A-t-on découvert le galion disparu de la dernière expédition de Vasco de Gama ?

Les archéologues pensent avoir trouvé une épave rarissime du 16e siècle au large du Kenya : elle aurait fait partie de la flotte du navigateur portugais lors de son dernier voyage vers l’Inde.

De Marie Zekri
Publication 3 févr. 2025, 18:07 CET
Ivoire découvert en 2013 dans le ventre de l’épave de Ngomeni.

Ivoire découvert en 2013 dans le ventre de l’épave de Ngomeni. 

PHOTOGRAPHIE DE Caesar Bita

En 1524, le célèbre explorateur portugais, Vasco de Gama, embarquait pour son dernier voyage vers les Indes, accompagné d’une armada de dix-neuf navires qui transportaient plus de trois mille hommes. Consécration d’une carrière qui marqua également la fin de sa vie, ce voyage avait pour but d'asseoir l’influence et les avantages commerciaux, politiques et territoriaux du Portugal dans la région.

S’imposant en quelques décennies parmi les pays du vieux monde les plus influents dans l’océan Indien, le Portugal est devenu l’une des principales puissances coloniales au début du 16e siècle. Les voyages de Gama n’y sont pas étrangers.

Des études publiées en novembre 2024 dans la revue Springer Nature, se penchent sur une intrigante épave échouée au large des côtes du Kenya sur le récif de Ngomeni. « Il s’agit très probablement du São Jorge, l’un des navires de la troisième armada qui coula en pleine tempête au large des côtes de Malindi lors de la dernière traversée de Gama vers les Indes », explique l’archéologue Filipe Castro, co-directeur de l’étude aux côtés de Caesar Bita, archéologue maritime aux Musées nationaux du Kenya. 

Cette épave et les indices qu’elle contient vont permettre d’en savoir plus sur les premiers galions portugais étonnamment méconnus. Ces navires, conçus pour le combat et les longs voyages, furent sans conteste essentiels dans le développement de la puissance et de la notoriété politique et commerciale considérable de ce petit pays pendant l’ère coloniale

 

L'ÉPAVE DE NGOMENI 

« Cette épave est située au large des côtes de Malindi, au Kenya, et a été découverte en 2007 par des pêcheurs locaux, explique Filipe Castro. Ils ont alors contacté Caesar Bita, qui avait déjà effectué des fouilles dans la région. » Cette partie du récif de Ngomeni attire en effet depuis longtemps l’intérêt des scientifiques : située à environ cinq cents mètres des côtes, sur une portion qui n’excède pas les six mètres de profondeur, elle regroupe plusieurs épaves de différentes époques. En passant en revue quantité d’archives, l’historien du projet, Jose Virgilio Pissarra, chercheur à l’université Nova de Lisbonne, estime en effet que huit autres épaves reposeraient à ses côtés. 

Planches en bois issues de la coque de l’épave de Ngomeni.
Morceau de céramique chinoise datée du début du 16e siècle.
Gauche: Supérieur:

Planches en bois issues de la coque de l’épave de Ngomeni. 

Droite: Fond:

Morceau de céramique chinoise datée du début du 16e siècle.

Photographies de Caesar Bita

« En 2007, Caesar Bita s'est rendu sur les lieux et a immédiatement pensé qu’il pouvait s’agir du navire perdu de la troisième armada de Vasco de Gama, le São Jorge », reprend l’archéologue. De retour sur le site de fouilles en 2013, et soutenu par des financements du gouvernement chinois, l’archéologue a pu prélever un certain nombre d’artefacts commercialisés par les Portugais, notamment de l’ivoire et des lingots de cuivre, consolidant ainsi sa théorie. 

Cependant au fil des années de recherche, une seconde option quant à l’identité de l’épave est apparue : « il peut s’agir effectivement du São Jorge, mais également du Nossa Senhora da Graça de l’armada de Fernão Peres de Andrade, qui navigua en 1544 vers l’Inde avant de couler dans la même région, » explique Filipe Castro.

Les indices convergent aujourd’hui davantage vers l’hypothèse du São Jorge. « Les céramiques chinoises et Perses qui y ont été récemment découvertes, datent du tout début du 16e siècle, » précise le chercheur. « Il est plus probable qu’une porcelaine de 1510 se retrouve dans un navire de 1524 plutôt que dans un navire de 1544. Elles étaient de fait bien plus populaires au début qu’au milieu du siècle » fait-il remarquer. 

Mais ces marchandises ne sont les seuls témoignages du puissant galion que les scientifiques peuvent faire parler. Des éléments des structures en bois de sa coque, à demi enfoui dans les sédiments, ont su résister à cinq siècles sous les mers depuis le jour du naufrage : il s’agit là de précieux indices pour enfin mieux comprendre la conception de ces navires. 

 

LE DERNIER VOYAGE DE GAMA 

S’il s’agit de l’épave du São Jorge, l’un des premiers galions portugais, les scientifiques pourraient bien percer les mystères des avancées technologiques d’époque qui ont permis la conception avant-gardiste de vaisseaux aussi rapides, puissants et endurants. « Ils permettaient en effet des voyages de plus de six mois en mer, » ajoute Filipe Castro. 

En comparaison, trente ans plus tôt, Christophe Colomb effectuait sa première traversée d’environ cinq mille kilomètres vers les Amériques en trente-six jours, tandis que Vasco de Gama réalisait son périple vers les Indes en quatre-vingt-treize jours. Les galions de sa flotte ont ainsi pu résister à de longs et périlleux voyages sur plus de trente mille kiloomètres. 

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    Astrolabe découvert parmi les artefacts présents à bord de l’épave de Ngomeni.

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    PHOTOGRAPHIE DE Caesar Bita

    Le navigateur fut d’ailleurs le premier à réaliser, sous le commandement du roi du Portugal, Manuel Ier, la traversée jusqu’aux Indes par route maritime directe en 1498. Il y retourna en 1502 afin d’appuyer les intérêts commerciaux du Portugal en Inde. Il contourna alors le Cap de Bonne Espérance en suivant les notes de ses pairs comme l’explorateur Pero da Covilhao qui avait entrepris des voyages vers l’Inde, mais également de navigateurs arabes et sud-africains anonymes. Il effectua la traversée du périlleux océan Indien, alors méconnu des Occidentaux, à l’aide de ses connaissances astronomiques et de l’utilisation d’instruments de navigation comme l’astrolabe

    Il marqua ainsi l’histoire en ouvrant une voie commerciale majeure reliant l’Europe et l’Inde via l’Afrique. « L’océan Indien était un endroit incroyablement cosmopolite au 16e siècle, rappelle Filipe Castro. Des gens venus du monde entier y achetaient de l’or, des esclaves, de l'ivoire d'éléphant, des épices comme le poivre, du coton, etc. » La ville de Malindi, non loin de là où l’épave de Ngomeni a été découverte, est d’ailleurs devenue l’un des principaux comptoirs portugais à partir de 1499. À cette époque, Lisbonne était l’une des plus puissantes capitales d’Europe.

    Devenu un éminent personnage politique, Vasco de Gama part pour ce qui sera son dernier voyage en tant que représentant du Portugal à Cochin, avant d’y mourir en 1525 de la malaria. Au cours de ces voyages, il a commis nombre de massacres sur les populations ottomanes notamment, et a contribué au développement du commerce d’esclaves sub-sahariens avec les populations arabes du nord. 

     

    UNE RECHERCHE CONJUGUÉE AU PASSÉ ET AU FUTUR 

    Le monde moderne dans lequel nous vivons est caractérisé par un réseau tentaculaire de connexions en tous genres. Les vols internationaux s’entrecroisent sans discontinuer dans un ciel qu’ils crayonnent d’une infinité de tracés vaporeux. Les voies de chemin de fer enfantées par la révolution industrielle rapprochent les frontières. Les routes maritimes ouvrent les continents les uns aux autres. Cette multitude d’artères alimente un mouvement rapide et perpétuel de biens, de personnes, d’idées, tissant les bases d’une société mondialisée

    Les explorations maritimes des 15e et 16e siècles ont changé la face du monde à tout jamais. Les contours et les limites des cartes se sont précisées, de nouvelles frontières ont vu le jour, marquant peuples et territoires de nouveaux rapports de force signés à l’encre de la colonisation.

    Les conclusions de cette étude sont symboliques car elle porte les leçons d’une histoire lourde de sens. Identifier ce qui pourrait être l’une des plus anciennes épaves européennes jamais découvertes dans l’océan Indien permettrait de témoigner visuellement des routes de la colonisation occidentale.

    « J’aimerais raconter une histoire qui n’est ni portugaise, ni européenne, ni africaine » souligne Filipe Castro. « Nous souhaitons créer un site international, d’où former une nouvelle génération d’archéologues venus de toute la côte est de l’Afrique. [...] Je voudrais contribuer à créer une histoire plus cosmopolite. » 

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