Kumari Kandam, la légende du continent disparu
Selon certaines croyances, il existait autrefois un continent habité reliant Madagascar à la pointe sud de l’Inde qui se prolongeait jusqu’à l’Australie et aurait été englouti par les flots.
Carte d'Ernst Haeckel représentant le Lemuria, nom occidental donné au Kumari Kandam. Les terres supposées correspondre au légendaire continent ont été colorisées en rose.
Il existe une légende dans la culture tamoule, que l'on murmure encore à la pointe de la péninsule indienne. Celle du continent englouti, Kumari Kandam, qui aurait relié, dit-on, l’Inde à Madagascar et à l’Océanie. Submergé par les flots il y a fort longtemps, ce territoire perdu a fait l’objet de nombreux récits épiques, présents notamment dans plusieurs textes anciens de la période Sangam, autour de -300 avant notre ère jusqu’à l’an 300 de notre ère.
D'aucuns estiment que ce continent mythologique a réellement existé, et que des humains s'y étaient établis. Les archéologues, à la recherche de preuves scientifiques, ne peuvent s’empêcher de remarquer certaines concordances avec la légende, laissant planer le doute sur l’existence passée de Kumari Kandam.
LES SOURCES LITTÉRAIRES
La période Sangam est connue pour sa littérature, qualifiée de « poésie des nobles ». Certains de ces textes très célèbres, comme les cinq grandes épopées de la littérature tamoule ancienne, mentionnent l’existence de Kumari Kandam. Silapathikaram notamment, raconte que « la mer a pris le territoire Pandian qui repose entre la rivière Pahruli et les berges montagneuses de Kumari ».
Grâce à ce texte, au 12e siècle, l’auteur Adiyarkkunallar a situé le territoire de Kumari Kandam au sud de la ville contemporaine de Kanyakumari, connue aussi sous le nom de Cap Comorin, le cap le plus au sud de la péninsule indienne.
Dans Manimekalai, une autre de ces cinq épopées majeures de la littérature Sangam et la suite de Silappatikaram, est contée l’histoire de Manimekalai, la fille de Kovalan et Madhavi, qui explore des thèmes spirituels et philosophiques, notamment liés au bouddhisme. Il y est écrit : « il fut un temps, existait un grand territoire, gouverné par un royaume Pandiyan, l’origine de toutes les civilisations », raconte le docteur Gaur Anuruddh Singh, premier agent technique du département de l’archéologie marine de l’Institut National de l’Océanographie (CSIR).
Le parcours de la jeune fille est intimement lié à ce lieu, Kumari Kandam, décrit comme sacré, marqué par sa spiritualité, un territoire lié à la mythologie tamoule, souvent mentionné comme « l’ancien continent englouti ». Là-bas, l’héroïne accomplit une transformation idéologique et devint une bienfaitrice, messagère de la compassion. « Les sages racontent que sous ces eaux repose un vaste royaume, où les rois et les poètes glorifiaient l’éveil et la justice », narre la légende de Manimekalai.
Au 19e siècle, « certains chercheurs ont commencé à propager l’idée que ce qui est arrivé à Kumari Kandam ressemblait à ce qui serait arrivé à l'Atlantide », raconte Gaur Anuruddh Singh. Il est néanmoins plus difficile d’imaginer un si grand territoire, si tant est qu’il ait existé, submergé par les eaux.
LES INDICES ARCHÉOLOGIQUES
Par la suite, les archéologues ont repensé ce scénario et ont mené de nombreuses études, notamment sur les fluctuations du niveau de l’océan Indien. « Ces études indiquent clairement qu’il y a 18 000 ans, lorsque la dernière ère glaciaire, appelée Dernier Maximum Glaciaire [Last Glacial Maximum -LGM- en anglais, ndlr] a pris fin, le niveau de la mer est descendu de presque 1,40 mètre » indique Gaur Anuruddh Singh. « On peut imaginer qu’un vaste territoire a pu apparaître suite à cette fluctuation et que nos ancêtres préhistoriques résidaient dans ces zones ».
Cependant, les scientifiques ont également noté qu'autour de -14 000 à -8 000 avant notre ère, le niveau de la mer a de nouveau rapidement augmenté, submergeant ces terres et tout ce qui les occupait.
« En tant qu’archéologue, il est difficile de dire si cela représente une preuve de l’existence du continent perdu, Kumari Kandam, puisque même si nous retrouvions des preuves matérielles de cette culture, comment dire s’ils viennent du continent perdu ou d’une civilisation existante ? » fait remarquer le scientifique.
UNE LÉGENDE POPULAIRE
Néanmoins, il est tout aussi difficile de nier la possibilité de son existence. « Il y a des croyances significatives, mises au jour par des historiens modernes, qui raconte que la civilisation tamoule, la plus vieille en Inde, serait venue de Kumari Kandam, le royaume gouverné par Pundari », confirme le chercheur. « Dès que le continent a été submergé, les survivants auraient construit le temple présent dans la ville contemporaine de Kânyâkumârî, à la pointe sud de l’Inde ».
D’un point de vue architectural, « les recherches semblent indiquer que le temple date du 11e siècle de notre ère ». En revanche, du point de vue géologique, « il a été prouvé que le niveau de la mer dans cette région a significativement monté », explique-t-il.
Le temple hindou, dans la ville de Kânyâkumârî, en Inde, est rattaché à la légende de Kumari Kandam.
Cependant, Gaur Anuruddh Singh reste sceptique. « Un territoire aussi vaste aurait dû laisser des traces et nous ne pouvons exclure la possibilité que les écrits aient exagéré la réalité », estime-t-il. À ce jour, « la seule chose dont nous sommes sûrs, c'est que certaines parties d’un ancien territoire ont été submergées ». En revanche, « que ce territoire ait été un large continent ou un bout de terre, cela reste sujet à débats ».
Même sans preuves archéologiques, la croyance qu'un tel continent ait pu exister reste, encore à ce jour, ancrée dans la culture tamoule. « Des tentatives ont été faites pour mener de plus amples recherches dans l’océan et atteindre les cent mètres de profondeur. Des éléments ont pu être remontés à la surface, mais ils doivent d’abord être soumis à une vérification pointue », affirme le chercheur. En attendant, le mystère demeure.
Le docteur Gaur Anuruddh Singh espère tout de même que dans un futur proche, de nouvelles technologies permettront de vérifier ces informations directement sous l’eau. Selon lui, il serait également intéressant de réunir les mythes autour de la légende de Kumari Kandam autour du globe. En effet, « les variations du niveau de la mer étaient un phénomène global et cela pourrait avoir été la source d’autres croyances dans d’autres parties du monde », conclut-il.