Petite histoire de la Légion d’honneur
Instituée en 1802 par Napoléon Bonaparte, la Légion d’honneur est encore aujourd’hui la distinction la plus élevée en France. D’où vient-elle et que représente-t-elle réellement ?
En 2023, 1 858 personnes ont été distinguées de la Légion d’honneur, dont 1 170 à titre militaire. L’ordre compte actuellement 79 000 membres.
Connue de tous, mais parfois mal comprise, la Légion d’honneur attise les fantasmes et n’est pas dépourvue de critiques. La notion d’honneur elle-même est complexe et peut sembler subjective. Alors, d’où vient-elle et que représente-t-elle réellement ?
Sous l’Ancien Régime, les premières distinctions de mérite récompensaient uniquement les militaires. Les deux décorations principales de ce type étaient l’Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis, créé par Louis XIV, et l’Institution du Mérite militaire, crée par Louis XV. Sous la Révolution française, elles furent toutes supprimées. Napoléon Bonaparte, lorsqu’il devint premier consul en 1799, à la suite du coup d’État du 18 brumaire an VIII, s’en inspira pour la création d’une distinction moderne et novatrice.
« Napoléon, à partir du moment où il devient Premier Consul, son regard n'est plus celui d'un militaire, mais celui d'un chef d'État, qui doit mettre fin à la révolution et qui entend réunifier la société », résume Tom Dutheil, conservateur par intérim au Musée de la Légion d'honneur et des ordres de chevalerie.
Cette volonté prit corps lors du célèbre discours des « Masses de granit », prononcé par Napoléon le 8 mai 1802 : « On a tout détruit, il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs, mais tout le reste de la nation, qu’est-ce ? Des grains de sable. Nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact. Tant que j’y serai, je réponds bien de la République, mais il faut prévoir l’avenir. Croyez-vous que la République soit définitivement acquise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de la faire, mais nous ne l’avons pas, et nous ne l’aurons pas, si nous ne jetons pas sur le sol de France quelques masses de granit. »
Le projet de loi pour la création de la Légion d’honneur fut discuté devant le Conseil d’État en mai 1802, et adopté par quatorze voix contre dix. À travers cette volonté de création de la Légion d’honneur, Napoléon souhaitait, d’après Tom Dutheil « créer une nouvelle élite. Mais une élite de mérite et d’exemplarité, différente de la noblesse. » Selon le conservateur, l’objectif de l’homme d’État était « d’aller chercher dans toutes les catégories de la nation, du grand peintre, du grand scientifique, du grand artisan, du grand soldat, les citoyens qui doivent servir d'exemples pour la nation et qui doivent le rester. »
L’INSTITUTIONNALISATION DE LA LÉGION
Avant la Légion d’honneur, Napoléon avait déjà mis en place, en 1799, un système de récompense militaire avec les armes d'honneur, attribuées aux militaires pour de hauts faits d'armes. Par amputation de décrets, les soldats ayant reçu ces armes d’honneurs furent donc les premiers à être distingués de la Légion d’honneur, par ordre alphabétique. Le tout premier à avoir reçu officiellement la médaille fut en conséquence le Caporal Jean Abady. « Non pas que le Caporal Jean Abady se soit particulièrement distingué par rapport aux autres. […] C'est simplement qu’il arrive en premier dans l’ordre alphabétique » précise Tom Dutheil.
La première année, il n’y eut pas de cérémonie ou d’insignes. « Napoléon est très prudent quand il crée la Légion d’honneur, parce qu’il reçoit beaucoup de critiques de la part d’un certain nombre de membres de l'Assemblée, qui craignent un retour aux ordres d'Ancien Régime. » Mais dès 1803, il organisa de grands décrets de nomination et fit faire les premiers projets d’insignes. Fut adoptée l’étoile à cinq branches, croix laïcisée, ornée de feuilles de laurier et de feuilles de chêne. « Ce sont les couronnes de laurier que recevaient les généraux romains sous l’Antiquité, symbole de mérite militaire et de feuilles de chêne, symbole de mérite civil ».
« La Légion d'honneur, lorsqu’elle est créée par Napoléon, est dotée de […] toute l'administration qui va avec la mise en place d'une institution. » Ainsi, la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur fut mise en place dès sa création en 1802, et le premier « Grand Chancelier », qui présidait l’institution, fut nommé. Il s’agissait de Bernard de Lacépède, un zoologiste et homme politique français. En parallèle, le « Chef de l’Ordre », aujourd’hui appelé « Grand Maître », était « le garant suprême » de l’institution. Il s’agit depuis toujours du chef de l’État, et donc, à l’époque, de Napoléon Bonaparte.
Le premier consul Bonaparte remet les premières décorations de la Légion d'honneur le 15 juillet 1804. Tableau du peintre Jean-Baptiste Debret.
Trois jours avant que Napoléon ne soit courroné empereur, le 15 mai 1804, fut organisée la première cérémonie de remise de la Légion d’honneur aux Invalides, à Paris. Le Grand Chancelier Bernard de Lacépède, prononça un discours affirmant : « Immense monument de gloire, elle montre toutes les professions honorées, toutes les affectations réunies, tous les services récompensés, tous les hauts faits couronnés, toutes les vertus, tous les talents offerts à l'admiration des siècles. » L’objectif était d’ouvrir le plus possible cette Légion d’honneur aux catégories autres que militaires.
Toutefois, à la fin du premier Empire, « du fait des guerres de l'Empire elles-mêmes, la Légion d’honneur est extrêmement militarisée. Pas parce que Napoléon voulait ne la réserver qu’à ses militaires, mais le contexte l’explique. Et c'est progressivement, tout au long du 19e siècle, qu’elle va de plus en plus s’ouvrir à la société civile » explique Tom Dutheil. La Légion évolua donc « au gré de l’évolution de la nation. »
LA LÉGION AUJOURD’HUI
D’après le Code de la Légion d’honneur, établi en 1962 par la volonté du général de Gaulle, « la Légion d’honneur est la récompense des mérites éminents acquis au service de la nation soit à titre civil, soit sous les armes. » Encore aujourd’hui, la Légion affirme vouloir s’ouvrir à des pans plus larges de la société.
La Légion d’honneur se compose de trois grades fixés sous la Restauration en 1816 : Chevalier, Officier et Commandeur, et de deux dignités : Grand Officier et Grand-Croix (appelée Grand Aigle sous Napoléon). Les contingents ne sont pas les mêmes en fonction des grades. La promotion civile distingue 352 personnes, 287 Chevaliers, quarante-cinq Officiers, quatorze Commandeurs, quatre Grands Officiers et deux Grand-Croix.
En outre, pour progresser au sein de l’ordre, plusieurs années de délais sont requises. Au départ, il faut déjà comptabiliser un minimum de vingt années d’activité pour entrer dans l’ordre. Ensuite, pour passer du grade de chevalier à celui d’officier par exemple, il y a un délai minimum de huit ans. « C’est un corps dans lequel on est tenu de continuer à progresser par ses mérites », résume Tom Dutheil. Il y a néanmoins des exceptions, notamment pour les personnes « ayant exposé leur vie dans l’exercice de leur fonction », selon le site de la chancellerie, par exemple, un militaire mort au combat.
Son port est codifié. Elle est placée sur le côté gauche, avant tout autre symbole français ou international. Il est important de noter que l'administration ne fournit pas la médaille : c'est au titulaire de l'acquérir. Son prix varie de 190 à 715 euros, selon le grade sur le site de la Monnaie de Paris. Autre mention importante, seuls les citoyens français peuvent être admis dans l’ordre. Les étrangers peuvent être distingués dans l’ordre de la Légion d’honneur, mais n’en sont pas membres.
Au-delà du prestige qu’elle apporte, pour Tom Dutheil, le plus important est « l’histoire humaine qu’il y a derrière chaque médaille. » Il conclut : « la Légion d’honneur permet de réfléchir sur "qu'est-ce que c'est que de mériter ?" C'est quelque chose qui existe depuis Napoléon et jusqu'à nos jours. Elle n'a cessé d'évoluer avec cette question. »