Le mystère antique du tombeau d'Amphipolis
Alors que les archéologues continuent d'explorer le monticule funéraire, d'anciennes sources font le récit d'un drame familial fait d'intrigues et de trahisons.
Des archéologues passent au crible les différents indices relatifs à l'identité de la personne inhumée en grande pompe au sein du mystérieux tombeau d'Amphipolis, situé dans l'actuel nord de la Grèce. Selon l'équipe de chercheurs, la tombe aurait été construite pour un proche d'Alexandre le Grand : sa mère Olympias, l'une de ses femmes Roxane, l'un de ses généraux favoris voire éventuellement son ami d'enfance et amant Héphestion.
En 2014, l'archéologue Katerina Peristeri et son équipe ont réalisé une série de découvertes fascinantes au sein du tombeau, des colonnes sculptées d'une main de maître représentant l'enlèvement de la déesse grecque Perséphone. Les œuvres opulentes du tombeau sont toutes issues de l'époque agitée de la mort d'Alexandre le Grand et semblent indiquer la présence d'une personnalité majeure.
Il y a de grandes chances qu'Alexandre ait été enterré en Égypte. Cependant, les lieux de repos éternel (ainsi que les informations historiques et génétiques qu'ils peuvent abriter) de plusieurs membres de sa famille demeurent un mystère. Les excavations d'Amphipolis ont ajouté un nouveau chapitre à l'histoire d'Alexandre le Grand et celle de sa famille, une dynastie marquée par les intrigues, les complots et les bains de sang. Dans la famille d'Alexandre le Grand, « le roi ou chef d'État qui a été retrouvé mort dans son lit est rare », affirme Philip Freeman, biographe d'Alexandre le Grand et historien à l'université Luther College de Decorah, dans l'Iowa.
Si l'on souhaite comprendre ces intrigues de palais, il est nécessaire de remonter au temps du père d'Alexandre, Philippe II, dont le règne sur la Macédoine antique commence en 359 av. J.-C. À l'époque, la Macédoine n'est qu'un modeste royaume montagneux, situé au nord de la Grèce antique. Mais Philippe ne manque pas d'ambitions. Il transforme l'armée macédonienne en une machine militaire disciplinée et la dote d'une nouvelle arme mortelle, la sarisse, une longue lance créée afin d'empêcher les troupes ennemies de se rapprocher du corps des soldats.
Conquérant de naissance, Philippe mène son armée à l'ouest, terrassant et intimidant les principales cités-États grecs jusqu'à ce que toutes capitulent et s'en remettent à son autorité. « Philippe II était l'archétype du roi-guerrier », déclare Ian Worthington, auteur de By the Spear: Philip II, Alexander the Great, and the Rise and Fall of the Macedonian Empire (« Sous les lances : Philippe II, Alexandre le Grand, naissance et déclin de l'Empire macédonien »). « Il se trouvait toujours au cœur d'une bataille. »
Comme le souhaite la coutume, les rois de Macédoine ont plusieurs épouses, généralement dans le but de sceller des alliances politiques avec de puissants États voisins. La mère d'Alexandre, Olympias, est la fille du roi des Molosses, un royaume comprenant une partie de l'actuelle Albanie. Elle a pour ancêtre, dit-elle, le célèbre Achille. Elle est l'une des nombreuses épouses de Philippe et, selon des historiens de l'Antiquité, elle s'est battue sans relâche devant la cour afin de placer son fils sur le trône de la Macédoine. Certains historiens la soupçonnent même d'avoir empoisonné le demi-frère aîné d'Alexandre, altérant ainsi ses facultés cognitives.
Pendant un certain temps, ses manigances semble porter leurs fruits. Philippe prépare le jeune Alexandre à devenir son héritier, lui offrant une éducation prestigieuse dispensée par un précepteur renommé du nom d'Aristote et encourageant ses talents de guerrier.
Or pour les nobles macédoniens qui composent la cour de Philippe, Alexandre est à moitié étranger et, par conséquent, potentiellement illégitime. Lorsque Alexandre atteint la fin de son adolescence, les doutes semblent avoir gagné Philippe. Il a épousé une nouvelle femme, macédonienne cette fois, et lors d'une soirée arrosée, il a laissé la légitimité d'Alexandre être publiquement questionnée. Enfin, Philippe a tiré son épée sur Alexandre, signe d'une insulte mortelle.
Philippe tente par la suite de recoller les morceaux, mais il s'est fait un ennemi redoutable. Ce qu'il s'est passé exactement reste sujet à débat, bien que les faits soient connus. En 336 av. J.-C. Philippe organise le somptueux mariage public de l'une de ses filles auquel il a convié des membres de familles royales voisines.
Dans le cadre des festivités, Philippe a prévu d'organiser des jeux au coucher du soleil dans le théâtre d'Aigai, alors capitale de Macédoine. Il fait son entrée dans le stade, une cape blanche sur les épaules. À ses côtés se tient Alexandre, de l'autre son nouveau gendre. Philippe congéde ses gardes du corps. Et alors qu'il se tient au centre du théâtre, la foule déchaînée se met à hurler pour manifester son approbation.
« Ce sont là les dernières choses qu'il a entendues », explique Ian Worthington. Un assassin a surgi de la foule et poignardé Philippe jusqu'à la mort, au milieu des invités qui assistaient à la scène, incrédules. Durant les minutes de confusion qui s'ensuivent, l'assassin, un homme prénommé Pausanias, s'est rué hors du théâtre en direction de chevaux qui étaient attachés et l'attendaient. Alors sur le point de s'échapper, il trébuche, tombe et trois des gardes du corps de Philippe le transpercent de leurs lances.
THÉORIE DU COMPLOT
Pausanias a-t-il agi seul ? C'est ce qu'affirment plusieurs textes anciens, selon lesquels il s'agirait d'un crime passionnel commis dans une jalousie furieuse. Nombre de nobles macédoniens étaient bisexuels et Philippe n'échappait pas à la règle. Il avait fait de Pausanias son amant puis s'est débarrassé du jeune homme après s'être lassé de lui, allant jusqu'à laisser d'autres personnes abuser sexuellement de Pausanias. Il est donc probable que ce dernier ait assassiné Philippe par pure vengeance.
Selon Ian Worthington cependant, plusieurs indices semblent indiquer un complot. Par exemple, Pausanias a fui vers un lieu où plusieurs chevaux attendaient, laissant penser que plusieurs personnes avaient prévu de s'échapper de la scène du crime.
« Selon moi, Pausanias a été manipulé », affirme Ian Worthington, qui suspecte Olympias et Alexandre d'avoir joué des rôles clef dans l'assassinat. Mère et fils avaient été profondément offensés par Philippe. De plus, ils craignaient que sa jeune épouse macédonienne ne donne naissance à un héritier macédonien davantage accepté par la noblesse locale. Le seul moyen d'éviter ce scénario aurait alors été d'éliminer Philippe. L'auteur émet l'hypothèse selon laquelle Olympias et Alexandre auraient empoisonné l'esprit de Pausanias et l'auraient incité à assassiner Philippe.
D'autres historiens spécialisés dans l'Antiquité ne sont pas aussi convaincus qu'Alexandre soit coupable de patricide. Cependant, Philip Freeman de l'université Luther College affirme : « Si vous installiez Alexandre sur un canapé aujourd'hui et tentiez de le psychanalyser, vous vous amuseriez beaucoup ».
LE ROI EST MORT, VIVE AU ROI
Après la mort de Philippe, il reste à Alexandre à convaincre la cour macédonienne qu'il mérite d'être roi. Il organise des funérailles onéreuses pour son père, incinère la dépouille sur un gigantesque bûcher funéraire et fait bâtir un tombeau sophistiqué en son hommage en périphérie d'Aigai (l'actuelle ville grecque de Vergina), à environ 160 kilomètres d'Amphipolis. Sous le regard de l'aristocratie macédonienne, Alexandre inhume son père « tel un héros homérique », déclare Ioannes Graekos, archéologue et conservateur du musée des tombeaux royaux situé à Vergina.
Alexandre enterre dans le tombeau un coffre d'or contenant les restes du squelette de Philippe ainsi qu'une myriade de trésors royaux, allant d'une couronne dorée à un sceptre d'or, en passant par une cuirasse d'or et un lit de mort ornementé d'or et d'ivoire. Au-dessus de la porte, le jeune roi fait peindre une scène de chasse représentant Alexandre et son père en train de capturer un lion.
« Seuls les membres de la famille royale peuvent chasser les lions : Alexandre rendait certes hommage à son père, mais s'accordait également les honneurs », explique Terence Clark, archéologue au musée canadien d'Histoire situé à Gatineau, au Québec. « Cette peinture fait office de déclaration définitive pour indiquer qu'il est désormais au pouvoir. »
Malgré son apparente confiance, Alexandre craint toujours ses rivaux à la cour. Il ordonne la mise à mort de son cousin Amyntas et l'une des jeunes recrues de Philippe. Sa mère Olympias, quant à elle, se charge des ennemies parmi la gent féminine de la famille royale. D'après un texte antique, elle aurait poussé la jeune épouse macédonienne de Philippe au suicide et aurait organisé le meurtre de la fille de sa rivale. Olympia était « une femme politique », affirme Elizabeth Carney, historienne spécialisée dans l'Antiquité à l'université de Clemson, en Caroline du Sud, et auteure d'une biographie sur la mère d'Alexandre.
Seule reste l'armée à convaincre. Alexandre doit persuader les généraux et les soldats de la Macédoine qu'il est un commandant à l'image de son père. Il se lance donc dans une série de campagnes militaires, réprime les insurrections rebelles dans la région des Balkans, écrasé la ville-État de Thèbes et mène son armée à une succession de victoires. À l'âge de 21 ans, Alexandre le Grand a pris possession de la Macédoine et de la Grèce et s'apprête à conquérir la Perse.
Il prend le pouvoir de territoires aussi lointains que l'Égypte au sud et l'Inde à l'est, bâtissant ainsi l'un des plus grands empires de l'Antiquité.
Héphestion, un général macédonien, est son plus proche compagnon et son amant. Lorsque ce dernier meurt des suites d'une maladie mystérieuse au cours d'une campagne menée à l'est en 324 av. J.-C., Alexandre est terrassé par le chagrin. Selon l'écrivain de l'Antiquité Plutarque, il a ordonné la crucifixion du médecin d'Héphestion et a massacré une tribu entière dans la région en guise d'offrandes dédiées à l'esprit de son bien-aimé.
L'EFFONDREMENT DE L'EMPIRE
Au moment de sa mort, à l'âge de 33 ans, Alexandre le Grand se trouve toujours à l'est et projette de conquérir l'Arabie. Il ne fait aucun doute qu'il préfère les frissons des batailles aux insignifiantes futilités de la gouvernance. Il a épousé au moins deux femmes étrangères mais n'a engendré aucune descendance légitime pour prendre la tête de son gigantesque empire et ne semble guère se soucier de la question de la succession. Peu après sa mort, survenue des suites d'une fièvre suspecte à Babylone, une bataille amère éclate entre ses généraux, les nobles de sa cour et les membres de sa famille au sujet de la succession. En définitive, son vaste empire a été divisé en dépouilles d'une guerre civile et sa lignée a été anéantie.
La mère d'Alexandre trouve la mort dans les mains d'un impitoyable noble macédonien nommé Cassandre. Afin de donner le champ libre vers le trône de Macédoine, Cassandre fait Olympias prisonnière lors d'un siège et l'exécute. Comme Alexandre, il entreprend d'éliminer tout comploteur potentiel. Il emprisonne à Amphipolis la femme étrangère d'Alexandre la plus puissante, Roxane, ainsi que son fils né après la mort d'Alexandre, Alexandre IV, puis ordonne secrètement leur assassinat en 311 av. J.-C. Une fois le « sale boulot » accompli, Cassandre règne le royaume de Macédoine jusqu'à sa mort, en 297 av. J.-C.
Aujourd'hui, la plupart des archéologues sont convaincus, sur la base de récits historiques, qu'Alexandre a été inhumé en Égypte, peut-être même dans la ville qui porte aujourd'hui son nom, Alexandrie. Cependant, les chercheurs n'ont toujours pas découvert les tombes d'Olympias et de Roxane.
En septembre 2015, lors d'une conférence de présentation de travaux archéologiques menée par Katerina Peristeri et Michel Lefantzis, il a été annoncé que le tombeau d'Amphipolis aurait été bien été dédié par Alexandre le Grand à son favori Héphaestion. La découverte dans le tombeau de son monogramme « H » aurait fini de convaincre les archéologues.
Toutefois l'annonce a été suivie d'un communiqué de l'Association des archéologues grecs indiquant : « La formulation de théories, sans présenter des preuves documentaires à la communauté scientifique internationale, expose le Service archéologique dans son ensemble ».
Le précieux tombeau d'Amphipolis revêt aujourd'hui encore la parure du mystère, que les archéologues de demain pourront peut-être percer.