Ces cartes antiques montrent comment l’humanité voyait le monde
Parcourez les cartes et atlas éblouissants de la Sunderland Collection, où se côtoient des cartographes européens du Moyen Âge, de la Renaissance et des Lumières. Certains détails sont remarquablement précis.
Sur certaines cartes historiques, comme ce planisphère de l’Atlas portulan de Battista Agnese, figurent des souffleurs de vent, des visages humains joufflus qui indiquent les directions du vent. Initialement conçus au 13e siècle comme des instruments pratiques à destination des marins, les portulans devinrent ensuite des œuvres d’art populaires.
Depuis la nuit des temps, les mystères de la Terre et des étoiles captivent les humains, qui documentent leurs investigations de façons magnifiques et variées. Par exemple, Claude Ptolémée, érudit grec d’Alexandrie, connu pour être l’« inventeur de la géographie », révolutionna ce champ d’étude en consignant d’innombrables latitudes et longitudes en degrés sur ses cartes au 2e siècle de notre ère, tandis que la projection de Gerardus Mercator, établie au 16e siècle, conserve son influence de nos jours.
Au Moyen Âge (de 500 à 1500 environ), les cartes faisaient moins office d’aides à la navigation que de « résumés visuels de l’ensemble du savoir humain », selon les mots du cartographe Peter Barber. Si, en les regardant, on pourrait être tenté de rire à la vue d’inexactitudes historiques (on représente par exemple la Californie comme une île jusqu’à la fin du 18e siècle), beaucoup de ces cartes antiques regorgent de détails remarquablement précis.
Grâce à une plateforme en ligne, Oculi Mundi (les yeux du monde), le public peut désormais parcourir du regard ces cartes et atlas rares. Ce trésor, la Sunderland Collection, montre avec quelle méticulosité les érudits européens représentèrent leur monde du 13e siècle jusqu’au début du 19e siècle. Cette collection met l’accent sur l’évolution de la cartographie et offre un aperçu des perspectives historiques et des prouesses artistiques des civilisations passées.
LES PREMIERS DÉFIS DE LA CARTOGRAPHIE
Pendant longtemps, on a cru que la Terre était le centre immuable de l’Univers et que le Soleil et les planètes tournaient autour de celle-ci ; une théorie proposée par Ptolémée lui-même. Cependant, une carte établie en 1532 par l’érudit allemand Sebastian Münster présente une autre idée : on y voit des anges déplaçant la Terre à l’aide de leviers.
Helen Sunderland-Cohen, responsable de la collection Oculi Mundi, observe que cette carte, de par son rendu unique, était à la fois subtile et révolutionnaire. « Elle a forcément dû être radicale, voire hérétique, lorsqu’elle a été créée », affirme-t-elle.
Pour les cartographes, la représentation de la forme arrondie de la Terre à plat sur du papier était un défi. Pour surmonter celui-ci, le graveur italien Giovanni Cimerlino dessina en 1566 une carte en forme de cœur qui représentait à la fois l’hémisphère oriental du monde et l’occidental, Amériques comprises.
Cette carte en forme de cœur (cordiforme) de Giovanni Cimerlino réalisée en 1556 est remarquable de par la précision de la représentation qu’elle donne de l’Amérique du Nord et du Sud.
En 1660, l’idée que les planètes tournaient autour du Soleil (modèle héliocentrique) était encore sujette à débats, bien que nous sachions désormais qu’elle est correcte. On tient d’ailleurs l’atlas céleste d’Andreas Cellarius pour l’un des plus raffinés jamais créés ; celui-ci témoigne des tentatives complexes et audacieuses des premiers cartographes de représenter le cosmos.
LES CONTRIBUTIONS RÉVOLUTIONNAIRES DES PREMIERS GÉOGRAPHES
Les cartes du passé reflètent souvent les biais culturels et politiques de leurs créateurs. Il ne s’agissait pas simplement d’instruments de navigation mais aussi d’instruments de pouvoir, de propagande et de pédagogie. Par exemple, les cartes exagéraient parfois l’étendue du territoire d’un souverain ou mettaient en valeur certaines routes commerciales pour affirmer la domination et l’influence de celui-ci.
L’une des explorations les plus importantes ayant eu lieu durant l’ère couverte par Oculi Mundi est le voyage de Christophe Colomb aux Amériques entrepris en 1492. Une carte extraite de l’Atlas ptolémaïque de Johannes Ruysch appelle l’Amérique du Sud « Terra Sancta Crucis sive Mundus Novus » (la Terre de la Sainte-Croix ou le Nouveau Monde). Il s’agit de l’une des plus anciennes cartes imprimées à représenter le continent américain.
Selon Peter Barber, bien que cette carte ne soit pas tout à fait exacte vis-à-vis des normes actuelles, elle saisit « l’enthousiasme de la découverte et la perplexité de personnes qui cherchent à savoir ce que sont les choses ».
Une autre carte attire l’attention. Un planisphère de 1603 coloré à la main par le cartographe flamand Abraham Ortelius. « Ce fut le premier atlas au sens moderne du mot, et donc une étape assez importante vers la ‘rectitude’ géographique : celui-ci assemble le monde et le présente méthodiquement, comme les atlas actuels le font », explique Helen Sunderland-Cohen.
Cet atlas est important, car il constitue le premier atlas moderne, il organise et présente méthodiquement le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. La carte d’Abraham Ortelius est également importante parce qu’elle inclut la « Terra Australis nondum cognita » (la Terre Australe Inconnue), continent hypothétique qui, pensait-on, existait dans l’hémisphère sud.
Au 16e siècle, le Theatrum Orbis Terrarum d’Abraham Ortelius fut le premier atlas moderne à donner une représentation aussi exhaustive du monde connu à l’époque.
Selon Matthew Edney, professeur d’histoire de la cartographie à l’Université du Sud du Maine, la carte d’Abraham Ortelius reflète la croyance en l’existence d’un continent austral, croyance fondée sur des idées qui avaient cours l’époque. Si les Européens commencèrent à explorer l’Australie au début du 17e siècle, ce n’est qu’au 19e siècle que les navires devinrent assez robustes pour approcher l’Antarctique. Pour Matthew Edney, cette représentation d’une vaste terre australe émergée « n’est pas une erreur ; c’est le récit d’une tentative de donner du sens au monde ».
L’ÉVOLUTION DE LA GÉOGRAPHIE
Selon Helen Sunderland-Cohen, pour appréhender la justesse des cartes historiques, il faut les saisir dans leur contexte. « Dans certains cas, ce n’est pas qu’elles sont fausses en elles-mêmes ; c’est juste qu’elles présentent cette idée ou zone géographique énorme, et qu’elles essaient de l’exprimer. »
Il n’était pas rare que les savants et les cartographes mettent en avant certaines caractéristiques en fonction des informations dont ils disposaient. Par exemple, si un savant avait une connaissance approfondie d’une route commerciale en particulier, celle-ci allait figurer en évidence sur sa carte.
Selon Katherine Parker, responsable des collections cartographiques à la Royal Geographical Society, « la plupart des nouvelles caractéristiques géographiques apparaissaient d’abord sur la carte d’un seul cartographe ». « D’autres la voyaient ensuite et décidaient de croire suffisamment ou non les sources pour l’inclure sur leurs propres cartes. »
Ces cartes historiques incluaient souvent des caractéristiques distinctives, comme des « souffleurs de vent », des visages humains joufflus représentant les directions du vent. Ceux-ci étaient à la fois fonctionnels, car ils servaient pour la navigation, et décoratifs. Au fil du temps, les cartes commencèrent à incorporer des scènes allégoriques, des illustrations représentant les saisons, par exemple.
D’une certaine manière, selon Peter Barber, les représentations cartographiques ne seront jamais complètement précises en raison du défi inhérent à la représentation d’un monde sphérique sur une surface plane. « Peu importe ce que vous couchez sur un morceau de papier plat, cela ne suffira pas en soi à dire toute la vérité, donc il faut faire des compromis, affirme-t-il. Les compromis que vous faites dépendent beaucoup de ce que l’on considère comme important. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.