Les trois mousquetaires et les ferrets de la reine : ce que révèlent les écrits historiques

En 1625, de mauvaises langues accusent l’épouse de Louis XIII d’avoir offert des bijoux au duc de Buckingham, ambassadeur d’Angleterre. Une idylle qui couve un scandale d’État.

De María Pilar Queralt Del Hierro, historienne
Publication 23 juil. 2021, 10:04 CEST
Anne d'Autriche en costume de sacre, par Pierre Paul Rubens. Vers 1620

Anne d'Autriche en costume de sacre, par Pierre Paul Rubens. Vers 1620

PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

Au printemps 1625, Anne d’Autriche, reine de France, se promène dans les jardins de l’archevêché d’Amiens en compagnie d’un gentilhomme anglais. Ses appels à l’aide suscitent soudain l’émoi. Madame de Motteville, l’une de ses dames de compagnie, expliquera dans ses Mémoires que la reine fut « importunée par quelque sentiment trop passionné du duc […], s’écria et, appelant son écuyer, le blâma de l’avoir quittée ».

Le gentilhomme en question était George Villiers, duc de Buckingham, à qui la reine avait donné un rendez-vous secret. Buckingham s’était rendu à la cour de France afin de venir chercher la princesse Henriette-Marie, sœur de Louis XIII, pour l’escorter jusqu’en Angleterre où devait être célébré son mariage avec le roi Charles Ier. Quant à Anne d’Autriche, elle accompagnait selon la tradition la suite de sa belle-sœur jusqu’au lieu d’embarquement pour les îles Britanniques. Les rumeurs relatives à une éventuelle idylle entre le séduisant duc de 32 ans et la souveraine, âgée de 25 ans, circulaient au sein de la cour depuis l’arrivée en France, quelques mois plus tôt, de George Villiers.

 

UNE REINE DÉLAISSÉE

Tous deux se sont connus en Espagne alors qu’Anne n’était qu’une adolescente vivant à la cour de son père, Philippe III. L’ardent aristocrate ne dissimulait pas son penchant pour l’infante, une authentique beauté de son temps : carnation blanche, cheveux blonds, grands yeux bleus et formes rondes. Des qualités de peu d’utilité lorsqu’elle épouse Louis XIII. Dès le début, le souverain ignore la reine, lui préférant la compagnie de jeunes soldats de sa garde, et notamment du connétable de France, le duc Charles d’Albert de Luynes. C’est d’ailleurs ce dernier qui, devant l’indifférence du roi pour les dames, doit traîner le souverain jusqu’à la couche nuptiale afin de faire taire les voix qui ont fait de la consommation du mariage royal une affaire d’État.

Le temps confirme le désintérêt du roi pour le devoir conjugal et les difficultés que cela entraîne pour donner un héritier à la Couronne. Un problème que l’entourage de la reine n’aurait pas hésité à résoudre en la poussant dans d’autres bras que ceux de son époux. Dans cette affaire, la duchesse de Chevreuse, Marie de Rohan-Montbazon, épouse du duc de Luynes et surintendante de la reine, joue un rôle essentiel, car la compagnie de cette femme frivole compromet la bonne réputation de la souveraine. Elle présente d’abord le duc de Montmorency à la reine, puis organise la rencontre secrète d’Amiens avec le duc de Buckingham. Elle n’imaginait probablement pas que le duc outrepasserait les limites, ni que la reine lui résisterait.

Anne d'Autriche et ses deux enfants, le futur Louis XIV, et Philippe, duc d'Orléans. Peintre anonyme.

Anne d'Autriche et ses deux enfants, le futur Louis XIV, et Philippe, duc d'Orléans. Peintre anonyme.

PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

Habituée à la placidité de la cour espagnole, Anne d’Autriche découvre avec surprise et plaisir la légèreté des coutumes de la cour française, et accueille sans résistance les compliments du duc de Buckingham, même si elle n’a sans doute pas envisagé d’être infidèle à son époux.

Elle accepte cependant un chevalier servant romantique. Pour preuve, lorsque Buckingham quitte définitivement la cour, la reine, désireuse de lui pardonner son comportement à Amiens, lui offre les ferrets de diamants qu’elle portait le jour de leur rencontre. L’anecdote en serait restée là si elle n’était arrivée aux oreilles du plus farouche ennemi de la reine, le cardinal de Richelieu.

 

LA COURSE CONTRE LA MONTRE

À l’époque, Richelieu est le véritable maître de la France. Louis XIII lui fait entièrement confiance, et le cardinal s’attache à contrôler tout ce qui se passe à la cour. « Tout ce qui n’était pas dévoué à ses volontés était exposé à sa haine », écrit le moraliste La Rochefoucauld à propos du cardinal, formule qui s’appliquait également à la reine de France. C’est ainsi que, pour jeter le trouble entre Anne d’Autriche et son époux, Richelieu ourdit une machination qui constituera au XIXe siècle l’intrigue du roman d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires.

Même si l’écrivain prend certaines libertés, notamment sur le plan chronologique, la trame des aventures de d’Artagnan et de ses trois compagnons est historique. La véracité de l’anecdote est notamment attestée par Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, qui raconte l’épisode dans ses Mémoires. Brienne connaissait bien l’affaire puisqu’il était secrétaire d’État et fut le responsable des négociations du mariage d’Henriette-Marie de France avec le futur Charles Ier d’Angleterre.

Dans ses Mémoires, la duchesse de Chevreuse dit avoir été chargée de remettre les célèbres ferrets de diamants au duc de Buckingham, que ce dernier s’empresse de porter lors d’un bal donné à la cour à Londres. Or, Richelieu pouvait compter dans la capitale anglaise sur une alliée : Lucy Hay, comtesse de Carlisle – Milady de Winter, dans le roman de Dumas –, qui l’informe de ce qui se passe.

Pendant le bal, la comtesse réussit à couper discrètement quelques ferrets qu’elle envoie immédiatement au cardinal. Lorsque Buckingham s’aperçoit que les ferrets ne sont plus en sa possession, il comprend ce qu'il s’est produit. Il se hâte de commander à un joaillier de Londres des ferrets similaires, recompose l’ensemble et l’envoie rapidement à la duchesse de Chevreuse, en la priant, selon les termes du comte de Brienne, « de rendre à la reine le présent […] reçu de sa munificence, et il suppliait Sa Majesté de croire qu’il ne s’en détachait que par la crainte qu’il n’y eût en cela quelque mystère caché nuisible à la reine ».

 

L’HONNEUR DE LA REINE EST SAUF

Il ne se trompait pas. Richelieu avait convaincu Louis XIII d’insister pour que la reine arbore les fameux ferrets, indiquant même au monarque que la reine les avait offerts à Buckingham. C’est ici que la littérature et l’histoire divergent : lorsque le roi demande à la reine de lui montrer les ferrets, il semble que cette dernière lui ait présenté son coffret à bijoux ; dans le roman de Dumas, la reine exhibe les ferrets sur un costume d’amazone. Quoi qu’il en soit, Brienne insiste sur le fait que la reine a la satisfaction de « savoir que le roi avait fait des reproches au cardinal de ses défiances ».

Au cours des années qui suivent, l’animosité entre Anne d’Autriche et Richelieu ne fait que croître. La tension culmine après 1635, lorsque l’Espagne et la France entrent en conflit dans le contexte de la guerre de Trente Ans. Le Premier ministre accuse la reine d’entretenir une correspondance secrète avec son frère Philippe IV et de l’informer des plans français. Isolée à la cour, ignorée par son époux, Anne d’Autriche envisage même de fuir aux Pays-Bas espagnols.

Mais un événement inattendu bouleverse la situation. Au début de l’année 1638, à la surprise générale, on apprend que la reine est enceinte. Face à la perplexité de la cour, au fait de l’absence de relations entre les époux royaux, on explique qu’un orage a contraint le roi à renoncer à une partie de chasse et à se réfugier dans la chambre de la reine.

Le plus curieux est que le futur Louis XIV naît dix mois après la tempête providentielle. Les yeux de chacun se tournent alors vers Mazarin, un ambassadeur du Saint-Siège récemment arrivé à la cour. Mais cela est une autre histoire.

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    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

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