Pourquoi les États-Unis convoitent-ils tant le Groenland ?

Depuis 150 ans, le Groenland ne cesse de rejeter les propositions de rachat des États-Unis, qui souhaitent profiter de son emplacement stratégique et de ses ressources naturelles.

De Jordan Friedman
Publication 25 janv. 2025, 10:56 CET
Uummannaq, une petite ville située sur une île isolée du nord-ouest du Groenland, se trouve à ...

Uummannaq, une petite ville située sur une île isolée du nord-ouest du Groenland, se trouve à 600 kilomètres au nord du cercle arctique. Des bases militaires américaines pendant la guerre froide aux ambitions actuelles liées au réchauffement de l'Arctique, l'emplacement stratégique et les ressources du Groenland continuent de susciter la convoitise du reste du monde.

PHOTOGRAPHIE DE Ciril Jazbec

Depuis désormais plus d’un siècle, l’emplacement stratégique et les précieuses ressources naturelles du Groenland en font la cible des ambitions des États-Unis, mais les dirigeants de l’île, soucieux de préserver leur indépendance, ont toujours résisté aux nombreuses propositions du pays. Des tentatives d’échange de terres aux négociations pour l’installation de bases militaires pendant la guerre froide, voici pourquoi le Groenland demeure aujourd’hui encore l’une des îles les plus convoitées au monde.

 

LES PREMIÈRES TENTATIVES

La fascination des États-Unis pour la plus grande île non continentale de notre planète remonte à la fin du 19e siècle, lorsque le secrétaire d’État William Seward, qui venait d’acheter l’Alaska à la Russie pour 7,2 milliards de dollars en 1867, commença à envisager le Groenland et l’Islande comme des territoires américains potentiels.

Un rapport commandé en 1868 par Seward, qui convoitait également le Canada, met en avant les vastes pêcheries, la faune sauvage ainsi que les « richesses minérales » du Groenland, et indique que l’acquisition de ce dernier pourrait contribuer à contraindre le Canada, situé entre l’Alaska et le Groenland, à rejoindre les États-Unis.

Cependant, le Groenland, qui est un territoire autonome du royaume du Danemark, n’est pas qu’une simple étendue déserte de glace. Depuis des siècles, l’île abrite des peuples autochtones, principalement des Inuits, qui parvinrent à prospérer dans ce rude environnement arctique et développèrent des traditions centrées sur la pêche, la chasse et des liens étroits avec la terre. Ces communautés furent cependant largement ignorées par les Américains, qui préféraient focaliser leur attention sur la position stratégique et les ressources naturelles de l’île — et ce point de vue perdura pendant de nombreuses décennies.

« Tout se résume à deux facteurs : l’emplacement et les minéraux, et pour tout dire, cela n’a pas vraiment changé », explique Peter Harmsen, journaliste établi à Copenhague et auteur de l’ouvrage Fury and Ice: Greenland, the United States and Germany in World War II.

L’offre de Seward fut rejetée, mais l’intérêt du pays pour l’île persista. En 1910, l’ambassadeur américain Maurice Egan proposa un échange élaboré au Danemark : l’échange de terres situées aux Philippines contre le Groenland et les Indes occidentales danoises. Les Danois auraient ainsi pu échanger leurs nouvelles terres avec des terres appartenant à l’Allemagne. Cependant, une fois de plus, les efforts des Américains échouèrent.

 

LE GROENLAND EN TEMPS DE GUERRE

L’importance du Groenland se révéla au cours de la Seconde Guerre mondiale. Après l’occupation du Danemark par l’Allemagne en 1940, les États-Unis prirent des mesures afin de sécuriser l’île en vertu de la doctrine de Monroe, qui condamnait toute tentative d’expansion des puissances européennes sur le continent américain.

En avril 1941, les États-Unis signèrent un accord de « défense du Groenland » avec l’ambassadeur du Danemark dans le pays leur donnant le droit de construire des bases militaires sur l’île auxquelles ils pourraient accéder librement. Les gisements de cryolithe de l’île, essentiels pour la production d’avions, devinrent une ressource critique durant la guerre. Ses stations météorologiques, quant à elles, devinrent cruciales pour prévoir les conditions en Europe, permettant ainsi de faciliter les plans des Alliés.

Quelques années plus tard, après la capitulation de l’Allemagne nazie en mai 1945, les Danois s’attendaient à ce que les forces américaines plient bagage et rentrent chez elles. Cependant, celles-ci n’avaient aucune intention de partir.

« L’île était considérée comme un élément tellement crucial pour la sécurité des États-Unis que nous n’avons pas flanché et sommes restés sur place », se souvient Brent Hardt, diplomate américain à la retraite, aujourd’hui chargé de recherche au German Marshall Fund of the United States.

 

LES TENTATIVES DE L’APRÈS-GUERRE

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis redirigèrent leur attention vers une nouvelle menace potentielle : l’Union soviétique. Tandis que la guerre froide commençait progressivement à s’installer, les officiers de l’armée et de la marine américaines réalisèrent toute l’importance de l’emplacement du Groenland, l’île étant à mi-chemin entre les États-Unis et la Russie. Pour cette raison, Owen Brewster, ancien sénateur du Maine, décrivit l’achat du Groenland comme une « nécessité militaire » ; une nécessité qui offrirait également de nombreuses possibilités d’exploration et de recherche.

En 1946, John Hickerson, représentant au département d’État des États-Unis, rapporta que les chefs militaires américains jugeaient le Groenland « indispensable à la sécurité » du pays. Des décennies plus tard, l’Associated Press révéla que les États-Unis avaient secrètement proposé d’acheter le Groenland au Danemark pour la somme de 100 millions de dollars. Le pays envisagea également d’échanger certaines terres riches en pétrole de Point Barrow, en Alaska, contre des portions de l’île.

« Les États-Unis tentent également de donner à l’Europe de l’Ouest l’image d’une force démocratique positive, qui défend des valeurs transcendantes et reconnaît l’indépendance et l’autonomie », commente Ron Doel, professeur associé d’Histoire à l’Université d’État de Floride qui a notamment contribué à la rédaction de l’ouvrage Exploring Greenland: Cold War Science and Technology on Ice.

Cette proposition choqua toutefois le gouvernement danois, décrit Hardt. « Si nous devons en effet beaucoup aux États-Unis, je ne pense pas que nous leur devions l’île du Groenland dans sa totalité », déclara Gustav Rasmussen, alors ministre danois des Affaires étrangères.

 

UNE IMPORTANCE STRATÉGIQUE CROISSANTE

En 1951, les États-Unis et le Danemark conclurent un nouvel accord permettant aux Américains de continuer à exploiter et à installer des bases militaires sur l’île, si l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’alliance militaire transatlantique formée en 1949, venait à le juger nécessaire. Cet arrangement renforça d’autant plus le rôle stratégique du Groenland dans la défense transatlantique pendant la guerre froide.

De nouveaux documents des archives nationales américaines révélant les tentatives d’achat du Groenland après la Seconde Guerre mondiale furent officiellement déclassifiés dans les années 1970. Ce n’est cependant qu’en 1991 qu’un journal danois en fit état pour la première fois, relançant ainsi le débat sur la souveraineté du Groenland et les ambitions historiques d’expansion des États-Unis.

Aujourd’hui, tandis que l’Arctique est en plein réchauffement du fait du changement climatique, ouvrant ainsi de nouvelles routes maritimes et donnant accès à des ressources encore inexploitées, l’importance de l’île ne cesse de croître aux yeux du monde. Pourtant, le Danemark et le Groenland se sont à nouveau montrés on ne peut plus fermes : le Groenland n’est pas à vendre.

« Le Groenland appartient à la population du Groenland », a commenté Múte Egede, le Premier ministre du Groenland, sur les réseaux sociaux. « Notre avenir et notre lutte pour l’indépendance sont notre affaire. »

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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