Sacagawea, l'Amérindienne entraînée dans la conquête de l'Ouest

En 1804, guidés par une jeune Shoshone, Lewis et Clark ont traversé l’ouest américain jusqu’au Pacifique. Sacagawea, qui leur servait de guide et d'interprète, avait été enlevée à l'âge de douze ans, avant d'être entraînée dans la conquête de l'Ouest.

De Marie Zekri
Publication 23 avr. 2025, 16:10 CEST
Statue de Sacagawea, guide et interprète amérindienne lors de la première expédition américaine vers l’ouest au ...

Statue de Sacagawea, guide et interprète amérindienne lors de la première expédition américaine vers l’ouest au début du 19e siècle, érigée dans le parc marin de Cascade Locks dans l’État de New York.

PHOTOGRAPHIE DE George Ostertag / Alamy Banque d'Images

Au début du 19e siècle, alors qu’elle est âgée d’environ douze ans, Sacagawea, ainsi que d’autres jeunes filles du clan des Lemhi Shoshones, sont enlevées au cours d’une bataille par une tribu ennemie issue de la nation des Hidatsas. Arrachée à sa terre natale, située dans l’actuel État de l’Idaho, au nord-ouest des États-Unis, la jeune fille est réduite en esclavage dans le Dakota du Nord, plus à l’est. 

Toussaint Charbonneau, originaire des colonies françaises du Canada, était un « coureur de bois », comme sont alors appelés les colons qui commercent indépendamment avec les Amérindiens et les premières grandes entreprises américaines comme, par exemple, la compagnie de la Baie d’Hudson. À cette époque, la présence coloniale est encore loin d’être en position de supériorité. Les colons tentent de trouver une position diplomatique au sein des populations locales, afin d’assurer leur propre sécurité économique. 

Toussaint avait établi un étroit commerce de fourrures avec les Hidatsas et vivait depuis quelque temps dans la région. Un jour, il rencontra Sacagawea, et parvint à la remporter lors d’un pari. Elle devint alors sa deuxième épouse. « Dans ce contexte, de nombreux mariages mixtes eurent lieu et les femmes natives devenaient en quelque sorte un moyen d’intégration pour les colons », explique Augustin Habran, maître de conférences en histoire et civilisations des États-Unis à l’université d'Orléans, et auteur d’un article intitulé La voix des femmes amérindiennes : vers une redéfinition de l’indianité à l’ouest, publié en 2016 dans la Revue Française d'Études Américaines. 

Mais la route de la jeune Shoshone va croiser celle de deux explorateurs américains : Meriwether Lewis et William Clark. Le destin de Sacagawea va alors prendre une tournure et une importance qui marquera le cours de l’histoire

 

UNE EXPÉDITION HISTORIQUE VERS L’OUEST

« En 1803, Napoléon décide de vendre le territoire de la Louisiane aux États-Unis pour une bouchée de pain, ce qui va doubler la superficie du territoire national et motiver les ambitions des colons vers l’ouest, jusqu’au Pacifique », souligne l’historien. La jeune nation américaine, bâtie sur les fondations de sa déclaration d’indépendance rédigée en 1776 pendant la révolution, en est aux balbutiements de son expansion. 

Le président américain Thomas Jefferson imagine alors un plan de colonisation, baptisé l’ordonnance du nord-ouest, et s’empresse de demander au Congrès les fonds nécessaires au financement de l’expédition de deux anciens militaires, Lewis et Clark. « L’objectif, explique Augustin Habran, est de trouver un moyen de rejoindre le Pacifique exclusivement par voie fluviale afin de faciliter les échanges commerciaux au sein du territoire, tout en ouvrant l’influence américaine vers l’Asie. » Il cherche notamment à intégrer les Indiens dans une économie coloniale qui serait bénéfique pour les États-Unis et présente cette idée sous la forme d’un « programme de civilisation » qui vise à convaincre des bienfaits de la culture occidentale. 

Partis de Saint-Louis à l’hiver 1804, Lewis et Clark avancent le long du cours du Missouri à la tête d’un groupe de colons. Ils dressent le camp de Fort Mandan, juste à côté des villages Hidatsa où vivent Toussaint Charbonneau et sa nouvelle épouse, Sacagawea. La jeune Shoshone, qui connaissait si bien les régions et les peuples de l’ouest dont elle était originaire, devint, aux yeux des deux explorateurs, une opportunité unique pour mener à bien l’importante mission que leur avait confiée le président Jefferson. 

Sacagawea, alors âgée de dix-sept ans, était enceinte de son premier enfant. Elle allait être la clef de leur survie en terres inconnues, et la garante du succès de cette ambitieuse expédition. Elle donna naissance au petit Jean-Baptiste Charbonneau le 11 février 1805 et, placée à la tête d’une trentaine d’hommes, la jeune femme, son nouveau né sur le dos, ouvrit la première marche de la légendaire conquête de l'ouest.

Sacagawea en compagnie de Lewis et Clark aux trois fourches, murale exposée à la Chambre des ...

Sacagawea en compagnie de Lewis et Clark aux trois fourches, murale exposée à la Chambre des représentants du Montana, par Edgar Samuel Paxson. 

PHOTOGRAPHIE DE IanDagnall Computing / Alamy Banque d'Images

Selon les récits de Lewis et Clark, Sacagawea accompagnait, renseignait, traduisait, interprètait. Elle guida d’abord l’expédition dans les régions de l’Idaho et du Montana. Sa connaissance des langues Shoshone et Hidatsa lui permit de communiquer avec de nombreuses tribus rencontrées sur la route, ce qui fournit aux explorateurs de précieuses informations quant aux contextes géographiques et politiques des régions environnantes. Sa présence, ainsi que celle de son enfant facilita parfois le contact avec leurs interlocuteurs. Enfin, sa connaissance des plantes et son sang froid permirent à l’expédition de tenir bon, y compris en contexte de crise, en proie au froid et à la rudesse des éléments, notamment au niveau des montagnes rocheuses

En août 1805, elle parvint à atteindre le territoire des Shoshones, sa terre d’origine. Sacagawea y retrouva son frère, Cameahwait, chef de la tribu, et négocia avec lui une aide pour accompagner la fin de l’expédition jusqu’au Pacifique qu’elle finit par atteindre le 15 novembre 1805 dans l'État actuel de l’Oregon. « Cet évènement va être la première étincelle qui motivera le déferlement de pionniers tout au long du 19e siècle vers l’ouest, avec la découverte d’or en Californie en 1849, le développement des pistes de bétails, des voies de chemin de fer, etc. », explique Augustin Habran. En l'espace de cinquante ans, les États-Unis ont atteint le Pacifique et possèdaient l’intégralité du territoire. 

 

DES FIGURES DE RÉSISTANCE ET DE RÉSILIENCE

Il est difficile de déterminer à quel point Sacagawea a eu le choix de prendre part à cette expédition. Néanmoins, elle parvint, dans un contexte historique colonial complexe, à négocier les premières relations diplomatiques avec les populations autochtones rencontrées sur la route de l’Ouest. Et elle ne fut pas la seule dans ce cas. « Il se trouve que les femmes issues des nations amérindiennes ont occupé un rôle prépondérant dans la diplomatie, la négociation et la facilitation des échanges avec les colons », souligne l’historien. Son voyage témoigne de leur position alors que la colonisation occidentale gagne du terrain au cœur des territoires et des sociétés locales. 

Par exemple, traditionnellement, elles occupaient un rôle central, hérité de mythes étiologiques, à la fois dans la vie politique, mais aussi religieuse des clans. Elles faisaient la guerre au même titre que les hommes, lesquels étaient parallèlement chargés de la chasse. Elles étaient également considérées comme les « mères nourricières de la communauté », responsables des foyers, de la transmission des savoirs des clans aux enfants, ainsi que de l’agriculture. 

Or, aux prémices de la conquête de l’Ouest, les colons tentèrent de s’implanter sur les territoires et établirent des alliances commerciales, politiques, et bien souvent matrimoniales. Ils introduisirent progressivement des codes genrés, avec d’un côté des femmes pieuses converties à la foi chrétienne, modèles de vertu et d'obéissance, et de l’autre, des hommes pas vraiment citoyens, mais plutôt fermiers de la nation américaine. « Cette vision est en profonde rupture avec les valeurs matrilinéaires caractérisant la plupart des cinq cents nations amérindiennes de l’époque », fait remarquer Augustin Habran. 

Cependant, les femmes autochtones n'étaient pas systématiquement subordonnées à cette période de la colonisation. « Elles parvenaient bien souvent à œuvrer en faveur du maintien de leur statut ancestral, caractérisé par une agentivité propre et une capacité d’autodétermination », poursuit l’historien. Cela passe notamment par leur position diplomatique au cœur des négociations, mais aussi et surtout par ce qu’il qualifie de « mimétisme stratégique », une forme de résistance par l’acculturation. Autrement dit, « on utilise les armes légales et juridiques, le langage ainsi que la technologie de la sphère coloniale pour défendre sa propre souveraineté ». Sous l’égide d’une élite métisse, la nation Cherokee va par exemple rédiger une constitution en 1827, à la fois en anglais et en langage cherokee afin de protéger son intégrité. 

 

UN COMBAT QUI SE POURSUIT 

« La conquête de l’ouest est très éloignée en réalité du récit linéaire d’une destinée manifeste, providentielle qui a conduit les colons vers une terre promise ». Depuis 1607, les rapports de force, d’abord défavorables aux colons, se sont relativement équilibrés sur une longue période. Mais la situation est renversée sur la deuxième moitié du 19e siècle. Un grand nombre de massacres et de déportations vers des réserves ont été perpétrés par les colons américains qui ont fini par conquérir la totalité des territoires. Le siège de Wounded Knee contre le peuple Sioux en 1890 a été le dernier grand massacre amérindien.

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    PHOTOGRAPHIE DE Ryan Walter Wagner / ZUMA Press Wire / Alamy Banque d’Images

    Depuis lors, les problématiques de violence et de racisme sont toujours très vives à l’encontre des peuples autochtones, et plus encore pour les femmes. Chaque année, plus de 5 000 Amérindiennes disparaissent, notamment au Nord des États-Unis ainsi qu’au Canada, notamment sur la Fire Trail Road, située dans l’État de Washington. Sans autres formes d’enquêtes ou de procès sérieux, il en résulte que dans certaines communautés, trois femmes sur cinq ont déjà été violées, et deux sur cinq sont victimes de trafic sexuel, des chiffres dix fois plus élevés que pour le reste de la population. 

    « Les États-Unis sont la première puissance mondiale, mais également la première colonie du monde », fait remarquer Augustin Habran. Les Amérindiens sont citoyens américains depuis 1924 et ne représentent aujourd’hui pas plus de 1,7% de la population totale aux États-Unis. Près de six cents nations autochtones sont désormais reconnues par l'État fédéral, mais subissent de plein fouet les violences d’une société post-coloniale qui applique un racisme systémique à leur encontre. Problématiques de chômage, de pauvreté extrême, d’accès aux soins, d’alcoolisme, de drogues sont quotidiens dans les réserves, et cette réalité concerne une fois de plus les femmes victimes de violences domestiques - on dénombre de fréquents féminicides. 

    « Il y a aujourd’hui, et depuis quelques décennies, un mouvement de résilience et de retour aux racines, notamment par les jeunes générations, lancées dans un engagement pour la quête d’identité et la redécouverte des traditions. » Ce combat a une mouvance également fondamentalement féministe car il met en lumière le rôle central des femmes au sein des nations améridiennes. Il se réapproprie également des figures historiques emblématiques, comme Pocahontas et Sacagawea, exemples de femmes fortes qui ont su s'adapter et porter les valeurs de leur peuple.

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