Newton croyait qu’une comète avait causé le Déluge décrit dans la Bible
Au 17e siècle, il était d'usage pour les scientifiques de se servir de la physique pour expliquer les miracles décrits dans la Bible.
Des calculs réalisés par Edmund Halley indiquèrent que la comète de 1680 passait au voisinage de la Terre tous les 575 ans. En travaillant à rebours, William Whiston remarqua qu’une rencontre cosmique de ce type s’était produite en 2342 av. J.-C., date qu’on pensait à l’époque être celle du Déluge.
« À la fin de l’automne 1680, le bon peuple de Manhattan se pâma de terreur à la vue, dans les cieux, d’un spectacle tel qu’il en était rarement paru aux yeux des humains », nous apprend l’historiographie.
Cette vision terrible était une comète si brillante qu’on pouvait la voir de jour. Toutefois, de même que la comète 45P / Honda-Mrkos-Pajdušáková (qu’on a pu observer aux jumelles début 2017), la Grande Comète de 1680 était moins augure de ruine imminente que de bénédiction scientifique.
Le mathématicien William Whiston était résolu à réconcilier les contradictions apparentes entre lois mathématiques et Saintes Écritures.
Sir Isaac Newton eut l’occasion d’observer la comète. Les calculs qu’il effectua de sa trajectoire confirmèrent sa loi universelle de la gravitation. L’astronome Edmund Halley étudia lui aussi la comète. Les équations de Newton l’aidèrent à déterminer l’orbite de 24 autres comètes et à prédire quand elle réapparaîtraient dans le ciel nocturne.
La comète de 1680 allait de la même manière inspirer un des plus proches collègues et amis d’Isaac Newton : le mathématicien William Whiston, dont les calculs sophistiqués lui ont assuré une certaine célébrité en Europe.
Cette comète, déclara-t-il, était déjà passée non loin de la Terre il y a des milliers d’années, si près d’ailleurs qu’elle avait arrosé notre planète avec l’eau de sa queue et exercé suffisamment de force gravitationnelle pour tirer les océans de la croûte terrestre et les faire remonter à la surface du globe.
En résumé, concluait-il, la comète même qu’avaient vu ceux qui avaient les yeux tournés vers le ciel au 17e siècle avait déchaîné les précipitations épiques et le Déluge qui avaient débarrassé la Terre de ses pécheurs à l’ère biblique.
DIEU, ES-TU LA ? C’EST MOI, NEWTON
De nos jours, William Whiston n’est pas aussi connu que ses illustres contemporains. Il n’en a pas moins un palmarès impressionnant. Il succéda à Isaac Newton à la chaire de professeur lucasien de mathématiques de l’Université de Cambridge et milita pour l’adoption du Longitude Act de 1714, qui a révolutionné la navigation.
À l’instar de nombre de ses pairs, il était également théologien et était résolu à réconcilier les contradictions apparentes entre lois mathématiques et Saintes Écritures.
« Ce qui a distingué Whiston et Newton des scientifiques modernes est qu’ils partaient du principe que la Bible était littéralement vraie, et que le "livre de la nature" de Dieu pouvait servir à comprendre l’autre livre de Dieu, la Bible », explique James Force, professeur retraité du département de philosophie de l’Université du Kentucky qui a beaucoup écrit sur ces deux scientifiques.
« De nos jours, nous avons tendance à maintenir science et religion dans deux boîtes strictement séparées. Mais ce n’était pas le cas de Newton et de Whiston. »
Quand Newton publia ses précurseurs Principes mathématiques de la philosophie naturelle, il fit davantage que de poser les jalons de la physique moderne, il introduisit également la notion qu’il y avait une mécanique à l’œuvre dans l’Univers.
Selon cette vision du monde, Dieu ne s’est pas abaissé à la tâche prosaïque de pousser les planètes le long de leur orbite autour du Soleil mais aurait créé des lois physiques telles que la gravité pour gouverner le fonctionnement de l’Univers. Et ces lois persisteraient grâce à la volonté divine. Nous habitons un cosmos mécanique, avançaient ses partisans, conçu, bâti, mis en mouvement par l’« Architecte Divin ».
Mais certains penseurs illustres virent une contradiction dans cette vision du monde. Si Dieu avait instauré des lois naturelles infaillibles, pourquoi certains témoignages bibliques contrevenaient-ils à ces mêmes lois ?
Le théologien britannique Thomas Burnet défendit cet argument dans un traité à succès intitulé Théorie sacrée de la Terre. Il calcula par exemple que toute l’eau de la Terre n’aurait pas suffi pas à causer le Déluge, même en ajoutant quarante jours et quarante nuits de pluie.
Il devait donc y avoir selon lui une autre explication scientifique au Déluge. L’histoire telle que racontée dans les Écritures ne pouvait être prise au pied de la lettre.
UN INSTRUMENT DE PUNITION DIVINE
C’était pour le moins effronté. En effet, ce que Thomas Burnet affirmait, c’est que certaines parties de la Bible n’étaient pas forcément des révélations divines. Certains rejetèrent l’écrit de Thomas Burnet en affirmant que, bien que Dieu eût créé les lois naturelles de l’Univers, il les interrompait régulièrement quand cela lui chantait. C’était après tout la définition même d’un miracle.
Des calculs réalisés par Edmund Halley indiquèrent que la comète de 1680 passait au voisinage de la Terre tous les 575 ans. En travaillant à rebours, William Whiston remarqua qu’une rencontre cosmique de ce type s’était produite en 2342 av. J.-C., date qu’on pensait à l’époque être celle du Déluge.
Mais Newton et son cercle de penseurs ne firent que peu de cas de cette explication. Pour eux, les lois physiques de l’Univers étaient divines. La gravité dépendait par exemple de « l’Influence constante et efficace, et, si vous voulez, surnaturelle et miraculeuse, de Dieu Tout-Puissant », écrivait William Whiston.
Autrement dit, la danse subtile de la gravité gardant les planètes en mouvement était un miracle quotidien. Les miracles qui accaparaient généralement l’attention étaient des incidents qui survenaient très rarement mais qui pouvaient toutefois être expliqués dans les limites de la science.
C’est ici qu’intervient la Grande Comète de 1680.
Dans sa Nouvelle Théorie de la Terre, William Whiston insista sur le fait que la raison d’être de la Bible n’avait jamais été d’être une allégorie ou un texte scientifique. C’était en fait un témoignage historique, « une représentation fidèle de la formation de notre Terre unique à partir d’un Chaos informe et des changements successifs et visibles qui ont eu lieu chaque jour jusqu’à ce qu’elle devienne le foyer de l’Humanité. »
Il incombait donc selon lui aux penseurs modernes de découvrir une explication scientifique aux descriptions littérales des événements miraculeux relatés dans la Bible.
« Car si les choses contenues dans les Écritures sont vraies, qu’elles dérivent réellement de l’Auteur de la Nature, alors nous découvrirons, en bonne et due forme, qu’elles sont confirmées par le Sysème du Monde, écrivait-il. La connaissance des causes se déduit de leurs effets. »
William Whiston, à partir des lois de la gravité de Newton, crut avoir expliqué le Déluge par l’effet une comète.
Des calculs réalisés par Edmund Halley indiquèrent que la comète de 1680 passait près de la Terre tous les 575 ans. En travaillant à rebours, William Whiston remarqua qu’une rencontre cosmique de ce type s’était produite en 2342 av. J.-C., date qu’on pensait à l’époque être celle du Déluge.
Car, selon la Genèse : « L’an six-cents de la vie de Noé, le second mois, le dix-septième jour du mois, en ce jour-là toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les écluses des cieux s’ouvrirent. La pluie tomba sur la Terre quarante jours et quarante nuits. »
D’après William Whiston, le passage d’une comète près de la Terre pouvait expliquer ces phénomènes. L’attraction gravitationnelle de la comète, affirmait-il, avait fracturé la croûte terrestre. Et la queue vaporeuse de la comète avait saturé la haute atmosphère en eau, ce qui avait entraîné des précipitations cataclysmiques.
Le poids de ces précipitations combiné à la force de marée avait selon lui forcé l’eau se trouvant sous la surface de la Terre à déborder et à faire des ravages.
Bien que cette comète servît le plan de Dieu, William Whiston tenait à rendre clair le fait que le Tout-Puissant ne l’avait pas précipitée sur la Terre comme Zeus aurait pu y lancer un éclair. En fait, Dieu avait créé la comète dans l’Antiquité et l’avait placée sur une trajectoire que la physique destinait à accomplir sa tâche.
Un commentateur en parlait d’ailleurs en ces termes : « Dieu avait prédit que l’Homme pécherait et que ses crimes, à l’aube de leur couronnement, exigeraient une punition terrible ; c’est ainsi qu’Il avait préparé dès le moment de la Création une comète qui serait l’instrument de Sa vengeance. »
LES CRITIQUES PLEUVENT
William Whiston dédicaça son livre à Newton qui estima ses théories plausibles et raisonnables.
Une carte des planètes et des étoiles de la Voie lactée présente dans un article publié par William Whiston. Selon un philosophe contemporain, c’était le « Carl Sagan de son époque ».
« Si Newton avait montré un désaccord franc avec l’hypothèse cométaire de Whiston concernant la cause du déluge ou avec le projet d’utiliser [ses propres] théories cométaires pour démontrer l’origine divine et la véracité de la Bible, il n’aurait jamais permis que Whiston lui succède à la chaire lucasienne », relève James Force.
Le livre rencontra un vrai succès. En 1737, cinq éditions avaient paru et il avait été traduit en allemand.
Mais de nouvelles découvertes et théories concernant la formation du Système solaire, la nature des comètes et l’âge des structures de la Terre finirent par rendre obsolètes les théories de William Whiston sur le Déluge. (Même les calculs de Halley concernant l’orbite de 575 ans de la comète se sont avérés incorrects). En outre, avec les Lumières a progressé un scepticisme vis-à-vis de la véracité historique de la Bible.
William Whiston lui-même se vit couvert de ridicule. « Que de ravages ont fait la théorie newtonienne et la comète de 1680 dans les mains de cet excentrique théologien ! », écrivait un critique. Camille Flammarion, célèbre astronome du 19e siècle, dit un jour que le livre de William Whiston prouvait que « l’ignorance des questions astronomiques était encore si générale au siècle dernier, qu’il n’y avait pas de sottise grossière qu’on ne répétât une fois qu’elle avait été dite et surtout une fois qu’elle avait été imprimée. »
Les historiens contemporains sont cependant plus cléments avec William Whiston. C’était un « philosophe de la nature » de son époque qui avait des croyances religieuses profondes mais qui croyait tout de même que les engrenages de la création divine n’étaient pas hermétiques à l’esprit curieux.
« Whiston n’était pas le grand innovateur scientifique et mathématique qu’était Sir Isaac Newton, et de loin », déclare James Force. Mais, « en tant qu’infatigable vulgarisateur des contributions indubitables de Newton, ainsi que du lien newtonien entre science et religion, Whiston était le Carl Sagan de son époque. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.