Île des Faisans : le plus petit condominium au monde est tour à tour français et espagnol
Plus petit condominium du monde, et le seul en Europe, cette île est administrée à la fois par la France et par l’Espagne, avec un changement d’administration tous les six mois depuis plus de cent ans.
L’île des Faisans est l’un des derniers condominiums terrestres au monde, avec plusieurs îles du fleuve Congo et quelques territoires des Émirats arabes unis.
La Bidassoa, fleuve du Pays basque, fait office de frontière naturelle entre la France et l’Espagne. Non loin de son embouchure et près de la baie de Chingoudy, enclavé entre la commune espagnole d'Irún et Hendaye côté français, se trouve un petit îlot inhabité de 200 mètres de long sur 40 mètres de large.
Cette île a plusieurs noms : île des Faisans, île de la Conférence ou isla de los Faisanes en espagnol, et Konpantzia en basque. Mais contrairement à ce que son appellation pourrait faire croire, sa particularité ne vient pas de sa faune. « Il n’y a pas de faisans sur l’île des Faisans, qui n’est qu’une façon de plateau vert. Une vache et trois canards représentent les faisans ; comparses loués sans doute pour faire ce rôle à la satisfaction des passants », regrettait d’ailleurs Victor Hugo dans son Voyage de Bayonne à Saint-Sébastien. Cette toponymie trompeuse pourrait venir d’une erreur de traduction, dans la mauvaise interprétation d'un mot français lié au « passage » ou au « péage ».
Ce qui rend l'île aux faisans singulière, c’est son statut de condominium le plus petit du monde. Elle est administrée à la fois par la France et par l’Espagne, avec un changement d’administration tous les six mois. Ainsi, elle est française du 1ᵉʳ août au 31 janvier, et devient espagnole du 1ᵉʳ février au 31 juillet.
« L’île représente les bonnes relations entre nos deux pays et en dit beaucoup sur notre unité. Nous devons entretenir ce lien fort », affirme Javier Diez De Rivera, commandant de la station navale de Saint-Sébastien, en charge de l’île lorsqu’elle est Espagnole.
UNE TERRE DE TRAITÉS ET DE MARIAGE ROYAUX
L’emplacement géographique du petit îlot, entre le Royaume de France et d’Espagne, en a fait le lieu parfait pour de multiples rencontres diplomatiques. En 1526, François Iᵉʳ qui avait été fait prisonnier par Charles Quint lors de la bataille de Pavie en 1525, y est échangé contre ses deux fils.
En 1615, on procède à un échange de princesses : l’infante d’Espagne Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne promise à Louis XIII, et Elizabeth, fille du roi de France Henri IV, promise à Philippe IV d’Espagne.
Autre fait marquant, la signature du traité des Pyrénées. Celui-ci entérine définitivement la fin de la guerre franco-espagnole, conflit militaire entre les deux puissances qui a démarré en 1635 par l’intervention française dans la guerre de Trente Ans. Un premier traité de paix avait été signé en 1648, le traité de Westphalie. Mais la France et l’Espagne n’ont pas réussi à mettre fin à leurs hostilités mutuelles. Il fallut plus de vingt-quatre réunions, tenues sur l'île des Faisans, pour trouver un consensus entre les deux puissances. Le Cardinal Mazarin et Don Luis Menendez de Haro y Sotomayor en furent les principaux négociateurs. Finalement, le traité a été signé par Louis XIV et le roi Philippe IV d’Espagne, le 7 novembre 1659. En raison du grand nombre de négociations tenues sur l’Île, elle prend le nom d’« Île de la Conférence. »
En 1659, Louis XIV y rencontra Marie-Thérèse d’Autriche, sa future épouse. Ce projet de mariage avait pour but de sceller la paix entre l’Espagne et la France. Le 9 janvier 1722 eut lieu un nouvel échange de princesses : l’infante d’Espagne Marie-Anne-Victoire rencontra son fiancé Louis XV, roi de France ; les fiançailles furent rompues en 1723. En parallèle, Louise-Elisabeth d’Orléans, fille du Régent Phillipe d’Orléans, rencontra le prince des Asturies et futur roi d’Espagne, Louis Ier, mariage qui resta sans postérité.
Entrevue de Louis XIV de France et de Navarre (à gauche) et de Philippe IV d'Espagne (à droite) sur l'Île des Faisans en 1659. On distingue la fille de Philippe IV, Marie-Thérèse d’Autriche, future reine de France, derrière lui.
UN STATUT HYBRIDE
En 1856, le Traité de Bayonne établit définitivement le statut de condominium, sous l’autorité indivise de la France et de l’Espagne. L’article 27 stipule ainsi que « l'île des Faisans, connue aussi sous le nom d'île de la Conférence, à laquelle se rattachent tant de souvenirs historiques communs aux deux Nations, appartiendra, par indivis, à la France et à l'Espagne ».
Ce traité, dont les verbatims sont aujourd’hui désuets, confère le titre de vice-roi pour chaque représentant de l’administration de l'île. Pour l’Espagne, il est porté par le commandant de la station navale de Saint-Sébastien, Javier Diez De Rivera et pour la France, par la directrice adjointe de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) des Pyrénées-Atlantiques, Pauline Potier. Le titre peut faire sourire, et est maintenu en France, malgré le fait que ce soit une République, pour respecter une certaine homogénéité avec l’Espagne qui est une monarchie constitutionnelle. « On n'utilise plus du tout ce titre en Espagne », précise Javier Diez De Rivera.
En ce qui concerne les « droit de police et de justice », la gestion du territoire est précisée par une convention signée le 27 mars 1901, et mise en application par un décret le 29 août 1902. L’article 1 y précise notamment que « Le droit de police dans l’île des Faisans sera exercé par la France et par l’Espagne tour à tour, pendant six mois, dans l’ordre que déterminera le sort. » Une fois par an, au moment de la passation de pouvoir de l’Espagne à la France le 1er août, une petite cérémonie est organisée sur l’île. Les représentants de chaque pays y sont présents. On y joue l’hymne français, espagnol « et même un troisième hymne, celui de l'île des Faisans, composé par l’Espagnol Juan Flaquer », ajoute le commandant.
Dans les faits, seuls quelques employés de mairie se rendent sur l’île, principalement pour tondre le gazon et maintenir l’île en bon état. Ces employés se relaient évidemment tous les six mois en fonction du pays en charge.
Aujourd’hui, l’île est interdite au public et il est uniquement possible de l’apercevoir depuis la berge des deux côtés de la frontière, ou depuis le Pont international qui relie la France et l’Espagne. « Cette interdiction est avant liée à des raisons de sécurité », explique Javier Diez De Rivera. « Les courants de la rivière rendent tout accès dangereux. De plus, il n’y a pas de quai pour y amarrer, et il n’y a pas de service de sécurité déployé aux alentours de façon permanente. »
Si vous souhaitez absolument la visiter, il vous faudra attendre les journées du patrimoine en France, pour espérer fouler cette terre au statut unique.