Cuisiner des cuisses de grenouilles : une invention britannique ?
Se pourrait-il que les Français ne soient pas les premiers à avoir eu l’idée de cuisiner des grenouilles ? Une découverte faite en Angleterre sème le doute.
Que cela plaise ou non, on associe souvent les grenouilles aux Français.
Mais en 2013, une équipe d’archéologues a découvert des restes de cet amphibien, qui avaient de toute évidence été cuisinés d’une manière ou d’une autre, sur un site antique du Wiltshire, en Angleterre, non loin de Stonehenge. Holy cow!
Les fragments osseux découverts ont été datés et seraient vieux de 10 000 ans. « C’est bien antérieur à la première description faisant état de Français mangeant des grenouilles », indique le superviseur des fouilles, David Jacques, de l’Université de Buckingham. « Les plus anciennes sources faisant état de Français mangeant des grenouilles se trouvent dans les annales de l’Église catholique du 12e siècle. »
L’histoire de la grenouille en tant que mets est, dans le meilleur des cas, trouble. Mais selon David Jacques, il n’est pas surprenant que des chasseurs-cueilleurs se soient nourris de petits animaux tels que les grenouilles et les crapauds. « Il est tout à fait possible qu’ils aient constitué une source de protéines utiles et une source de nourriture rapide assez pratique à cuisiner. »
Mais comment un plat aussi modeste a-t-il pu finir par se retrouver sur les menus les plus raffinés ? D’après Bénédict Beaugé, écrivain gastronomique français, si l’on se réfère à certaines recettes de livres de cuisine, les cuisses de grenouilles auraient intégré la haute gastronomie française dès le 18e siècle. Mais il est difficile de savoir comment elles se sont retrouvées là, en partie parce que peu de livres de cuisine destinés au grand public ont été écrits au cours des siècles précédents.
Ce que l’on comprend mieux, en revanche, c’est la réputation qu’a l’Angleterre de ne pas aimer les grenouilles. Dans l’Oxford Companion to Food, l’auteur britannique Alan Davidson écrit que la grenouille est « perçue par les Anglais comme un ingrédient de base de l’alimentation des Français ». Il ajoute : « Que l’idée de manger des grenouilles soit repoussante pour les Anglais en particulier est légèrement déconcertante. Cela a peut-être à voir avec l’apparence répugnante (pour les êtres humains) de ces animaux ou avec l’idée qu’elles sortent toutes visqueuses de mares fétides. »
Cette idée trouve un écho dans le Larousse Gastronomique, selon qui les cuisses de grenouilles ont « généralement suscité le plein dégoût des Britanniques ».
Pourtant, des archives culinaires prouvent bel et bien qu’on s’est repu de grenouilles en Grande-Bretagne également.
Par exemple, dans The Accomplisht Cook, livre de cuisine du 17e siècle de l’Anglais Robert May, on trouve une recette de tarte comprenant des grenouilles vivantes qui « cause[raient] beaucoup de plaisir » et inciteraient les dames à « sautiller et à crier ».
D’ailleurs, le Larousse Gastronomique note que lorsqu’il travaillait à l’hôtel Carlton de Londres, Georges Auguste Escoffier, chef du 19e siècle, aurait surnommé les cuisses de grenouilles « cuisses de nymphe à l’aurore » pour convaincre le prince de Galles d’autoriser les cuisses de grenouilles à sa table.
De manière assez peu surprenante, David Jacques dit que sa découverte n’a pas tant à voir avec l’identité de ceux qui ont, les premiers, mangé des cuisses de grenouilles. « Bien plutôt, dit-il, il pourrait être avisé de se dire que toutes les personnes installées en Grande-Bretagne au Mésolithique étaient originaires de France et des régions limitrophes. »
David Jacques fait également observer que la Grande-Bretagne a été contiguë au continent jusqu’à 5 500 avant notre ère environ, période à laquelle elle s’est mise en dérive. « Peut-être que nous devrions voir là une bonne occasion d’entente cordiale, nous étions tous Français à ce moment-là ! »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise, en 2013.