Hindi, allemand, perse, grec, français… toutes ces langues auraient la même origine
Une nouvelle hypothèse sur les origines des langues indo-européennes a été établie grâce à l’analyse de 161 langues, dont 52 anciennes : toutes ces manières de parler furent un jour une seule et même langue.
La lumière du jour baigne les remparts de la citadelle Ark, une immense forteresse située à Boukhara, en Ouzbékistan.
En Hindi, « deux » se dit « do ». Dans les montagnes tadjiks, on utilise le mot « poda » pour dire pied. Au coeur des marchés d’Iran, les passants se donnent parfois des nouvelles de leur « pedar » ou « madar ». Facile de deviner de qui l’on parle, tant ces mots sont proches du français « père » et « mère », de l’anglais « father », « mother », de l’espagnol ou encore de l’allemand… Une coïncidence ? Difficile à croire. Des emprunts d’une langue à l’autre ? Peu plausible. Les mots du vocabulaire « de base » pour désigner les parties du corps ou les membres de la famille proches ne s’échangent que rarement entre les langues.
En réalité, toutes ces manières de parler furent un jour une seule et même langue. Cet idiome originel a pris les routes de l’Eurasie, se transformant au fil des ans et des migrations. Non sans laisser quelques traces. Dès 1786, le polyglotte William Jones affirmait qu’il était impossible d’étudier le Grec, le Latin et le Sanskrit sans y voir une origine commune.
Schémas représentatifs des hypothèses de diffusion des langages indo-européens au cours de l'histoire.
Restait à trouver le berceau de cette langue première, et la façon dont elle s’est diffusée à travers le continent. Aujourd’hui encore, les débats persistent entre les linguistes.
Serait-elle née dans la steppe eurasienne voilà 6 000 ans ? Certains spécialistes avancent cette hypothèse. Avec la domestication des chevaux, et l’invention de la roue, cette façon de communiquer se serait ensuite propagée vers l’Europe de l’Ouest et vers l’Inde.
Peu plausible, répondent d’autres archéologues. Selon eux, des agriculteurs du Proche-Orient auraient été les premiers à parler cette langue originelle, voilà 9 500 ans. Grâce aux récoltes, la région connaît alors un boom démographique. L’agriculture permet de nourrir bien plus d’habitants au kilomètre carré que la cueillette et la chasse. Ces nombreux fermiers se déplacent pour s’installer, et emportent avec eux leurs manières de faire et leurs langues.
Mais cela ne convainc pas encore pleinement les chercheurs de l’Institut Max Planck d’Anthropologie Évolutionnaire à Leipzig. Cette équipe de linguistes et de généticiens a récemment publié une nouvelle hypothèse dans la revue Science.
Selon eux, cette langue originelle aurait pris différentes routes. Elle aurait été parlée pour la première fois au nord du Croissant fertile, par des paysans, il y a 8 000 ans. Elle se serait alors peu à peu diffusée vers l’Europe du Sud et l’Asie du Sud. Et puis, il y a 7 000 ans, certains de ces fermiers installés au Proche-Orient auraient migré vers les steppes, au nord de la mer Noire et du Caucase (en Ukraine et Russie actuelles), comme le montrent de nouvelles données ADN. Depuis ces grandes étendues verdoyantes, leur langue aurait continué à voyager à travers le continent, notamment grâce à la domestication des chevaux.
Autrement dit : le germanique ou le celtique ont pris la route des steppes. Le perse ou le grec ont d’abord été véhiculés par l’agriculture.
Sur quoi se basent ces linguistes pour affirmer cela ? Ils ont analysé 161 langues, dont 52 langues anciennes. Des milliers de mots sont passés à la moulinette d’un modèle mathématique. « Nous analysons les mots de différentes langues qui sont apparentés, c'est-à-dire ceux qui ont la même origine (comme nez et nose [nez en anglais]) et ceux qui ne le sont pas (comme bouche et mouth [bouche en anglais]) » explique Paul Heggarty, linguiste et l’un des auteurs principaux de cette nouvelle étude. Avec ces comparaisons, les linguistes parviennent à dresser des sortes d’arbres généalogiques des langues, pour comprendre à quel moment les idiomes ont évolué. Ils croisent ensuite leurs données avec les découvertes ADN, archéologiques, et anthropologiques.
Ce n’est pourtant pas le point final de cette quête des origines. Les auteurs de l’étude n’ont pas encore convaincu tous les tenants des autres thèses. Mais leur publication a le mérite de se baser sur l’un des plus gros ensembles de données disponibles, codés de manière à permettre ces nouvelles analyses. De quoi monter un modèle plausible, fort des découvertes dans de multiples disciplines… Cette langue indo-européenne originelle n’a pas fini de faire parler les spécialistes.
Retrouvez notre reportage sur les Zoroastrians dans le numéro 296 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine