Le miroir « magique » de la cour d'Élisabeth Ire est en fait un artefact aztèque
Le miroir noir dont se servait John Dee, conseiller d’Élisabeth Ire, pour « parler » aux anges est en fait un artefact mystique mésoaméricain.
Des chercheurs ont découvert que ce miroir en obsidienne, qui aurait servi à un occultiste et conseiller de la reine Élisabeth Ire au 16e siècle, était d’origine aztèque.
Des chercheurs ont découvert qu’un « miroir aux esprits » qui aurait servi à John Dee, célèbre conseiller politique de la reine Élisabeth Ire, avait été confectionné par des Aztèques, au Mexique, il y a près de 500 ans. Cette découverte, publiée aujourd’hui dans la revue Antiquity, corrobore l’idée que l’occultiste élisabéthain se servait bien de ce miroir pour communiquer avec les anges.
En plus d’être un alchimiste, un astronome, un cartographe et un mathématicien accompli, John Dee était conseiller à la cour de cette reine du 16e siècle. Shakespeare se serait même inspiré de lui pour le personnage de Prospero dans La Tempête.
Portrait de John Dee (1527-1608). « Au début, John Dee se tenait à cheval sur la limite ténue entre la « magie » naturelle, qui était alors une science, et la magie diabolique, vue comme une corruption de la religion ; il a fini par faire le pas vers cette dernière », écrivent les chercheurs.
Les légendes de ses exploits occultes foisonnent. On parle surtout de sa pratique de la divination et de l’invocation d’anges et d’esprits grâce à des miroirs et des cristaux de clairvoyance. Ce « miroir aux esprits », dont on sait depuis 1650 qu’il faisait partie des objets de divination de John Dee, a été acquis au 17e siècle par Horace Walpole, écrivain qui était persuadé qu’il avait appartenu au polymathe de la Renaissance et que celui-ci s’en était servi pour ses rituels magiques.
À la fin du 19e siècle, le British Museum a acheté ce miroir qu’on peut encore admirer dans la branche du musée dédiée aux Lumières.
Les chercheurs se sont servis de la spectrométrie de fluorescence des rayons X pour scruter le miroir ainsi que trois autres objets en obsidienne (deux miroirs circulaires quasiment identiques et un bloc rectangulaire poli) que le British Museum a récupérés auprès de collectionneurs au 19e siècle.
Grâce à la lueur différente émise par les éléments chimiques soumis aux rayons X, les chercheurs ont pu établir une « empreinte » géochimique pour chaque objet en obsidienne en s’appuyant sur les quantités de titane, de fer, de strontium, et d’autres éléments que chacun contenait. D’après les analyses, l’obsidienne du miroir de John Dee et d’un des autres miroirs ne peut provenir que de la région de Pachuca, dans le centre du Mexique. L’autre miroir et le bloc rectangulaire, qui est vraisemblablement un autel portable, viennent pour leur part de la région d’Ucareo, environ 250 kilomètres plus à l’ouest.
Comme c’était le cas de nombreux codex, le Codex Tepetlaoztoc, qui date du 16e siècle, contient lui aussi des miroirs en obsidienne. Pour les Méso-Américains, ces miroirs faisaient office de portails vers des mondes spirituels.
Stuart Campbell, archéologue de l’Université de Manchester et auteur de l’étude, rappelle que ces deux régions étaient régentées par les Aztèques et qu’ils avaient pour coutume de fabriquer des miroirs en obsidienne pour leurs rituels magiques. Ces miroirs circulaires en obsidienne sont représentés dans des codex composés au 16e siècle, juste après la conquête espagnole, et dans des portraits du dieu Tezcatlipoca (« Miroir Fumant »), qui avait des pouvoirs de divination. Les Aztèques pensaient que ces miroirs pouvaient se teinter de fumée, puis s’éclaircir et révéler une époque ou un lieu lointain.
Pour les Méso-Américains, les miroirs étaient des portails spirituels ouvrant sur d’autres mondes « comme dans De l’autre côté du miroir », écrit par e-mail Karl Taube, anthropologue de l’Université de Californie à Riverside. « Quand votre regard dans le miroir devient contemplation, alors vous avez établi ce lien. » Karl Taube est spécialiste des miroirs aztèques mais n’a pas pris part à l’étude en question.
Selon Stuart Campbell, l’origine aztèque de ce « miroir aux esprits » renforce la théorie selon laquelle John Dee s’en servait comme médium pour invoquer les anges et les esprits. John Dee, que l’exploration du Nouveau Monde intéressait beaucoup, avait vraisemblablement entendu parler des propriétés soi-disant magiques du miroir lorsqu’il l’a acquis (probablement lors d’un voyage à travers l’Europe à la fin du 15e siècle). En consultant les archives, on s’aperçoit que plusieurs miroirs aztèques ont été rapportés du Mexique en Europe peu après que Hernán Cortés et ses troupes se sont emparés de Tenochtitlan, la capitale aztèque, en 1521. À l’instar des Aztèques, les Européens de ce siècle croyaient aux pouvoirs magiques des miroirs. Peut-être est-ce cette croyance qui a poussé John Dee à essayer de communiquer avec les anges par le biais du miroir aux esprits.
Aujourd’hui encore, il jouit d’une forte réputation de proto-scientifique élisabéthain au Royaume-Uni (il a par exemple fait l’objet d’un opéra composé par Damon Albarn, le leader de Blur). Il persiste également par sa présence dans une multitude de témoignages historiques de l’époque.
« Vous pouvez être en train de lire une chose où vous n’auriez jamais pensé le voir, et tout d’un coup le nom de John Dee apparaît, s’enchante Stuart Campbell. Il s’est impliqué dans tant de domaines et dans les balbutiements de nombreuses méthodes d’approche du monde naturel. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.