Notre-Dame ressuscitée : les coulisses d'une incroyable restauration

Cinq ans après l’incendie qui l’a dévastée, la cathédrale parisienne rouvre ses portes. Retour sur les coulisses d’une incroyable restauration, qui a ravivé le sens du sacré autour de l’édifice.

De Robert Kunzig
Photographies de Tomas van Houtryve
Publication 3 déc. 2024, 10:54 CET
Un nouveau coq en cuivre doré, pourvu d’ailes de feu, coiffe l’emblématique flèche, montrant que la ...

Un nouveau coq en cuivre doré, pourvu d’ailes de feu, coiffe l’emblématique flèche, montrant que la cathédrale a su renaître de ses cendres.

 

PHOTOGRAPHIE DE Tomas van Houtryve

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Le feu qui a failli détruire Notre-Dame de Paris a démarré dans les combles, près de la base de la flèche, peu après 18 heures, le 15 avril 2019 – le lundi de la Semaine sainte. Une messe était en cours de célébration à l’intérieur. Ma femme et moi avions rejoint la capitale la veille ; ce soir-là, vers 19 heures, nous passions devant la cathédrale. Depuis notre taxi, sur le pont Saint-Michel, nous aperçûmes une tache orange vacillant sur le toit. Quelques minutes plus tard, alors que nous étions bloqués dans la circulation, nous vîmes des flammes jaillir de la flèche. L’incrédulité fit place à la stupeur : Notre-Dame était vraiment en train de brûler.

Aucune cathédrale n’est aussi importante pour la France et pour le monde. Depuis plus de huit cents ans, Notre-Dame est au centre de la vie du pays et au coeur d’événements historiques religieux et profanes. En 1239, Louis IX lui confiait la supposée couronne d’épines de Jésus-Christ. Le 26 août 1944, alors que les balles allemandes fusaient encore au-dehors, le général de Gaulle y assistait à une messe célébrant la libération de Paris. Tout au long de son histoire, l’édifice a échappé aux bombes et aux brasiers qui ont ravagé bien d’autres cathédrales. Et il est devenu l’un des monuments les plus visités du monde – autant qu’un espace tenu pour sacré par des millions de personnes.

Plus tard dans la soirée, quand nous sommes revenus sur les lieux, la flèche s’était effondrée et le toit en plomb avait fondu. Depuis l’obscurité de la Rive droite, nos yeux étaient rivés sur le pignon du bras nord du transept, et nous regardions à travers les vitraux de la rose les flammes dévorer les vieilles poutres en chêne de la toiture. Des milliers de gens s’étaient massés sur les quais et les ponts de la Seine, aimantés par la catastrophe et par ce moment de communion. Beaucoup donnaient des nouvelles sur leurs téléphones. Certains chantaient l’Ave Maria. Nous n’étions que des visiteurs, mais la plupart des personnes présentes se sentaient directement concernées, et une part de leur coeur semblait se consumer.

Cinq ans et demi ont passé et Notre-Dame est revenue à la vie. Début décembre, l’archevêque de Paris célébrera une messe dans l’église restaurée. La même semaine, les grandes portes rouvriront au public, apaisant ainsi un traumatisme collectif. National Geographic s’est vu accorder un accès privilégié au monument durant les années de travail des architectes, des artisans et des scientifiques qui ont conduit à ce moment. Au cours de l’été 2021, je suis revenu à Paris pour la première fois depuis l’incendie, alors que la reconstruction était sur le point de commencer. L’été dernier, j’étais de retour pour en voir l’ultime phase – et en apprendre davantage sur les projets que le clergé nourrissait pour la cathédrale. J’en suis venu à admirer tout le mal que se sont donné des milliers de personnes, non seulement pour protéger ce magnifique monument médiéval, mais aussi pour le faire renaître en tant qu’église vivante.

Maîtrisant un procédé vieux de plusieurs siècles, un ouvrier verse du bronze en fusion dans un ...

Maîtrisant un procédé vieux de plusieurs siècles, un ouvrier verse du bronze en fusion dans un moule à la fonderie Barthélémy Art, à Crest, dans la Drôme, où le nouvel autel de Notre-Dame a été fabriqué.

PHOTOGRAPHIE DE Tomas van Houtryve

Il n’y a jamais eu le moindre doute sur le fait que Notre-Dame serait reconstruite. La question était plutôt : sous quelle forme ? Après l’incendie, en avril 2019, Emmanuel Macron avait déclaré : « Nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame, plus belle encore». Il avait aussi fixé l’objectif d’un achèvement des travaux en 2024, lesquels devaient être financés par les 846 millions d’euros de dons et promesses de dons collectés après le désastre.

Le président de la République proposait qu’une structure nouvelle remplace la vieille flèche. Des architectes avancèrent avec empressement des idées de toit en verre ou de flèche en cristal. Les conservateurs du patrimoine furent consternés, y compris l’architecte en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve qui, au moment de l’incendie, était déjà en charge d’une restauration partielle de la cathédrale. De son point de vue, ajouter une flèche moderne aurait été aussi incongru que refaire le nez de la Joconde. Alors que restaurer Notre-Dame à l’identique, m’avait expliqué l’historien de l’art spécialiste de l’architecture Jean-Michel Leniaud en 2021, avec de la pierre calcaire, du chêne et du plomb, serait un acte cathartique – une manière de purger le souvenir sinistre de cette nuit et de faire le deuil des structures originelles. Les défenseurs du patrimoine ont gagné : Notre-Dame de Paris a été reconstruite telle qu’elle était avant l’incendie et telle que l’avait laissée au xixe siècle l’architecte Viollet-le-Duc, pionnier de la restauration.

Pourtant, pour quiconque y a pénétré auparavant, elle paraîtra totalement transfigurée. Les murs, les peintures, les sculptures et les vitraux ont tous été nettoyés et restaurés en même temps, pour la première fois depuis le xixe siècle. Les visiteurs « seront stupéfaits par l’intérieur de la cathédrale », promet Philippe Jost, le président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame. « Ce sera un choc, un émerveillement. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Tomas van Houtryve

    Mais la nouveauté sera au rendez-vous à un autre titre. Alors que l’édifice proprement dit appartient à l’État, qui le gère et le protège en tant que monument historique, le mobilier, qui a été lourdement endommagé par les flammes et n’était en grande partie pas historique, appartient quant à lui au diocèse de Paris. Lequel a choisi de procéder à une redécoration complète. Un investissement minime au regard du coût de la restauration globale – mais qui aura un impact considérable sur le ressenti des visiteurs.

    Au début de l’été dernier, je suis allé dans une fonderie de la Drôme pour voir quelques éléments de ce nouveau mobilier. Là, j’ai rencontré Guillaume Bardet, le sculpteur et designer chargé par le diocèse de Paris de créer un nouvel autel ainsi que d’autres éléments liturgiques. Dans la salle de fournaise, nous avons regardé deux ouvriers transvaser le bronze fondu et incandescent dans une série de moules. Des parties brutes et incomplètes des nouveaux fonts baptismaux de Guillaume Bardet reposaient à côté, à même le sol. Son autel se dressait dans la salle voisine, attendant d’être poli.

    Le sculpteur designer m’a expliqué qu’il avait cherché à élaborer des formes simples et intemporelles en travaillant sur des modèles en argile. L’autel en bronze, massif, semblait être ancré au lieu, pourtant ses côtés incurvés évoquaient deux bras levés. Il espère qu’il parlera non seulement aux croyants, mais également au grand nombre de touristes peu familiers du catholicisme, ou même du christianisme. « Ils doivent eux aussi comprendre, m’a-t-il précisé. Ils doivent entendre qu’il est question de sacré. »

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