant des crises de boulimie aux vomissements. En fait, tout comportement excentrique pouvait être le signe d'une influence malveillante. Deux constantes toutefois, selon Jeffries, apparaissent : « premièrement, la personne ne sait jamais qu'elle est ensorcelée et deuxièmement, elle n'a aucune idée de qui l'a ensorcelée. »

 

UN RITUEL PASSIONNÉ

Selon Jeffries, les plus anciennes bouteilles de sorcière étaient généralement fabriquées en grès, en particulier des cruches Frechen provenant d'Allemagne et commercialisées sur les marchés anglais. Certaines avaient un visage « Bartmann » (barbu en allemand) et étaient surnommées « barbes grises » ou « Bellarmines ». Les bouteilles en verre, comme celles récemment mises au jour au Texas, aux États-Unis, sont apparues plus tard.

Cette cruche Bellarmine datant du 17ᵉ siècle et provenant de la ville de Lincoln, au Royaume-Uni, représente le visage barbu emblématique d'un « Bartmann ». Souvent utilisées en tant que « bouteilles de sorcière », ces cruches en grès étaient remplies d'objets pointus ou de fluides corporels pour conjurer les malédictions et les forces malveillantes.

PHOTOGRAPHIE DE Sabena Jane Blackbird, Alamy

L'utilisation de ces bouteilles comme dispositifs anti-ensorcellement est décrite dans des textes comme The Astrological Practice of Physick (1671) et Saducismus Triumphatus (1681). Un récit fait état d'une femme Suffolk soignée par un guérisseur. On a dit à son mari de « prendre l'urine de sa femme... et de la mettre dans une bouteille avec des clous, des épingles et des aiguilles avant de l'enterrer dans la terre ». C'est ce qu'il fit et elle commença à se rétablir. Cependant, plus tard, une femme en détresse arriva, affirmant que le remède avait tué son mari, qu'elle croyait être le sorcier qui l'avait maudite, ce qui démontre la forte croyance dans le pouvoir de ces bouteilles.

D'après Ceri Houlbrook, l'étrange contenu, les épingles tordues, les déchets, les os et l'urine, repose sur la « magie sympathique », une partie essentielle de la médecine du 17ᵉ siècle. Ces objets reliaient symboliquement la bouteille à la fois à la victime et à la sorcière, de sorte que « tout ce qui arrivait à la bouteille arrivait à la sorcière », dit-elle.

Dans leur enthousiasme à briser de prétendues malédictions, certaines personnes faisaient bouillir le contenu des bouteilles, provoquant des explosions désordonnées, ou y incluaient des objets pointus comme des épingles pliées pour infliger une douleur au lanceur de sorts.

La plupart d'entre elles étaient enterrées dans des endroits légèrement plus chauds, sous les foyers par exemple, mais les berges des rivières, les fossés et les cimetières étaient également des lieux d'inhumation courants. Contrairement aux clichés, si les cheminées dissimulaient souvent des cœurs et des chaussures percées, on n'y a pas trouvé de véritables bouteilles de sorcière, précise Ceri Houlbrook.

« C'est cependant devenu un élément important du paganisme moderne », ajoute-t-elle. « Sur YouTube et sur TikTok, certaines personnes disent : "Je réalise une bouteille de sorcière. J'utilise de l'eau, et non de l'urine. J'utilise des pierres précieuses et des objets pointus, et je la mets dans la cheminée ou dans mon foyer". Ils utilisent le terme "bouteille de sorcière", mais c'est quelque chose de très différent de ce que l'on faisait au 17ᵉ siècle, bien moins spécifique. »

 

DISSIMULÉE PUIS RÉVÉLÉE

Leur nom est peut-être l'un des aspects les plus troublants des bouteilles de sorcière. Selon Jeffries, le terme « sorcière » n'était pas associé à ces bouteilles avant les années 1840. Au 17ᵉ siècle, les envoûtements étaient vus comme faisant partie de la vie. « Les bouteilles de sorcière relèvent beaucoup plus du domaine de la sorcellerie mais c'est parce que tout le monde lit mal les preuves », explique Nigel Jeffries.

Depuis 2019, Ceri Houlbrook et Nigel Jeffries ont travaillé sur un projet pour le Museum of London Archaeology (MOLA) pour percer le mystère qui entourait ces bouteilles.

Leur recherche, qui sera bientôt publiée dans Bottles Concealed and Revealed, suggère que les bouteilles de sorcière concernaient davantage la médecine que les persécutions de sorcières, une distinction qui est simplement devenue floue avec le temps.

« Il existe une distinction intéressante entre les personnes qui enterraient des objets dans leur maison pour la protéger d'un mal potentiel et les bouteilles de sorcière qui étaient spécifiquement prescrites par des guérisseurs pour une personne déjà ensorcelée », explique Ceri Houlbrook. « Elles n'étaient pas faites pour protéger. Beaucoup d'écrits sur les bouteilles de sorcière n'ont pas été clairs à ce sujet. »

Malgré l'association avec la superstition rurale, les bouteilles de sorcière n'étaient pas réservées à une seule classe sociale. « On les retrouve en ville aussi », relève Ceri Houlbrook. « Dans des manoirs, même des propriétés ecclésiastiques. Pas seulement d'humbles chaumières. »

Si des bouteilles de sorcière ont été découvertes aux États-Unis, les plus anciennes sont concentrées dans l'est et le sud-est de l'Angleterre, probablement importées d'Europe, ce que Nigel Jeffries attribue à un lien culturel fort. « Aux Pays-Bas, au 16ᵉ siècle, il existe des documents attestant de l'utilisation des mêmes pratiques d'urine portée à ébullition, des clous et des cheveux, mais dans des casseroles en métal », explique-t-il.

 

LE MYSTÈRE RESTE ENTIER

Les bouteilles de sorcière renferment-elles d'autres secrets ? « Oui. Absolument », soutient Nigel Jeffries. Dans le cadre du projet pour le MOLA, son équipe a passé des bouteilles aux rayons X, a lancé des appels sur les réseaux sociaux et a décapsulé des trouvailles intactes en direct sur Facebook, mais il veut faire quelque chose « d'un peu plus scientifique ».

« Ce serait merveilleux d'avoir une bouteille encore scellée in situ. Pour la déterrer comme il se doit, faire analyser l'urine, ce genre de choses. Nous n'avons pas eu l'occasion de le faire ». Nigel Jeffries ajoute qu'il n'a « absolument aucun doute sur le fait que des dizaines d'entre elles » restent cachées sous les cheminées de vieux bâtiments dans l'est de l'Angleterre.

Si les pratiques ont changé, les rituels du 17ᵉ siècle restent encore très flous. Ceri Houlbrook est toujours surprise par la solidité des bouteilles en grès et s'imagine que quelqu'un à l'époque devait valoriser cette robustesse : « Oui, elle est robuste. C'est une bonne bouteille. »

Pour Ellen Crozier, la bouteille de sorcière 147 avait une signification plus profonde. « J'imagine une mère dont l'enfant était malade et qui ne savait pas quoi faire d'autre », explique-t-elle. « Elle a utilisé le symbolisme pour prendre le contrôle sur quelque chose qu'elle ne pouvait pas maîtriser. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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