Les sifflets de la mort aztèques avaient le pouvoir de perturber le cerveau humain
Imitation glaçante d’un hurlement, le son créé par ces étonnants objets en forme de crâne a un effet particulier sur la sphère psycho-acoustique du cerveau. Une étude révèle que les Aztèques les utilisaient probablement dans le cadre de sacrifices.
Les sifflets-crânes aztèques présentent des éléments visuels et sonores qui font référence à des êtres mythologiques du monde aztèque souterrain.
Dernière grande civilisation mésoaméricaine, le fascinant empire aztèque a régné pendant plus de 200 ans sur près de 200 000 km² de territoire, du nord-ouest du Mexique au Salvador. Après son déclin vers la moitié du 16e siècle, ce peuple a laissé derrière lui une multitude de vestiges et d’éléments d’une rare richesse culturelle encore largement enveloppés d’un voile de secrets.
Le 11 novembre dernier, une équipe de scientifiques de l'université de Zurich ont publié les résultats d’une découverte étonnante dans la revue Communications Psychology. Ils se sont penchés sur le fonctionnement d’un petit objet : un sifflet-crâne dont le son, semblable à un cri humain, a des effets inattendus sur la sphère cognitive. L'étude apporte des éléments d’éclairage inédits sur certains rouages du monde aztèque.
LES SIFFLETS-CRÂNES : MYSTÉRIEUX ARTEFACTS DES TOMBES
En 1325, les Aztèques fondèrent leur capitale, Tenochtitlan, au niveau des anciennes îles du lac Texcoco à l’emplacement de l’actuelle Mexico dont les sous-sols regorgent aujourd’hui de trésors archéologiques inestimables. C’est dans le temple Ehecatl-Quetzalcoatl, monument érigé autour de l’an 1450, où le conquistador Hernan Cortés fut d’ailleurs invité par Moctezuma, le dernier empereur de Tenochtitlan afin d'assister à un antique jeu de balle sacrificiel, que le premier sifflet-crâne a été découvert.
Nous sommes alors en 1987. Des archéologues identifient les restes d’un homme décapité, probablement sacrifié. Là, lovée au creux de sa main, ils récupèrent une étrange pipe en argile de quelques centimètres façonnée en forme de crâne. Un peu par hasard, les scientifiques découvrent qu’elle produit un son absolument terrifiant.
Restes d’un sacrifice humain décapité retrouvé en 1987 au temple Ehecatl-Quetzalcoatl à Mexico aux côtés d’un sifflet crâne (zoomé dans l’encadré rouge).
« Les sifflets-crânes aztèques sont des outils sonores tout à fait uniques car aucune autre culture actuelle et ancienne n'a créé pareil instrument jusqu'à présent », souligne Sascha Frühholz, directeur de recherches au département de psychologie en neurosciences cognitives et affectives de l’université de Zurich.
Principalement exhumés dans des sites funéraires d’anciens temples situés à Mexico, leur son évoque d’effroyables hurlements à la frontière entre l’humain et le surnaturel. Associés au seigneur des enfers, Mictlantecuhtli, ou encore au dieu du vent, Ehecatl venu y dérober les ossements d’âges anciens pour créer l’humanité, « de nombreux profanes pensaient que ces sifflets étaient liés aux cultes de la mort aztèques », reprend le chercheur. D’où le sympathique qualificatif de « sifflets de la mort » qui leur est prêté depuis.
Les connaissances quant à leur fonctionnement et à leur utilisation restaient floues. Pendant longtemps, les théories populaires ont suggéré que ces sifflets étaient utilisés pour faire la guerre. Véritables outils psychologiques, ils auraient ainsi permis aux Aztèques de remporter des batailles en semant terreur et confusion dans les rangs ennemis. Mais la récente étude de l’équipe de Sascha Frühholz ne pointe pas dans cette direction.
SACRIFICES ET SONS AUX EFFETS PSYCHOACTIFS
« Ces sifflets-crânes, au son rugueux et aigu, faisaient vraisemblablement l’objet d’une utilisation rituelle notamment lors de sacrifices afin de créer une sorte d'atmosphère effrayante qui préparait au voyage dans le monde souterrain de Mictlan », explique Sascha Frühholz.
Modèle 3D d’un sifflet crâne aztèque qui représente la dynamique du flux d’air responsable de la production de leur son si particulier.
La structure interne particulièrement complexe de ces instruments permet de canaliser le flux d’air émis lorsque l’on souffle dedans, au moyen d’un design interne composé de deux chambres sonores opposées, lesquelles permettent de produire un sifflement strident qui ne laisse personne indifférent. Les tonalités rugueuses et turbulentes évoquent en effet des appels de détresse biologiques dont la puissance et l’irrégularité provoquent une intense sensation de peur et d’urgence.
L’équipe de Sascha Frühholz a reconstitué des sifflets aztèques originaux conservés au musée ethnologique de Berlin, à l’aide de scanners par tomodensitométrie et modélisations 3D, et les ont testé sur un panel de 70 volontaires européens. « Nous avons utilisé l'expérience de neuroimagerie pour étudier quels mécanismes neuronaux de base sont déclenchés lorsque qu’une personne écoute le son du sifflet-crâne aztèque », développe le directeur de recherches.
Les volontaires étaient alors exposés à une sélection aléatoire de sons de la nature, incluant ponctuellement des extraits d’enregistrement du sifflet sans en être informés au préalable. Les scientifiques ont d’ailleurs enregistré plus de 270 extraits afin de capturer les nuances et variations du son des sifflets sous différentes pressions d’air. Les réactions sont unanimes : les « cris » entendus sont décrits comme répugnants et effrayants. Certains leur prêtent une dimension surnaturelle.
« Nous avons découvert deux choses, reprend Sascha Frühholz : premièrement, le son déclenche des mécanismes cérébraux qui indiquent une forte réaction affective chez les auditeurs, et ces mécanismes affectifs de base sont probablement partagés entre de nombreuses personnes, y compris du temps des aztèques. » Cette tendance est d’ailleurs observable par imagerie à résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) : le sifflet active le cortex frontal inférieur et médial, des zones du cerveau associées au traitement auditif, mais aussi à l’interprétation émotionnelle et symbolique.
Aztèques offrant des sacrifices humains au dieu Soleil. Dessin datant de la fin du 19e siècle.
Ce dernier point interpelle les scientifiques. « Le son du sifflet provoque des associations mentales, explique le chercheur. De nombreuses personnes nous ont confié que le son déclenche l'imagination parce qu'il a des connotations « mystiques » dans un registre plus symbolique et interprétatif. Il se pourrait que cet effet ait été intentionnellement recherché afin de créer un lien mental entre le son et une entité, ou une divinité. »
Formidables bâtisseurs, les Aztèques élevaient d’innombrables temples et pyramides à la gloire des dieux partout à travers l’empire. C’est autour de ces sites sacrés que s’articulait la vie de la société. À la fois point de jonction entre les hommes et les dieux, tombeaux des rois, et symboles de pouvoir, de nombreux sacrifices y étaient pratiqués. Pour les scientifiques, les aztèques devaient probablement davantage utiliser les sifflets aux cours de ces cérémonies sacrificielles, qu’au cours de batailles, plongeant ainsi l’assistance et les sacrifiés dans une sorte de transe générée par la peur.
Selon Sascha Frühholz, de nombreuses cultures anciennes utilisaient la musique à des fins rituelles et religieuses. « L'exploration du son de ces outils sonores raconte des histoires détaillées sur la mythologie de ces cultures. Dans de tels contextes rituels et religieux, la musique et le son ont toujours été accusés d'influencer et de contrôler le public et les membres d'une société, de la même manière que la musique est utilisée dans des contextes modernes pour des raisons politiques. »
Le pouvoir du son sur le cerveau, à la fois d’un point de vue neurologique comme affectif, et ce peu importe l’époque ou l’aire géographique concernées, permet ainsi aux archéologues d’analyser des coutumes et événements survenus il y a des centaines d’années.