Le temple d’Éphèse, la plus belle des sept merveilles du monde

Reconstruit après le grand incendie de 356 av. J.-C., ce temple devint l’une des mythiques « Sept Merveilles du monde antique ». Par quelle splendeur parvenait-il à éblouir tous ses visiteurs ?

De Francisco Javier Murcia Ortuño
Publication 26 juin 2024, 09:54 CEST
À la mort du souverain Attale III, en 133 av. J.-C., Éphèse passe sous domination romaine. ...
À la mort du souverain Attale III, en 133 av. J.-C., Éphèse passe sous domination romaine. Outre le temple d’Artémis, d’autres monuments ont fait la gloire de la cité, comme la célèbre bibliothèque de Celsus, érigée vers 110 apr. J.-C.
PHOTOGRAPHIE DE muratart / istock via Getty Images

Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

C'est au IIIe siècle av. J.-C. qu’est élaborée dans le monde grec la célèbre liste des Sept Merveilles de l’Antiquité. Le catalogue a connu quelques variantes au cours du temps, mais l’un des monuments qui y a toujours figuré est le temple d’Artémis dans la ville d’Éphèse, sur la côte de l’Asie Mineure (la Turquie actuelle). En fait, pour plusieurs auteurs, la plus impressionnante de ces Sept Merveilles était justement celle d’Éphèse. Ainsi, au IIe siècle av. J.-C., le poète Antipatros de Sidon écrivait : « J’ai posé les yeux sur le rempart de la vaste Babylone surmontée d’une route pour les chars, sur la statue du Zeus de l’Alphée [à Olympie], sur les jardins suspendus [de Babylone], sur le Colosse du Soleil [à Rhodes], sur l’énorme travail des hautes pyramides [à Gizeh, en Égypte], sur le vaste tombeau de Mausole [à Halicarnasse] ; mais quand je vis la maison d’Artémis s’élevant jusqu’aux nues, ces autres merveilles perdirent leur éclat, et je dis : “Vois, hormis l’Olympe, jamais le Soleil ne vit si grande chose.” »

Et Antipatros n’a pas été le seul à s’extasier. Au IIe siècle apr. J.-C., le voyageur grec Pausanias écrit à propos du sanctuaire : « Trois choses contribuent à [sa] réputation : la grandeur du temple, qui dépasse toutes les constructions humaines, la splendeur de la ville d’Éphèse et la présence de la déesse. » Malheureusement, il ne reste que de rares vestiges matériels de ce monument, et les sources antiques transmettent des renseignements très partiels, souvent teintés d’éléments légendaires.

La ville d’Éphèse avait été fondée au Xe siècle av. J.-C., à l’embouchure du Caystre, par des Grecs venus de l’Attique et installés sur la côte égéenne de l’Asie Mineure. Là, dans le delta marécageux du fleuve, ils avaient trouvé un sanctuaire dédié par la population locale à une déesse de la Végétation et de la Fécondité, qu’ils identifièrent à Artémis ; dans la mythologie grecque, celle-ci était la maîtresse des animaux sauvages et de la vie agreste. Les Éphésiens ont successivement érigé jusqu’à trois temples en l’honneur d’Artémis. Mais c’est un roi étranger, le Lydien Crésus, qui a fait construire le temple monumental passé dans l’histoire. D’après l’historien Hérodote, il l’a fait après avoir conquis la ville en 560 av. J.-C., afin de s’assurer une réputation d’homme pieux et ami des Grecs.

 

DES PROPORTIONS DÉMESURÉES

Le temple est construit par l’architecte Chersiphron de Cnossos, qui entreprend les travaux avec l’aide de son fils. Mais ce sont deux architectes locaux, Démétrios et Péonios, qui l’achèvent d’après les plans laissés par Chersiphron. À l’époque romaine, le naturaliste Pline l’Ancien mentionne les immenses proportions du temple (115,1 mètres de long sur 55,1 mètres de large), qui dépassait tous ceux connus jusqu’alors ; toujours selon Pline, sa construction a duré 120 ans. Dans le temple se dressaient 127 colonnes, une véritable forêt inspirée des grands temples de l’Égypte, que l’architecte Chersiphron avait peut-être connus.

Sur place, il ne reste aujourd’hui du temple d’Artémis que deux colonnes, visibles sur cette vue ...
Sur place, il ne reste aujourd’hui du temple d’Artémis que deux colonnes, visibles sur cette vue du site. Celle de droite a été reconstruite en 1973 par l’archéologue autrichien Anton Bammer, en utilisant les tambours de plusieurs colonnes.
PHOTOGRAPHIE DE SvetlanaK, iStock via Getty Images

La construction d’un monument de telles dimensions représentait un véritable défi pour l’ingénierie de l’époque. Pline décrit les ingénieux systèmes conçus par l’architecte pour transporter les blocs de marbre depuis la carrière, située à 12 kilomètres de distance. Le travail consistant à monter les pièces de l’architrave (la partie de l’édifice qui repose sur les chapiteaux) était colossal. Une légende raconte qu’en constatant l’impossibilité absolue d’encastrer le linteau (l’élément le plus lourd, destiné à couronner la porte), Chersiphron, angoissé, pensa au suicide ; mais, dans la nuit, Artémis lui apparut en rêve et l’incita à vivre, car elle avait ajusté elle-même l’énorme pièce. De fait, le lendemain, Chersiphron découvrit que le linteau avait été correctement mis en place.

L’Artémision, comme on nomma le temple, fut en son temps une institution très puissante. Le terrain tout autour était marqué de bornes indiquant qu’il appartenait à la déesse ; pour cette raison, il était inviolable et on y appliquait le droit d’asile. Le temple possédait de vastes propriétés rurales et de nombreux esclaves. Étant protégé par sa sacralité, il faisait aussi fonction de banque : on y gardait des dépôts, on y changeait la monnaie et on y accordait des prêts. On sait que le philosophe Héraclite (v. 550 av. J.-C. -v. 480 av. J.-C.), natif d’Éphèse, y déposa son livre pour le mettre en sécurité.

 

SACRIFICES DE TESTICULES

La déesse, connue sous le nom d’Artémis ou Diane d’Éphèse, réunissait en elle des éléments grecs et orientaux. Sa statue de culte arborait sur le torse des rangées de protubérances que l’on a traditionnellement prises pour des seins, en relation avec son caractère de déesse-mère ; on les interprète aujourd’hui comme des testicules de taureau, que l’on offrait en sacrifice à la déesse et qui étaient liés à la force génératrice. Une fois par an, suivant la coutume orientale, la déesse sortait en procession pour contempler ses domaines.

En 356 av. J.-C., le temple est entièrement dévasté par un incendie. La tradition raconte qu’Artémis, dont l’une des fonctions consistait à aider les femmes pendant leur accouchement, était ce jour-là tellement occupée par la naissance d’Alexandre le Grand qu’elle n’a pu venir à temps au secours de son propre temple. L’incendiaire est un fou du nom d’Érostrate, qui avoue sur le chevalet de torture avoir seulement voulu, en détruisant le fameux édifice, se rendre célèbre dans le monde entier. Les Éphésiens tentent de le châtier par l’oubli, en effaçant son souvenir par un décret, en vain : Théopompe, un historien de l’époque, conserve son nom pour la postérité.

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    PHOTOGRAPHIE DE Pixabay

    Lorsque Alexandre le Grand libère la ville des Perses en 334 av. J.-C., il propose de payer la reconstruction du temple, ce qui suppose l’ajout d’une inscription où figurera son nom. Mais les Éphésiens, ne souhaitant pas voir ce lieu associé à une autre personne, déclinent l’offre avec une très grande habileté, en disant à Alexandre qu’il ne convient pas qu’un dieu dédie un temple à un autre dieu. Pour lever les fonds, ils ont recours à une sorte de souscription populaire. D’après l’historien grec Strabon, « ils construisirent un plus beau temple en rassemblant les bijoux des femmes et les biens privés, et en vendant les colonnes précédentes ». Hormis un crépidome (plate-forme à degrés), le nouveau temple a la même structure que celui édifié antérieurement par Crésus.

    Figurant sur la liste des Sept Merveilles, l’Artémision attirait un tourisme religieux, qui représentait sans doute une importante source de revenus pour la ville. On sait que les orfèvres d’Éphèse gagnaient leur vie en fabriquant de petites répliques de la statue et du temple d’Artémis pour les nombreux pèlerins. Lorsque l’apôtre chrétien Paul de Tarse s’établit dans la ville et prêche que les dieux faits par les mains des hommes ne sont pas de vrais dieux, les orfèvres provoquent une émeute au cri de « Grande est l’Artémis d’Éphèse ! ».

     

    UN SACCAGE EN RÈGLE

    En 263 apr. J.-C., les Goths pénètrent avec leurs bateaux en mer Égée depuis leurs bases de la mer Noire et sèment la terreur dans des régions aussi mal défendues que remplies de richesses. L’une des villes qu’ils attaquent et saccagent est Éphèse, dépourvue de remparts. Le temple d’Artémis, la fameuse bibliothèque de Celsus et les quartiers résidentiels sont dévastés. Le temple est partiellement reconstruit pendant la période de calme de la Tétrarchie, vers la fin du IIIe siècle, mais il ne retrouvera jamais sa splendeur première.

    Au milieu du IVe siècle, le christianisme devient la religion dominante de l’Empire, les empereurs ferment les temples païens et interdisent le culte des images. À Éphèse, les statues d’Artémis sont abattues et remplacées par la croix des chrétiens ; le nom même de la déesse est effacé des inscriptions. Le temple est spolié par le patriarche Jean Chrysostome lors de sa visite à Éphèse, en 401.

    L’Artémision devient une carrière de matériaux pour de nouvelles constructions (églises, murailles ou bains), tandis que ses statues et ses ornements en marbre partent vers le palais impérial de Justinien, à Constantinople. Au fil des siècles, les fondations du temple sont recouvertes par plus de 8 mètres d’alluvions, au point que le lieu exact où il s’est élevé tombe dans l’oubli. Jusqu’à ce qu’en 1869 John Turtle Wood, un architecte anglais qui a abandonné son emploi dans la construction des premières lignes ferroviaires dans le sud-est de la Turquie pour entreprendre des fouilles dans la ville d’Éphèse, annonce au monde qu’il a retrouvé les vestiges de la plus estimée des merveilles du monde antique.

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