Néandertal réalisait les premières gravures pariétales il y a plus de 57 000 ans
Les gravures de la grotte de la Roche-Cotard ont été récemment datées à plus de 57 000 ans. Elles constituent à ce jour les plus anciennes preuves des réalisations artistiques de l’Homme de Néandertal, longtemps considéré comme "une brute épaisse".
Le « panneau ondulé » est l’un des huit vestiges présentant des tracés pariétaux gravés au doigt dans la chambre du pilier de la grotte de la Roche-Cotard.
En juin 2023, d’intrigantes gravures pariétales tracées au doigt sur les parois de la grotte de la Roche-Cotard, dans le département français de l’Indre-et-Loire, ont fait l’objet d’une étude de datation tout à fait remarquable qui révolutionne la chronologie des vestiges pariétaux.
Une équipe pluridisciplinaire de chercheurs internationaux, sous la direction de l’archéologue français Jean-Claude Marquet de l’université de Tours, a déterminé qu’elles avaient été tracées il y a plus de 57 000 ans, période à laquelle l’entrée de la grotte s’est retrouvée bouchée par les sédiments issus des crues de la Loire et provenant du plateau. Ces dessins auraient été réalisés il y a environ 75 000 ans, soit plus de 35 000 ans avant la migration des premiers Homo sapiens en Europe.
LES PLUS ANCIENNES GRAVURES DE L'HUMANITÉ
Les tracés singuliers qui ornent les murs de la grotte de la Roche-Cotard sommeillent depuis des temps ancestraux. Dessinée du bout des doigts, une multitude de formes non-figuratives constituées de points et de traits a été détaillée par de mystérieux artistes sur les parois alors recouvertes d’un résidu tendre et malléable. Les archéologues ont relevé ces gravures en huit emplacements distincts, qui laissent encore clairement apparaître le mouvement des doigts, lequel semble avoir été savamment pensé.
Vue de la chambre du pilier depuis l’entrée montrant l’emplacement des panneaux numérotés en bleu (a : Panneau d’entrée ; b : Panneau fossile ; c : Panneau linéaire ; d : Panneau ondulé ; e : Panneau circulaire ; f : Panneau triangulaire ; g : Panneau rectangulaire ; h : Panneau pointillé)
Orthophoto des murs nord-ouest et nord-est de la chambre du pilier, avec la numérotation correspondante de chaque panneau présentant des tracés pariétaux. La ligne pointillée représente le niveau probable du sol.
« Le travail scientifique qui a été réalisé à l’intérieur de cette grotte s’inscrit dans le temps long » intervient Jean-Claude Marquet, fasciné depuis le début de sa carrière par ces étonnantes gravures. La Roche-Cotard a été mise au jour en 1846 et a commencé à être explorée en 1912. Peu à peu, les archéologues découvrent que cette petite grotte d’une trentaine de mètres de long a abrité différents locataires au cours de son histoire. Des ours, des hyènes, le grand lion des cavernes, mais également l’un de nos cousins disparus : l’Homme de Néandertal. Plusieurs indices en témoignent.
D’une part, deux couches différentes d’outils néandertaliens ont été retrouvées. La plus récente, datée d’environ au moins 80 000 ans, comprend des outils faits de silex, notamment des bifaces moustériens de tradition acheuléenne (MTA). En dessous, dormaient d'autres outils typiquement moustériens (à débitage Levallois) encore plus anciens. Le Moustérien correspond à l’une des facettes culturelles et technologiques propre aux Hommes du Paléolithique moyen en Europe, reconnaissable grâce à des « industries lithiques faites de silex taillés, uniquement attribués à Néandertal », explique Jean-Claude Marquet.
D’autre part, ces traces retrouvées sur les parois de l’une des trois chambres de la grotte, appelée « chambre du pilier », ont fait l’objet d’une datation publiée en juin dernier, qui a permis de confirmer que des Néandertaliens en étaient les auteurs. Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs ont voulu comprendre l’histoire du lieu dans son ensemble. Ils sont donc partis du constat que l’accès à la Roche-Cotard était condamné, sans aucune possibilité d’y entrer jusqu’en 1846, date de sa découverte. Pendant des milliers d’années, les crues répétées de la Loire ont déposé une accumulation de sédiments fluviaux, lesquels ont fini par condamner l’entrée de la grotte, scellant les secrets qu’elle renfermait.
Les datations qui ont été réalisées par une équipe danoise, se sont concentrées sur ces couches de sédiments à l’entrée de la grotte. En utilisant une technologie de luminescence stimulée optiquement (OSL) qui permet de dépasser la limite de datation au carbone 14 à 40 000 ans, ils sont parvenus à décrypter des informations contenues dans les minéraux. « Quand les sédiments s’accumulent sur le sol, ils reçoivent la lumière solaire et donc des rayonnements cosmiques ».
« La datation par luminescence stimulée optiquement est une méthode chronologique absolue qui détermine quand les sédiments ont été exposés pour la dernière fois à la lumière du jour », détaille l’archéologue en chef. Lorsqu'ils sont recouverts par de nouvelles couches de sédiments, ils se retrouvent coupés de la lumière du soleil. « Le signal de luminescence, sans apparaître, commence à s'accumuler dans les grains minéraux contenus dans les sédiments en raison de l'interaction avec les rayonnements ionisants émis principalement par les séries Uranium et Thorium naturelles, le Potassium-40 et les rayons cosmiques », détaille le scientifique.
Les quartzs et autres feldspaths possèdent en effet dans leur structure quelques défauts qui piègent les électrons excités par la radioactivité naturelle. C’est à partir du calcul des quantités de charges ainsi piégées que ces couches sédimentaires ont été datées. Les résultats prouvent que la grotte s’est refermée il y a 57 000 ans. Ces tracés digitaux ont donc été réalisés par Néandertal il y a vraisemblablement plus de 75 000 ans, et sont les plus anciens découverts à ce jour.
NÉANDERTAL, UN ARTISTE TROP SOUS-ESTIMÉ
Sapiens n’est donc pas le seul artiste dans l’histoire du genre Homo. C’est en 1976 que Jean-Claude Marquet met pour la première fois les pieds dans cette grotte. « À cette époque-là, je n’ai pas osé demander à un spécialiste d’art préhistorique de venir voir ces tracés », se souvient l’archéologue. « On m’aurait pris pour un malade si j’avais demandé s’ils pouvaient avoir été faits par Néandertal, qui était alors considéré comme une brute épaisse, sans aucun esprit imaginatif ». Cela ne fait en effet qu’une trentaine d’années environ que la communauté scientifique reconnaît et étudie la complexité culturelle et mentale des Néandertaliens.
Pendant plus de vingt ans, le chercheur garda toutefois en tête l’idée de poursuivre l’étude de ces tracés digitaux. En 2008, Michel Lorblanchet venait valider le très grand intérêt de ces panneaux et demandait un relevé rigoureux de ceux-ci ainsi que leur datation. Une étude photogrammétrique permettait déjà de confirmer qu’il s’agissait bien de tracés humains réalisés intentionnellement dans le but de marquer les parois de la grotte. Cette étude a permis d’écarter la possibilité d’une origine animale, accidentelle ou involontaire, ou encore que les panneaux puissent avoir été réalisés après la découverte de la grotte.
À la surface du tuffeau qui compose les parois, se trouve un film de deux à trois millimètres d’épaisseur. Selon les chercheurs, il s’agirait potentiellement d’un composé d’altération suffisamment modelable pour que les Hommes de Néandertal y plongent le bout de leurs doigts et y tracent diverses formes non figuratives. Les panneaux que l’on peut observer à la Roche-Cotard, notamment le « panneau triangulaire » qui est l’un des plus intéressants avec ses tracés tous parallèles et un travail certain sur des effets de relief, sont « faits avec une intentionnalité extrêmement forte », insiste Marquet.
Le panneau triangulaire.
Ce relevé donne la numérotation des traces. La zone verte correspond à la surface de la cassure d’un cylindre naturel.
Les archéologues s'interrogent également sur une éventuelle signification dans l’agencement des trois salles qui composent cette grotte. Plus on s’y enfonce, moins on trouve de traces des activités de la vie quotidienne. Les fouilles montrent que l’Homme de Néandertal devait principalement vivre dans la première salle ainsi qu’à l’entrée où se tenait autrefois un foyer. C’est dans cette zone que la totalité des outils moustériens en silex se trouvaient regroupés.
« Dans la deuxième et la troisième salles, il n’y avait pas d’outils. Il y a comme une impression de vide », fait remarquer l’archéologue. Mais c’est dans la dernière salle, la « salle du pilier », que les archéologues ont retrouvé les huit panneaux gravés. Il semble que rien n’y ait été laissé au hasard, ni dans les tracés des parois, ni dans l’occupation de cette pièce dont l’accès était peut-être restreint pour différentes raisons rituelles ou spirituelles. Ces suppositions sont aujourd’hui à l’étude.
La confirmation de l’origine néandertalienne de ces gravures ajoute une pièce supplémentaire au puzzle des origines de l’intelligence et de la sensibilité humaine. Qu’est-ce que les occupants de la grotte de la Roche-Cotard cherchaient à représenter ou exprimer ? Les recherches autour de cet énigmatique legs se poursuivent. Mais ces empreintes qui ont traversé les millénaires sont actuellement les plus vieux témoins d’une obsession très humaine : laisser une trace de son passage dans la grande roue du temps et des évènements.
Retrouvez notre grand reportage sur l’art pariétal algérien dans le numéro 293 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine