Aucune preuve de contrefaçon sur le papyrus de l'« Évangile de la femme de Jésus »

Nom d'un Da Vinci Code ! Les analyses chimiques et épigraphiques suggèrent que l'« Évangile de la femme de Jésus » pourrait être authentique.

De Dan Vergano
Publication 7 sept. 2021, 10:14 CEST, Mise à jour 9 sept. 2021, 13:31 CEST
Le fragment de papyrus appartient à un collectionneur privé, et les actes de vente ne remontent ...
Le fragment de papyrus appartient à un collectionneur privé, et les actes de vente ne remontent que jusqu’à 1999.
Photo Karen L. King

Jésus était-il marié ? Un fragment de papyrus datant du 8e siècle après J.-C. semble le suggérer et provoque la controverse depuis sa découverte.

L’« Evangile de la femme de Jésus », dont la découverte a été annoncée en 2012 au cours du congrès international d'études de la langue copte à Rome par Karen King, de la Harvard Divinity School, contient quelques formulations intrigantes. 

Les mots « Jésus leur dit : ‘Ma femme’ (…) elle pourra être ma disciple (..) » sont visibles au centre du fragment. Initialement daté par King au 4e siècle, ce message du passé résonne avec les débats actuels sur le rôle de la femme dans la Chrétienté et n’est pas sans rappeler les thèmes du roman à succès Da Vinci Code de Dan Brown.

À sa découverte, le morceau de papyrus a été accueilli avec scepticisme par les théologiens, qui ont longtemps considéré le fragment comme une contrefaçon. Cependant, dans les rapports publiés ensuite dans la revue Harvard Theological Review, plusieurs experts rendaient compte d’analyses de la composition chimique et de l’écriture ancienne du fragment. Ils sont arrivés à la conclusion que l’encre utilisée dans ce fragment correspondait à l’encre ancienne déjà documentée, et que les fibres du papyrus dataient du 7e ou 8e siècle. Pour King, il pourrait même s’agir de la copie d’un texte encore plus ancien.

« Toutes les preuves d’un document ancien sont réunies », souligne King lors d’une conversation téléphonique. « Pour nous autres historiens, il nous faut maintenant nous poser la question de ce que cela veut dire. »

 

UNE CONTREFAÇON TRÈS RÉUSSIE ?

Les résultats les plus récents ne disent rien à propos du mariage supposé du Jésus historique, remarque l'historienne. Mais les similarités avec d’autres textes d’évangile sur papyrus datant des siècles suivant la vie du Christ illustrent le long débat sur la place des femmes dans l’Eglise.

Les résultats ne suffisent pas à prouver de façon concluante qu’il ne s’agit pas d’une contrefaçon très réussie, mettent en garde les scientifiques. En l’absence de preuves, ils lèvent les objections exprimées auparavant sur le texte.

Mais les doutes persistent. L’un des rapports publiés, celui de l’épigraphe Leo Depuydt de l’université de Brown, dans l’État américain de Rhode Island, affirme que le texte est parcouru d’erreurs de grammaire. Il conclut : « L’auteur de cette analyse n’a pas l’ombre d’un doute sur le fait que ce document est une contrefaçon, assez mauvaise par ailleurs. »

En résumé, il suggère que le papyrus a été forgé à partir d’une copie du texte de l’ancien Évangile selon Thomas, découvert il y a moins d’un siècle en Égypte.

Comprendre : le Christianisme

Karen King a depuis réfuté ces critiques dans une réponse publiée dans la revue. Pour elle, les erreurs de grammaire étaient des mauvaises interprétations de Depuydt. Elle ajoute que des écritures similaires à l’Évangile selon Thomas étaient très répandues en Méditerranée orientale à l’époque. Retrouver des formules issues de cet Évangile n’est en rien un signe de contrefaçon.

 

UN PAPYRUS ANCIEN

De précieux documents anciens en papyrus sont régulièrement découverts dans les sites archéologiques en Égypte, probable pays d’origine du fragment de 8 centimètres de long sur 4 centimètres de large. L’origine exacte et l’auteur du document restent un mystère, car il appartient à un collectionneur privé anonyme et les actes de vente ne remontent que jusqu’à 1999, selon Karen King.

Elle ajoute que le propriétaire du fragment pourrait en faire don à Harvard, potentiellement pour l’exposer.

Dans l’un des rapports publiés par la revue, une équipe de chimistes dirigée par Joseph Azzarelli du Massachussetts Institute of Technology conclut que l’âge du morceau de papyrus concorde avec celui d’un papyrus authentifié de l’Évangile de St Jean datant de l’Antiquité. L’équipe a entrepris une analyse par microspectroscopie du papyrus qui a révélé une oxydation (vieillissement par l’exposition à l’air) légèrement moins importante que l’Évangile authentifiée.

De même, James Yardley et Alexis Hagadorn, tous deux de l’université de Columbia, ont observé les pigments de l’encre du fragment. Ils l’ont trouvée similaire à l’encre au noir de fumée utilisée dans d’autres textes anciens.

Plus important encore, les scientifiques n’ont trouvé aucune preuve que l’encre avait été appliquée au papyrus récemment. Si cela avait été le cas, l’encre se serait accumulée dans les sections endommagées du fragment. Ils n’ont trouvé aucun signe que le mot pour « femme » (personne de sexe féminin) a été changé par celui pour « épouse » ultérieurement, théorie souvent avancée par les sceptiques.

Selon la datation au carbone, le fragment serait daté entre 659 et 869.

Le débat sur la grammaire utilisée par le texte copte révèle le style d’écriture de l’auteur du papyrus, qui n’était peut-être pas un scribe professionnel mais plutôt un membre des basses classes sociales n’ayant reçu aucune éducation, suggère Malcolm Choat, ancien spécialiste en écritures de l’université de Macquarie en Australie.

Choat compare l’écriture à celle de textes « magiques » rédigés au pinceau à brosse et mis au jour dans la région. Ces textes étaient souvent des invocations demandant des bénédictions ou des malédictions.

« Je n’ai pas trouvé de preuve tangible indiquant avec certitude que le site n’a pas été écrit dans l’Antiquité ; mais ce genre d’examen ne peut pas non plus en certifier l’authenticité », écrit Choat. Il affirme toutefois que ce n’est pas la simple contrefaçon dénoncée par les détracteurs.

 

LA FEMME DANS L'ÉGLISE

Les femmes étaient les plus ferventes défenseuses de la Chrétienté des origines, alors que les convertis se faisaient de plus en plus nombreux dans un Empire romain hostile. À cette époque, les auteurs chrétiens ne discutaient pas du statut marital de Jésus, explique l'historienne. L’affirmation de son célibat n’a commencé que vers la fin du 2e siècle.

Si le fragment de papyrus est le reflet des écritures religieuses copiées de textes plus anciens, remontant certainement au 4e siècle, il doit aborder les questions que se posaient les premiers Chrétiens sur le rôle de la famille dans l’Église primitive. L'Église catholique aujourd'hui encore demande à ses membres d’abandonner leurs allégeances familiales et civiques.

« Il n’y a aucune preuve que Jésus était marié. Nous ne savons pas », insiste King. « Mais les premiers Chrétiens s’intéressaient beaucoup à la question de savoir s’ils pouvaient se marier ou rester célibataires. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en avril 2014 en langue anglaise. Il peut contenir des informations obsolètes.

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