Qui a fabriqué ces étranges poupées et les a laissées au sommet d’une pyramide ?
Le peuple mystérieux qui a façonné ces figurines aurait partagé des traditions culturelles avec ses voisins, les Mayas, et d’autres peuples mésoaméricains.

Les archéologues ont découvert cinq figurines aux airs de poupées sur un site du Salvador habité par une ancienne culture encore inconnue.
Les figurines d’argile déterrées au Salvador pourraient être des poupées dont les poses étaient porteuses de messages à destination des observateurs, il y a des milliers d'années de cela. Décrites le 5 mars dans la revue Antiquity, certaines des figurines ont des têtes pouvant être bougées et des visages expressifs. Elles pourraient nous donner des indices sur le peuple inconnu qui les a fabriquées.
« Elles sont tout bonnement incroyables », confie Jan Szymański, archéologue à l’université de Varsovie, en Pologne, et coauteur de l’étude. Les trois plus grandes figurines mesurent environ 30 centimètres de haut, sont nues et chauves.
En 2022, Jan Szymański et ses collègues ont mis au jour les figurines à San Isidro, un site escarpé au milieu de champs de canne à sucre et de café, au sommet d’un monticule de terre qui aurait un jour pu être une pyramide. Alors qu’ils retiraient méticuleusement couche après couche de terre, ils ont découvert la première figurine, allongée face contre terre. Travaillant jusque tard dans la soirée, ils se sont acharnés à creuser et une tête est apparue.

Les archéologues découvrent les figurines en fouillant le site d’une pyramide à San Isidro. Sur cette photo, Jan Szymański montre la tête d’une des figurines à sa femme, Julia Przedwojewska-Szymańska, tandis que leur assistant, Joachim Martecki, prend des notes.
« D’un côté, le visage a cette expression vide, absente », explique Jan Szymański. Les yeux de la figurine avaient l’air de fixer le lointain et sa bouche était ouverte. Elle semblait hébétée ou peut-être dédaigneuse. Mais, alors que les chercheurs ont tourné sa tête, son expression a paru changer. À un certain angle, elle semblait en colère. Du dessus, effrayée. Le manque de lumière « nous a donné cette étrange impression d’avoir découvert une chose mystique », continue-t-il. Après quatre jours de fouille, l’équipe a découvert cinq figurines, dans des couches datées d’une période allant de 410 à 380 av. J.-C.
À QUOI SERVAIENT CES FIGURINES ?
Les têtes de ces figurines présentent une cavité dans laquelle s’incruste leur cou. Un fil passé dans deux trous au sommet de la tête peut être utilisé pour tourner la tête. Si elles ne sont ni vêtues ni ne portent de bijoux, c’est parce qu’« elles auraient été pensées pour être versatiles » et représenter plusieurs personnes, explique Jan Szymański.
L’équipe de chercheurs a reconstitué la position des figurines dans le sol, avant qu’elles ne soient découvertes, et a remarqué que, si les figurines se tenaient debout, elles auraient été alignées face à l’Ouest. Cela laisse penser que leur arrangement n’était pas dû au hasard mais servait à envoyer un message, écrivent les auteurs. « Dès le début, nous les avons considérées comme des poupées, des actrices d’argile », dit Jan Szymański.
D’autres figurines d’argile ont été mises au jour en Mésoamérique, une région qui recouvre une partie du Mexique et de l’Amérique Centrale. Mais la plupart était brisée, certaines dans des tas d’ordures, d’anciens dépôts de déchets des foyers. Jusqu’à maintenant, les archéologues n’ont déterré qu’un seul lot de figurines intactes du lieu où elles avaient vraisemblablement été enterrées pour l'éternité.

D’environ 30 centimètres de haut, les plus grandes « poupées » découvertes à San Isidro font « à peu près la taille de nos poupées Barbie modernes, si ce n’est un peu plus large », explique l’archéologue Jan Szymański. Mais elles n’étaient probablement pas des jouets car l’argile fragile n’est pas un matériau adapté au jeu. Sur cette image, la deuxième plus petite figurine mesure environ 18 centimètres, tandis que la plus petite, tout à droite, mesure 10 centimètres de haut.
En 2012, l’archéologue Christa Schieber de Lavarreda a découvert un groupe de six figurines dans une tombe royale maya du site archéologique Tak’alik Ab’aj, au Guatemala. Les figurines semblaient avoir été arrangées comme elles se tenaient à dessein : quatre se trouvaient aux différents points cardinaux, faisant écho à la manière dont les Mayas se représentaient l’univers. Deux autres faisaient face à l’Est et l’Ouest, vers le levant et le couchant, explique l’archéologue, qui travaille sur le site. Selon elle, cela a « une signification profonde qui représente le cycle de la vie ». Cela ritualise une idée, tout comme le fait une pièce de théâtre ou un spectacle de danse, continue-t-elle.
De façon similaire, les figurines de San Isidro suivent une chorégraphie, analyse Christa Schieber de Lavarreda, qui n’a pas pris part aux fouilles. Il s’agit de « la même idée centrale mais exprimée d’une autre manière ».
PLUS QUE DES « POUPÉES »
On ignore encore quelle civilisation a fabriqué les figurines découvertes à San Isidro. Les archéologues se sont rendus sur le site pour la première fois en 1980 et les fouilles sont toujours en cours. Les archéologues ont appris, de l’art maya et des écrits de ce peuple, l’importance des rituels et du symbolisme en Mésoamérique. « Utiliser des objets de manière récréative, c’est leur donner vie », explique Jan Szymański. Les figurines pourraient avoir été utilisées lors de beaucoup de rituels avant de se retrouver au sommet de la pyramide. Leurs bouches ouvertes laissent penser qu’elles pourraient avoir chanté, parlé ou proféré des sorts, continue l’archéologue.

Chacune des plus grandes figurines présente une cavité au bas de la tête qui correspond à la partie de la nuque, permettant à la tête de bouger.
« Le fait que ces bouches soient ouvertes n’est pas anodin », analyse Julia Guernsey, historienne de l’art à l’université d'Austin, au Texas, qui n’a pas pris part à la récente étude. Les bouches ouvertes peuvent également symboliser le fait de se nourrir, dit-elle. Son équipe a découvert que les résidus sur les bouches des figurines d’argile du Guatemala contenaient des traces d’amidon qui aurait d'abord été mangé par les populations locales. Julia Guernsey est curieuse de savoir si les populations de San Isidro donnaient également à manger à leurs figurines.
Elles auraient pu être plus que de simples poupées, explique Bárbara Arroyo, archéologue à l’université Francisco Marroquín de Guatemala. Elle reste quelque peu sceptique quant à l’importance de leurs positions. Les petites figurines auraient pu être difficiles à voir du sol, ainsi placées au sommet d’une structure. Il pourrait y avoir d’autres explications, par exemple, les figurines auraient pu être enveloppées ensemble et déposées là en offrande.
Il s’agit cependant de « recherches importantes », insiste Bárbara Arroyo. Les archéologues ont tendance à dédaigner le Salvador car beaucoup des structures architecturales de ses sites archéologiques sont faites de terre et sont plus compliquées à fouiller et restaurer pour le public que des lieux bâtis en pierre. Cependant, les sites du Salvador contiennent des indications sur l'ancienne Mésoamérique, notamment les objets qui y passaient ou y étaient confectionnés.

Il est intéressant de remarquer que la plus petite figurine découverte à San Isidro tient parfaitement dans le ventre évidé d’une autre figurine découverte hors du dépôt.
QUI ÉTAIENT LES ANCIENS MARIONETTISTES ?
San Isidro pourrait avoir auparavant été une ville importante. « À cause de sa taille et de son contrôle sur la seule route naturelle qui reliait la côte et les terres intérieures, nous pensons qu’il s’agissait d’un centre qui contrôlait le commerce », explique Jan Szymański.
L’archéologue a pour objectif d’en apprendre plus sur le peuple qui utilisait ces figurines et sur leur connexion avec les Mayas et d’autres populations qui les entouraient. Un indice, un objet découvert enterré près des figurines, est un pendentif en jade à la forme d’un dieu aviaire typique du Costa Rica de l’époque. La pierre a probablement été minée au Guatemala et pourrait avoir été sculptée au Costa Rica avant son retour à San Isidro, suppose Jan Szymański. Tandis que les apparences variées des grandes et petites figurines de San Isidro pourraient indiquer les différents groupes ethniques qui vivaient ensemble, dit Bárbara Arroyo.
Le Salvador pourrait avoir joué un rôle plus important dans la culture mésoaméricaine ancienne qu'on ne le pensait. « Le Salvador n’était pas qu’un récepteur passif des cultures créées ailleurs », insiste Jan Szymański. « Il participait activement à cet échange et y apportait de nouvelles qualités. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.
