L’incroyable évolution des anges, esprits désincarnés devenus anges gardiens
Les messagers divins qui décorent nos sapins de Noël n’ont pas toujours eu l’apparence que nous leur connaissons.
Un ange semblable à ceux qui ornent les sapins de Noël, peint sur le mur d’une chapelle italienne du 14e siècle.
En décembre, des humanoïdes ailés investissent les vitrines des boutiques, décorent le sommet des sapins de Noël... Pourtant, ces créatures n’ont pas toujours eu l’apparence que nous leur connaissons.
Aujourd’hui représentés sous les traits de personnes volantes vêtues de robes diaphanes, les anges, en particulier ceux de Noël, ont revêtu plusieurs formes. Esprits désincarnés devenus gardiens à plumes, ils sont le reflet de l’évolution de la pensée religieuse sur des milliers d’années.
« L’angélologie est abondante et intéressante, mais elle est en quelque sorte tombée dans l’oubli », explique John Cavadini, chaire de théologie à l’université de Notre Dame.
« Lorsque nous pensons aux anges, nous voyons les créatures qui ornent les cartes de vœux », ajoute-t-il. « Mais de nombreuses personnes, notamment dans l’Antiquité, s’intéressaient à eux », à leur apparence, leur organisation et leurs comportements.
Dans la Bible, les anges (terme qui vient du grec « angelos », qui signifie « messager » en français) sont des envoyés de Dieu. Les Saintes Écritures n’en disent toutefois pas plus, ce qui a ouvert la porte à l’interprétation.
« Il y a peu d’informations à leur sujet et c’est ce qui est fascinant », confie Ellen Muehlberger, professeure en études Moyen-Orientales à l’université du Michigan.
« LA MÊME SUBSTANCE QUE DIEU »
Au début du christianisme, certains croyants pensaient que Jésus-Christ était lui-même un ange, explique la professeure.
« Nous savons cela grâce à des auteurs du 4e siècle, qui ont rédigé des descriptions négatives de cette croyance » pour la réfuter, précise-t-elle.
Jésus a officiellement perdu son statut d’ange en 325 apr. J.-C., lorsque l’empereur romain Constantin Ier convoqua le concile de Nicée. Au cours de celui-ci, les évêques ont eu pour mission de transformer les conceptions variées et parfois contradictoires sur Dieu, le Christ et le christianisme en une seule et même théologie.
« Le concile de Nicée a défini le Christ comme un être totalement divin, de la même substance que Dieu », indique Ellen Muehlberger.
« Les décrets du concile ont été interprétés par les chrétiens au fil des décennies suivantes comme affirmant que le Christ n’était pas un ange. Ces derniers étaient tout à fait différents ».
LE BEL ESPRIT
Au cours des premiers siècles suivant la naissance de l’Église, les représentations des anges ont été aussi variées que les descriptions du Christ lui-même, ou de Judas d’ailleurs.
Le moine chrétien et ascète du 4e siècle, Évagre le Pontique, a ainsi élaboré une théorie expliquant que l’essence humaine se compose de trois parties.
« Une partie est régie par la faim, le sommeil ou l’appétit sexuel. C’est en quelque sorte la partie inférieure », explique Ellen Muehlberger.
« La seconde partie est celle qui régit les émotions, qui nous permet d’être en colère ou de ressentir de la fierté.
Enfin, la troisième est la partie rationnelle. C’est cette partie qui, selon Évagre, ressemble le plus à Dieu et aux anges », poursuit la professeure.
Pour Évagre, « la colère s’apparentait à un démon qui nous attaquait. Si vous ne pouviez pas vous protéger de ces attaques, l’ange totalement rationnel à vos côtés pouvait vous aider ».
D’autres intellectuels se sont tenus à cette ligne de pensée, proclamant que les anges étaient des esprits désincarnés, avance Ellen Muehlberger.
UN ANGE POUR CHACUN DE NOUS
À la même époque, un débat animé portait sur l’identité des personnes que servaient les anges sur Terre.
Ainsi, dans les premiers monastères chrétiens, de nombreux ascètes partaient du principe que les très bons élèves étaient épaulés par un guide ou un coach divin.
« Pour les moines, il était impossible que tout le monde ait un ange gardien. C’était un indicateur de réussite morale », affirme Ellen Muehlberger en s’appuyant sur des lettres monastiques de l’époque qui expliquent la nécessité pour les résidents du monastère de cultiver leurs propres anges.
En ville, c’est une vision plus démocratique des anges qui prédomine.
Les évêques et autres représentants religieux ne tardent pas à assurer à leurs fidèles qu’ils ont tous un ange gardien.
En Égypte, certains évêques suggèrent même que certains moines vivant dans le désert et ayant renoncé aux plaisirs de la chair et à fonder une famille, seraient des anges.
Les moines égyptiens rejettent d’emblée cette idée, pour la simple et bonne raison qu’ils « agissent comme des animaux, et non des anges », explique Ellen Muehlberger.
Cette vision populiste du « je ne suis pas un ange et toi non plus, mais ils veillent sur nous tous », l’a finalement emporté.
HIÉRARCHIE CÉLESTE
À peine les croyants s’étaient-ils vaguement mis d’accord sur la définition des anges que les intellectuels ont commencé à débattre de l’organisation de ces messagers célestes.
La Bible apporte peu d’informations sur la société angélique, mais les écrivains se donnent à cœur joie de combler les inconnues. C’est notamment le cas de l’auteur du livre La Hiérarchie céleste, écrit vers 500 apr. J.-C.
Reprenant des idées antérieures, cet ouvrage volumineux classe les êtres angéliques en neuf ordres, listés ci-après selon leur importance : les anges, les archanges, les principautés, les puissances, les vertus, les dominations, les trônes, les chérubins et les séraphins.
« Il ne s’agit pas d’un enseignement officiel de l’Église », souligne Michael Root, théologien à l’université catholique d’Amérique de Washington (États-Unis).
« Le fait que tous ces êtres de rang différent et incroyablement variés soient complètement interdépendants a contribué à la beauté de l’univers. Cette multiplicité a favorisé l’harmonie au détriment de la dissidence », ajoute John Cavadini de l’université de Notre Dame.
ANGES DÉCHUS
Selon la tradition chrétienne, tous les anges ne sont pas angéliques. C’est notamment le cas de Satan, un ancien ange prénommé Lucifer.
Aux yeux de Michael Root, le fait que les anges puissent tomber en disgrâce est un élément important, car il sous-entend que ces créatures disposent du libre arbitre.
« Certains théologiens du Moyen-Âge et du début de l’époque moderne croyaient en l’existence d’un ange opposé, d’un ange déchu qui était attribué à chaque personne au même titre que l’ange gardien. Cela n’a toutefois jamais fait partie de la pensée officielle », explique-t-il.
Dès les 2e et 3e siècles, les savants chrétiens tels qu’Origène d’Alexandrie voient le rôle important que jouent les anges déchus, explique John Cavadini.
« Pour Origène et de nombreux Pères de l’Église, les anges participaient à la gouvernance de l’univers selon la volonté de Dieu », décrit le théologien.
« Cela signifiait que les anges déchus étaient impliqués dans l’amélioration de l’univers et qu’il fallait prendre très au sérieux leur participation, aussi négative soit-elle ».
Si nous passons aujourd’hui moins de temps à nous interroger sur l’apparence et les intentions des anges que nos ancêtres, d'aucuns ont tendance à croire que des messagers célestes sont parmi nous et jouent un rôle prépondérant dans leur vie.
Selon un sondage de l’université Baylor réalisé en 2008 par l’organisation Gallup, 55 % des Américains pensent ainsi avoir été protégés par leur ange gardien au cours de leur vie.
« J’ai passé en revue plus de 1 100 témoignages de personnes au sujet de leur expérience avec leur ange gardien », confie Carson Mencken, sociologue à Baylor.
« Ce sont souvent des situations où ils l’ont échappé belle comme des accidents de voiture, notamment ceux où une personne a perdu la vie. Il y a aussi des victimes d’agression, de quasi-noyades ou celles ayant vécu des expériences de mort imminente liées à des combats », poursuit-il.
« C’est la mort aléatoire qui nous effraie. Nous ne pouvons rien faire pour la contrôler ».
« D’après notre étude, la majorité des personnes qui survivent à de telles situations pensent que c’est grâce à leur ange gardien », déclare-t-il.
Le sociologue ajoute que, dans la plupart des cas, la présence des anges est invisible, mais ressentie. Pourtant, pour de nombreux chrétiens, leurs anges gardiens sont aussi réels que ceux suspendus dans leur sapin de Noël.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.