Lizzie Borden, la meurtrière présumée qui fascina l'Amérique

Dans les années 1890, le double meurtre sordide des parents de Lizzie Borden captiva l'Amérique tout entière. Malgré le verdict qui l'innocenta, le doute plane encore sur l’innocence de Lizzie Borden.

De Erin Blakemore
Publication 14 sept. 2023, 10:14 CEST
Le sort de Lizzie Borden fit les choux gras du journal britannique The illustrated Police News ...

Le sort de Lizzie Borden fit les choux gras du journal britannique The illustrated Police News en 1893.

PHOTOGRAPHIE DE Bob Thomas, Popperfoto, Colaborador

Les jurés défilèrent devant un groupe anxieux de journalistes et d’observateurs alors que la cour supérieure de New Bedford, dans le Massachusetts, ouvrait le procès de ce que l’on considère comme le plus grand crime du 19e siècle. L’accusée n’était ni une star de cinéma, ni une super athlète, ni une espionne internationale, mais une institutrice de l’école du dimanche, accusée de meurtres si effroyables qu’ils font encore l’objet de légendes, plus de 130 ans plus tard. Les experts autoproclamés et les universitaires continuent de débattre : a-t-elle oui ou non commis ce double meurtre ? Il y a fort à parier qu’ils ne le sauront jamais.

 

LES MEURTRES

La figure centrale de cette affaire est une jeune femme énigmatique répondant au nom de Lizzie Borden, qui fut accusée d’avoir assassiné son père, Andrew Borden, et sa belle-mère, Abby Borden, à l’aide d’une hache. Le procès de Lizzie, qui était supposé prouver ou nier sa culpabilité, ne fit que soulever d’autres interrogations. Plus d’un siècle plus tard, le public est toujours autant fasciné par ces meurtres macabres et la figure ambivalente de Lizzie.

Lizzie Borden photographiée vers 1890

PHOTOGRAPHIE DE Granger, Historical Picture Archive, Alamy

Au dire de tous, la vie de Lizzie Andrew Borden, cette jeune femme célibataire de 32 ans qui habitait avec sa sœur Emma, son père et sa belle-mère à Fall River, dans le Massachusetts, était peu mouvementée. Son père, Andrew, s’était enrichi en fabriquant et en vendant des meubles, puis en investissant ses gains dans l’immobilier. Malgré sa richesse, Andrew continuait à vivre de manière austère.

Sarah, la mère de Lizzie et Emma, était décédée en 1863. Andrew s’était remarié trois ans plus tard avec Abby Durfee Gray. Selon la plupart des témoignages, les relations entre Abby et ses belles-filles étaient cordiales, sans jamais être chaleureuses ou affectueuses. Pratiquants et prospères, les Borden étaient des figures de proue de la communauté locale, menant une vie tranquille et respectueuse, si ce n’est ordinaire.

Tout bascula le jeudi 4 août 1892 en fin de matinée, lorsque les cris de Lizzie retentirent dans la maison Borden : elle venait de découvrir le corps de son père, âgé de 69 ans, étendu sur le canapé familial, la tête défoncée à coups de hache. Les policiers découvrirent par la suite à l’étage le corps lui aussi mutilé de sa belle-mère de 64 ans, gisant sur le sol de la chambre d’amis.

La peur se répandit dans la ville de Fall River. Le meurtrier avait été assez audacieux pour frapper en plein jour, à quelques pâtés de maisons d’un quartier d’affaires animé. Rien n’avait été volé dans la maison et les voisins n’avaient rien vu ni entendu de suspect ce matin-là. Des rumeurs selon lesquelles le meurtrier n’était peut-être pas un intrus, mais un proche de la famille, commencèrent à circuler.

 

LE PROCÈS DU SIÈCLE

En l’espace de quelques jours, les États-Unis tout entiers s’enflammèrent à l’annonce des meurtres et des suspects potentiels. Le 4 août, Emma se trouvait à environ 25 kilomètres de chez elle, n’ayant laissé à la maison que Lizzie et la bonne, Bridget Sullivan. Interrogée par la police, Lizzie fit des comptes-rendus incohérents de ses activités et de ses allées et venues. Rapidement, la vieille fille, enseignante à l’école du dimanche, devint la principale suspecte.

Après avoir mené l’enquête, les autorités inculpèrent Lizzie et la mirent derrière les barreaux. Dix mois plus tard, en juin 1893, le procès s’ouvrait et les procureurs accusèrent Lizzie d’avoir tué sa belle-mère d’au moins 18 coups de hache à la tête, puis d’avoir cherché et tué son père de 11 autres coups.

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    La montre de poche de Lizzie Borden était en or 14 carats.

    PHOTOGRAPHIE DE Boston Globe, Getty Images

    Presque immédiatement, le procès s’attacha à déterminer si Lizzie, une femme de la classe supérieure, avait réellement pu commettre de tels crimes, et à comprendre la nature de sa relation avec ses parents. Les témoignages recueillis révélèrent que Lizzie et Emma s’écartaient de plus en plus de leurs parents, au point de manger seules et d’occuper leur propre aile de la maison. Des témoins rapportèrent que Lizzie avait qualifié sa belle-mère de « vieille chose méchante » et que, interrogée sur la mort de sa mère immédiatement après le meurtre, Lizzie avait corrigé l’officier de police en lui rappelant qu’Abby n’était pas sa mère biologique.

    Puis il y eut le poison. Un droguiste affirma que Lizzie avait tenté de lui acheter de l’acide prussique avant les meurtres afin, selon les dires de la jeune femme, d’éloigner les mites d'une une cape en fourrure. Le droguiste expliqua ne pas avoir cédé à sa demande, et l’enquête ne révéla aucune trace de poison dans l’estomac des parents Borden. Les procureurs affirmèrent que Lizzie Borden n’avait, pour commettre ce meurtre, utilisé « ni pistolet, ni couteau, ni […] arsenic » et que « l’unique moyen qu’elle avait [eu] d’éliminer cette femme [Abby Borden], [avait été] de l’attaquer par derrière ».

     

    UN CIRQUE MÉDIATIQUE

    Le procès Borden métamorphosa la ville de Fall River en un paradis pour journalistes, et mit la presse sens dessus dessous. Il y eut moult récits scabreux, spéculatifs, sensationnels, voire fictifs, du crime et du procès qui s’ensuivit car les journalistes, venus d’aussi loin que San Francisco, se disputaient la couverture du double meurtre, qu’ils voulaient aussi fascinante que possible. Leurs articles se vendaient dans tout le pays et firent de « Miss Lizzie » un nom connu de tous. L’intérêt du public pour ce crime était tel que le Boston Globe paya 500 dollars (une fortune à l’époque) pour qu’un article dépeigne Lizzie comme une fille insatisfaite que son père conservateur avait reniée après qu’elle fut tombée enceinte hors mariage. Il s’agissait d’une pure fiction et son auteur, craignant des répercussions juridiques, se réfugia au Canada, où il tomba raide mort en montant dans un train.

    Grâce à une cabine télégraphique située à proximité et à la présence de dizaines de journalistes, le public eut vent de la moindre preuve et de chaque témoignage. « C’est devenu le drame que tout le monde voulait suivre », explique Karen Roggenkamp, professeure d’anglais à la Texas A&M University-Commerce et auteur de Lizzie Borden : Spinster on Trial, qui traite de l’effet du procès sensationnel sur la presse et le public américain en 1893. Lizzie Borden était une célébrité nationale et les gens scrutaient ses vêtements, son comportement et ses gestes lorsqu’elle suivait le procès depuis le banc des accusés.

     

    TÉMOIGNAGES ET PREUVES

    Le huitième jour du procès, les spectateurs furent horrifiés à la vue de l’une des seules preuves physiques présentées par l’accusation : les moulages en plâtre des crânes mutilés des deux parents. Lizzie quitta la salle pendant le témoignage explicite du médecin légiste et manqua le moment où il affirma que le crime aurait pu être facilement commis avec une hache classique et par un agresseur de sexe féminin de force moyenne.

    Seules deux copies originales des déclarations des témoins nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui, dont les « Hilliard Papers ».

    PHOTOGRAPHIE DE Fall River Historical Society

    La défense avait cependant un argument probant, qui était l'absence de deux pièces à conviction essentielles : l’arme du crime et les vêtements ensanglantés portés par le meurtrier. Lizzie fut accusée d’avoir brûlé une robe après le crime, mais sa sœur déclara qu’il ne s’agissait que d’un vieux vêtement recouvert de peinture qui prenait de la place dans leur garde-robe commune.

    Après les meurtres, la police, qui avait multiplié les allers-retours à la résidence des Borden pendant plusieurs jours, s’était vue de ce fait vivement critiquée pour son manque de professionnalisme au moment de recueillir les preuves. Les procureurs ne présentèrent aucune arme du crime définitive ; une faiblesse clé exploitée par la défense, qui affirma que le meurtre était l’œuvre d’un colporteur quelconque ou d’une connaissance de la famille qui en voulait à la prospérité et à la position sociale des Borden.

    À la fin du procès, l’accusation reconnut qu’une grande partie des preuves était circonstancielles, qu’il se fût agi d’un jupon dont l’ourlet présentait une minuscule tache de sang ou d’un témoignage policier selon lequel Lizzie aurait déclaré qu’Abby n’était pas sa vraie mère. Mais lors du réquisitoire, les procureurs dirent au jury que cela n’avait pas d’importance. « Il n’y a pratiquement aucun fait qui n’incrimine pas Lizzie », déclara le procureur Hosea Knowlton.

    La défense rappela aux jurés la vie « sans tache » de Lizzie. « Vous avez des femmes et des filles », implora l’avocat et ancien gouverneur du Massachusetts, George Robinson. La déclarer coupable aurait été « un mal si déplorable que la langue n’aurait jamais pu exprimer sa méchanceté ». Peut-être est-il plus important encore de rappeler ces propos tenus lors du procès : « Il n’y a pas la moindre preuve directe dans cette affaire, du début à la fin, qui incrimine Lizza A. Borden. Pas la moindre tache de sang, pas la moindre arme ne la relie d’une quelconque manière à ce meurtre. »

    Bien que le juge la déclarât « probablement coupable » lors de son inculpation, le jury, uniquement masculin, déclara Lizzie Borden non coupable après une délibération d’une heure seulement. À l’énoncé du verdict, Lizzie Borden s’effondra sur sa chaise et éclata en sanglots après s’être couvert le visage.

     

    LE VERDICT

    Lizzie avait été acquittée, mais le tribunal de l’opinion publique en décida autrement : « La communauté s’est rapidement retournée contre elle », explique Mme Roggenkamp. Et d’ajouter que sa décision de garder le silence lors du procès fut à l’époque condamnée presque universellement. « Le fait qu’elle ne soit pas exprimée [à propos du meurtre] a terriblement bouleversé les gens. » Stoïque, Lizzie reprit sa vie, refusant d’évoquer les meurtres davantage. Ce qui ne fit qu’épaissir le mystère et entretenir la légende. 

    Aujourd’hui encore, des détectives en herbe spéculent sur la véritable histoire de ces meurtres. Lizzie aurait-elle tenté d’empoisonner ses parents ? Avait-elle aussi été prise pour cible par le coupable qui aurait finalement pris la fuite lorsqu'elle aurait découvert les dépouilles de ses parents ? 

    Compte tenu du manque de preuves, de la couverture médiatique exagérée de l’époque et des déclarations contradictoires de Lizzie avant le procès, il est peu probable que l’on connaisse un jour la vérité, souligne Mme Roggenkamp. « Il y avait certainement suffisamment de doutes raisonnables pour l’acquitter », dit-elle. « Mais la façon dont [Lizzie] a choisi de réagir n’a certainement pas plaidé en sa faveur. »

    Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous demander pourquoi un meurtre vieux de 135 ans reste si frais dans la mémoire du public. La nature du crime y est sûrement pour quelque chose. Mais pour Mme Roggenkamp, le mystère qui entoure Lizzie Borden elle-même permet d’expliquer pourquoi cette sordide affaire passée résiste à l’épreuve du temps. « Elle n’en parlait pas », explique Mme Roggenkamp, mais n’a pas pour autant quitté Fall River ; elle a simplement repris le cours de sa vie dans la peau d’un bouc émissaire local, qui resta source de maintes interrogations.

    « Tout le monde aime les mystères », explique Mme Roggenkamp. Entre-temps, Lizzie est devenue le réceptacle de toutes sortes d’idéologies, d’obsessions et de théories, qui ne risquent pas de disparaître de sitôt.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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