Le combat pour la contraception : ce que les femmes doivent à Margaret Sanger
Margaret Sanger a consacré sa vie à la lutte pour l’accès à la contraception. Son combat a façonné les droits reproductifs et permis la création du planning familial américain au début du 20e siècle.

Margaret Sanger (1879-1966), militante américaine du contrôle des naissances, éducatrice sexuelle et infirmière, pose pour son portrait - Harris & Ewing, 1932.
Figure du contrôle des naissances et de la contraception, Margaret Sanger sembla lutter toute sa vie durant pour les femmes. Tout au long de son existence, elle mena combat après combat pour que la contraception soit légalisée aux États-Unis, à une époque où la religion, la loi et le corps médical l’interdisaient.
Parce que ses idées furent étiquetées comme radicales, cette infirmière et militante américaine fut plusieurs fois emprisonnée et partit en Europe pour échapper aux poursuites judiciaires. Après un demi-siècle de combat acharné, son travail finit par porter ses fruits. La contraception fut autorisée aux États-Unis le 9 mai 1960 sur prescription médicale.
RENCONTRES ET INFLUENCES
Le combat de Margaret Sanger pour le contrôle des naissances fut modelé par plusieurs rencontres intellectuelles. L’anarchiste, militante féministe et écrivaine d’origine lituanienne, Emma Goldman, exerça une grande influence sur la pensée de Margaret Sanger. Elle était engagée dans une bataille pour l’émancipation économique et sexuelle des femmes et prônait « la libération des femmes par l’affirmation de leur être et le refus du mariage et de la maternité si ceux-ci n’étaient pas voulus », raconte Angéline Durand-Vallot, enseignante chercheuse en civilisation américaine et spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, autrice de Margaret Sanger et la croisade pour le contrôle des naissances.
Les idées d’Emma Goldman alimentèrent les premières réflexions de Margaret Sanger, mais par la suite, cette dernière « prit ses distances vis-à-vis des théories féministes et anarchistes, alors considérées comme trop radicales », explique l’historienne.
Très tôt, Margaret Sanger fut également sensibilisée au mouvement progressiste qui dominait le paysage politique à l’époque. Les écrivains Max Eastman et Upton Sinclair, ainsi que les journalistes John Silas Reed ou Floyd Dell, firent partie de ceux qui alimentèrent les fondements de sa pensée.
Mais ce qui finit par la convaincre de s'engager fut son expérience à Greenwich Village, à New York, où elle exerçait son métier d’infirmière. Tous les jours, elle était confrontée à la pauvreté de la classe ouvrière et aux conséquences des grossesses à répétition des femmes les plus démunies. Elle-même issue d’une famille nombreuse, sa mère ayant eu dix-huit grossesses, elle comprenait l’ampleur de ce fardeau.
En 1912, « elle rencontra une patiente, Sadie Sachs, jeune maman de trois enfants, qui mourrut après avoir tenté de mettre fin à sa grossesse clandestinement », rapporte Angéline Durand-Vallot. À l’époque, il n’existait pas d’autres solutions que l’avortement clandestin, les médecins ne voulaient en aucun cas divulguer des informations sur la contraception ou l’avortement, interdits depuis 1873 par la loi Comstock.
La mort de Sadie Sachs bouleversa Margaret Sanger. Elle adopta alors une idéologie néo-malthusienne, élaborée par l’économiste Thomas Malthus, qui un demi-siècle plus tôt, préconisait de limiter la croissance démographique, toujours plus rapide que celle des moyens de subsistance, engendrant une pauvreté croissante. Dans le même esprit, « Margaret Sanger estima que le contrôle des naissances pouvait être un bon moyen pour réguler la population et améliorer les conditions de vie des populations les plus pauvres », explique la chercheuse.
En 1910, le journal The New York Call fit appel à l’infirmière pour écrire sur la contraception. Ses articles furent les prémices d'un mouvement. Deux ans plus tard, elle donna une conférence durant laquelle elle aborda des sujets liés à la santé des femmes et à la liberté reproductive. Cette conférence marqua le début de ses efforts plus ciblés pour éduquer les femmes sur la contraception, notamment par le biais de brochures sur le sujet.
UNE RÉSISTANCE FAROUCHE
Entamant à peine son combat pour la légalisation de la contraception, Margaret Sanger rencontra très tôt de nombreuses résistances. Au début du 20e siècle, « les États-Unis faisaient face à un véritable déclin du taux de natalité, mais aussi à une augmentation de la population d’immigrants », explique Angéline Durand-Vallot. Ce contexte installa un véritable climat de peur face à la dépopulation, accentué en 1905 par un discours de Théodore Roosevelt, alors Président des États-Unis, dans lequel il exprima ses préoccupations face « au manque de fertilité de la population blanche américaine qui pourrait nuire à la prospérité et à la puissance de la nation ». Le président Roosevelt clamait alors vouloir « protéger les "races supérieures" et encourageait les familles blanches américaines à avoir plus d’enfants ». Ses propos furent plus tard repris par Lothrop Stoddard, écrivain et théoricien racial américain qui qualifia le déclin du taux de natalité de « suicide de masse » dans son livre, The Rising Tide of Color Against White World Supremacy (1920).
Cette théorie nataliste, mise en œuvre par les conservateurs, s’appuyait sur une base légale : la loi Comstock, adoptée en 1873. « Cette loi interdisait la libre circulation des informations et des objets qui concernaient la contraception », rappelle Angéline Durand-Vallot. « La contraception, elle, était jugée obscène et illicite, une atteinte à la morale publique ».

Magaret Sanger, militante américaine du contrôle des naissances, pose avec ses fils Grant (à gauche) et Stuart (à droite) pour promouvoir son livre Women and the New Race (1920).
Les actions de Margaret Sanger, furent aussi massivement réprouvées par les autorités religieuses qui le considéraient comme illégal. À l’époque, l’église, notamment la religion catholique, « exerçait une forte pression à la fois sur les législateurs et sur l’opinion publique », raconte l’historienne. « Elle tentait par tous les moyens de maintenir cette interdiction et était en première ligne pour combattre toute idée progressiste ».
De surcroît, Margaret Sanger « n’eut ni le soutien du corps médical, peu enthousiaste à l’idée de perdre un certain pouvoir médical sur les femmes, ni celui des féministes qui craignaient de ne pas obtenir le droit de vote pour les femmes en se rangeant aux côtés de l’infirmière radicale », ajoute l’historienne.
LE COMBAT D’UNE VIE
Face à une telle résistance, l’infirmière tenta tant bien que mal de faire progresser son mouvement. En 1914, elle fit publier son premier journal, The Woman Rebel, dans lequel elle défendait ouvertement le droit à la contraception et à l’éducation sexuelle. La même année, cette action lui valut d’être poursuivie en justice. Pour fuir la menace, elle laissa derrière elle mari et enfants pour partir en Angleterre, où les lois anti-contraception n’existaient pas.
Durant son séjour à Londres en 1914, elle rencontra Havelock Ellis, le précurseur de la morale sexuelle moderne avec qui elle entama une relation amoureuse. « Ce dernier travaillait sur l’instinct sexuel et la nécessité de l’expression sexuelle pour l’épanouissement des femmes », raconte l’historienne. « Il discernait sexualité et procréation et, naturellement, adhérait à l’idée de contraception ». Un discours scandaleux pour l’époque !
Elle voyagea avec lui aux quatre coins de l’Europe pour découvrir tout ce qu’il y avait à savoir sur le contrôle des naissances. À son retour aux États-Unis en 1916, elle ouvrit sa première clinique de contrôle des naissances à Brooklyn, dans laquelle elle distribuait du matériel contraceptif. L’ouverture de sa clinique fut un véritable succès mais après seulement neuf jours, les autorités s’en mêlèrent, fermèrent la clinique, et arrêtèrent Margaret Sanger.
C'est ainsi que commença l’affaire People v. Sanger. Cette dernière, à défaut d’être libre, attira l’attention du corps médical sur son combat. Alors que les médecins tenaient un discours plutôt conservateur au début du mouvement, l’ouverture de la clinique fit changer de camp quelques uns d’entre eux, plus réceptifs à sa cause. « En leur donnant un rôle à jouer dans son mouvement, elle sut faire virer de bord l’opinion du corps médical, un travail qu’elle continua tout au long de sa vie », explique Angéline Durand-Vallot.
En 1918, la cour suprême de New-York rendit une décision dans l’affaire People v. Sanger, favorable à la lutte pour le contrôle des naissances. Les médecins étaient dorénavant autorisés à fournir des informations sur la contraception et à prescrire des méthodes contraceptives à leurs patientes, en tant que soins médicaux légaux. Une victoire qui permettra à Margaret Sanger d’ouvrir à nouveau sa clinique, cette fois-ci, avec l’aide du corps médical.
Elle écrivit deux ouvrages, Woman and the New Race en 1920, et The pivot of Civilisation en 1922, « qui lui permirent de s’affirmer à la fois en tant que féministe activiste, mais aussi en tant qu’écrivaine », raconte l’enseignante-chercheuse.
Avec une toute nouvelle légitimité, elle fonda en 1921 la Ligue Américaine pour le Contrôle des naissances. « Elle prit enfin toute sa place et devint la figure nationale du contrôle des naissances », ajoute-t-elle. La même année, elle organisa sa première conférence nationale sur le sujet. En 1923 à New-York, elle fonda le premier centre du Planned Parenthood Federation of America avec pour objectif d’informer les femmes sur les méthodes contraceptives. Au fur et à mesure, d’autres centres apparurent un peu partout aux États-Unis.
Une dernière tentative de résistance prit en 1929 la forme d’une conférence nationale. Margaret Sanger fut de nouveau arrêtée par les autorités, mais l’événement n’eut pas beaucoup de conséquences sur le mouvement. En 1952, elle délaissa au fur et à mesure certaines de ses fonctions pour consacrer au développement à l'internationale de la Planned Parenthood Federation of America. Elle traversa l’Europe et l’Asie pour défendre cette cause.
Quatre ans plus tard, le premier contraceptif oral fut créé. Il fut approuvé par l’organisation médicale Food and Drug Administration, et commercialisé en 1965 aux femmes mariées, un an avant la mort de Margaret Sanger. Les femmes non mariées ne purent y accéder qu’en 1972. « Il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle mais Margaret Sanger a pu voir au moins une partie du combat de sa vie se concrétiser », conclut Angéline Durand-Vallot.
