Quel avenir pour les femmes afghanes sous les talibans ?
La prise du pouvoir par les talibans remet en question vingt années d’avancées pour les femmes afghanes. Un seul objectif pour les magistrates, journalistes, artistes, professeures et défenseures des droits humains : s'en sortir vivantes.
Le 19 mars 2021, à la veille de Norouz, fête printanière qui marque le début de la nouvelle année, des amies se rendent à un barrage près de chez elles pour un pique-nique. Bien que de nombreuses femmes aient gagné l’accès à l’éducation, au marché du travail et à la liberté, elles connaîtront sans aucun doute de nouvelles restrictions sous le régime taliban.
Le mois dernier, Naheed Esar l’a passé à se faire à sa nouvelle vie de doctorante parmi les arbres luxuriants de Fayetteville, dans l’Arkansas. En fin de soirée, quand sa famille se réveille en Afghanistan, elle leur passe un appel. « On essaie de se calmer les uns les autres, explique-t-elle. Mais ça commence par : ‘T’es en vie ? Où est telle et telle personne ?’ » Elle ne dort pas beaucoup.
Pendant vingt ans, les Afghanes ont pu aller à l’école, travailler, et se battre pour obtenir les mêmes droits que les hommes. Elles sont devenues artistes, activistes et actrices. Mais aujourd’hui, Naheed Esar ainsi que des millions d’autres femmes sont menacées par la prise de pouvoir soudaine des talibans. Des milliers de femmes fuient ou bien se cachent et sont en proie à un avenir incertain.
Des femmes font des emplettes au marché de Faizabad, capitale de la province de Badakhshan, le 10 avril 2021. Cette petite ville du nord-est est tombée aux mains des talibans exactement quatre mois plus tard.
Au printemps dernier, Soraya mélangeait une marmite chez elle en préparation au Khatm-i-Quran, cérémonie d’hommage aux morts lors de laquelle une famille reçoit tous les hommes d’un village ou d’un quartier.
Nazdana (au milieu), son mari, et toute sa famille ont fui les combats dans leur village l’hiver dernier. Au 28 février 2021, ils avaient réussi à s’installer dans une maison pleine à craquer aux abords de Kandahar, deuxième ville d’Afghanistan, que les talibans ont fini par prendre le 13 août.
Naheed Esar, qui a aujourd’hui 33 ans, faisait partie du gouvernement afghan depuis six ans. Elle avait commencé en tant qu’experte sur les questions de genre auprès du palais présidentiel et était devenue ministre adjointe des Affaires étrangères. Les menaces qui pesaient sur elle étaient alors constantes : elle se déplaçait avec cinq gardes du corps dans un véhicule blindé, et des chiens renifleurs se rendaient à son domicile une fois par semaine pour y rechercher des explosifs. En 2020, la signature d’un accord de paix entre les États-Unis et les talibans a largement amenuisé les chances qu’elle et des millions d’autres Afghanes ambitieuses avaient de pouvoir continuer à mener leur vie comme elles l’entendaient.
Naheed Esar a alors commencé ses préparatifs en vue de son départ. « J’ai pris conscience du fait que si je restais, je ne pourrais jamais quitter l’Afghanistan en vie », confie-t-elle.
Les rues de Kaboul sont bordées de murs anti-explosion, signe de la précarité sécuritaire de la ville avant même que les talibans ne la prennent.
La dernière fois que les talibans ont contrôlé l’Afghanistan, de 1996 à 2001, l’éducation des femmes était très largement interdite, l’adultère et d’autres entorses à la loi y étaient punis de lapidation et de coups de fouet, et les femmes ne devaient pas quitter le domicile sans être accompagnées d’un homme. Après l’invasion américaine, qui a permis d’évincer les talibans du pouvoir, l’éducation des femmes est devenue le symbole de la réussite de la mission. Des millions de filles ont alors revêtu un uniforme. Aujourd’hui, la moitié des Afghanes âgées de 15 à 24 ans savent lire ; un taux d’alphabétisation deux fois plus élevé qu’en 2000. Et même si elles sont bien moins présentes sur le marché du travail que dans la majorité des pays, un nombre croissant d’Afghanes occupaient des fonctions gouvernementales, de magistrature ou bien médiatiques. Plus d’un quart des sièges parlementaires du pays (qui compte 39 millions d’habitants) sont réservés aux femmes.
À la mi-août, quand Kaboul est tombée, ceux qui espéraient échapper à la loi des talibans ou à leur vengeance ont afflué vers l’aéroport. Plus de 80 000 personnes ont été évacuées de Kaboul depuis la chute du pays, mais 250 000 personnes ayant droit à un visa américain demeurent dans l’attente. Elles sont des milliers de plus à être de potentielles cibles pour les talibans et à attendre qu’on les aide avant que les militaires américains ne s’en aillent ce 31 août. Parmi ces personnes, des femmes journalistes, parlementaires, artistes, membres de la communauté LGBTQ, des traductrices et tant d’autres qui craignent pour leur vie sous le règne des talibans. Les efforts humanitaires et privés ont reçu des vagues de soutien mais leur succès logistique est relatif.
Des étudiants massés dans une salle de cours à l’académie Mawoud de Kaboul, le 21 mars dernier. Plus de deux ans auparavant, un kamikaze avait fait au moins quarante morts dans une classe d’algèbre, dont la plupart étaient hazaras.
Lors de leur première prise de pouvoir, les talibans avaient banni la fête de Norouz, qu’ils considèrent païenne. En mars dernier, des milliers de personnes ont participé à un festival dans le village de Nalij, dans la province de Deykandi.
Le 1er décembre 2020, ont passé leurs partiels d’anglais de fin de semestre à Khandud, dans le district de Wakhan, dans la province de Badakhshan.
Un petit groupe de réfugiées a pu filtrer au compte-goutte à travers le labyrinthe de la bureaucratie militaire de l’aéroport et embarquer à bord d’un avion : une dizaine d’adolescentes lauréates d’un concours de robotique qui ont atterri à Doha grâce à un vol spécial affrété par le gouvernement qatarien. Une des premières maires du pays, Zarifa Ghafari, a pu être exfiltrée en Allemagne après avoir annoncé à la presse qu’elle était sur le point de se faire tuer. Des étudiantes de l’unique pensionnat pour filles du pays ont atterri au Rwanda après que ses fondatrices ont brûlé l’ensemble des fichiers les concernant. (En 2014, la fondatrice du pensionnat, Shabana Basij-Rasikh, faisait partie des explorateurs National Geographic).
Naheed Esar a quitté l’Afghanistan le 17 décembre 2020 et a rejoint le Pakistan, où elle a obtenu un rendez-vous pour un visa américain qui allait lui permettre d’effectuer un doctorat en anthropologie à l’Université de l’Arkansas.
Le temps qu’elle l’obtienne, les talibans se sont emparés de plus en plus de territoires. Et quand le visa est arrivé à la mi-juillet, son père l’a suppliée de quitter sans attendre le Pakistan pour les États-Unis. « Et si l’aéroport de Kaboul tombe ? », s’est-il inquiété. Elle n’imaginait pas que cela puisse se produire, mais elle est tout de même partie. Elle a atterri en Arkansas à la fin du mois de juillet et a dû abandonner toutes ses affaires pour des habits de seconde main et des meubles que lui ont donné ses professeurs à l’université.
Fakhria aide sa mère à s’étirer à leur domicile, à Kaboul, le 16 février 2021. En 2016, Fakhria et son mari ont créé un club de yoga qui est devenu un havre de paix pour plus de 500 étudiants.
Quand Kaboul est tombée, les élèves du programme Fulbright 2021 avaient déjà obtenu leurs visas, nous a expliqué Naheed Esar. Ceux avec qui elle est en contact ont réussi à arriver aux États-Unis. Elle ne les a pas rencontrés en personne, mais ils échangent sur WhatsApp et elle les exhorte à se détourner des réseaux sociaux, à se concentrer sur leurs études, et à tirer parti de cet épisode.
Elle nourrissait le rêve d’ouvrir un jour un institut de recherche entièrement afghan. Mais aujourd’hui, elle ne sait pas si elle pourra rentrer. « Quitter son pays alors que sa famille et ses proches y sont, c’est comme déplacer un arbre d’un endroit à un autre, confie-t-elle. Cet arbre va-t-il continuer à pousser normalement ? »
Naheed Esar vient d’une lignée de guerrières. Sa grand-mère a pris part aux combats lors de l’invasion soviétique et a plus tard dirigé le conseil de son village. Sous le premier régime taliban, sa mère a dirigé une école clandestine sous-terraine qui a accueilli soixante filles. Naheed Esar, qui avait sept ans à l’époque, fanfaronnait en se faisant appeler madame la directrice. Mais aujourd’hui, sa famille semble avoir abandonné tout espoir. Sa grand-mère est morte et sa mère n’a plus le courage de se battre. Ses parents pensent à quitter le pays, chose qu’ils n’avaient jamais envisagée auparavant. Leurs chances de s’en sortir s’amenuisent chaque jour un peu plus.
Le 18 février 2021, la chanteuse Aryana Saeed se fait coiffer par Hasib Sayed, son assistant-maquilleur, pendant que son fiancé prend des photos pour alimenter ses réseaux sociaux avant l’enregistrement d’un épisode du télé-crochet « Afghan Star ». Les menaces qui planent sur l’émission l’ont obligée, elle et d’autres candidats, à loger en lieu sûr pendant la durée de la production. Aryana Saeed et Hasib Sayed ont fui l’Afghanistan le 17 août.
Un clip indien passe à la télévision afghane le 1er mars 2021, au Cafe Delight à Aino Maina, dans la province de Kandahar, et est censuré pour ne pas dévoiler la peau nue des danseuses.
De jeunes femmes assistent à un enregistrement du télé-crochet « Afghan Star », le 18 février 2021. Les menaces proférées à l’encontre de la chaîne TOLO TV ont été telles que le jury et les candidats ont dû loger dans un lieu tenu secret pendant la durée de l’émission.
S'EN SORTIR VIVANTE
Dans la confusion et sans plan d’évacuation global pour permettre aux réfugiés de parvenir à l’aéroport de Kaboul, c’est à ceux qui entretiennent des liens étroits avec le pays qu’il incombe d’aider les Afghans dans leur fuite.
Shannon Galpin n’a pas dormi depuis onze jours. Parfois elle s’allonge tout habillée sur son canapé rêche à Édimbourg, et s’assoupit à moitié, tout en restant prête à se lever d’un bond au cas où son téléphone viendrait à sonner pour lui donner des nouvelles concernant les évacuations. Il y a près de dix ans, Shannon Galpin a participé à la création de l’équipe afghane de cyclisme féminin et du premier club de cyclisme du pays. Elle a passé toutes ces années à encourager les Afghanes à faire du sport.
En 2020, il y avait des équipes féminines dans sept provinces et cinq courses cyclistes pour femmes ainsi que des compétitions de BMX et de VTT. Selon Shannon Galpin, qui est américaine, le sport peut au même titre que la culture et l’art être une forme de rébellion. « Le cyclisme est lié aux droits des femmes de manière vraiment universelle, explique-t-elle. C’est un véhicule de liberté et de mobilité. Il est au cœur de votre indépendance et de l’égalité. »
Pour des raisons de sécurité, l’artiste Rada Akbar a été obligée d’annuler son exposition intitulée Abarzanan, et sous-titrée Superwomen, qui rend hommage à des Afghanes avant-gardistes. Elle a à la place diffusé une vidéo à la mémoire des victimes d’attaques terroristes. « Je trouve que c’est insultant et irrespectueux quand les gens voient les [Afghanes] comme si elles étaient venues au monde en 2001, explique-t-elle. Le monde doit connaître l’histoire des femmes en Afghanistan. » Après la chute de Kaboul, Rada Akbar s’est réfugiée à Paris.
Le 15 août, alors que le président afghan Ashraf Ghani fuyait le pays et que les talibans s’emparaient du palais présidentiel, les représentants d’activités comme l’escalade, le cyclisme et d’autres sport en extérieur ont commencé à constituer une base de données en vue de l’évacuation. Cette liste de 400 athlètes et entraîneurs afghans comprend notamment une équipe d’escalade exclusivement féminine, le club de ski de Bamiyan, des marathoniens, des VTTistes, un groupe de parkour, et des équipes féminines de basketball et de football. Shannon Galpin et ses collaborateurs ont rapidement compilé et transmis les itinéraires les plus sûrs pour rejoindre l’aéroport, les numéros de téléphone d’entreprises de sécurité privée et les coordonnées des vols charters.
Pour coordonner ces évacuations, Shannon Galpin gère en moyenne vingt conversations à la fois. Derrière chaque notification l’attendent des enregistrements de cris hystériques, des témoignages selon lesquels les talibans font du porte-à-porte, et parfois juste des critiques dues à la frustration insoutenable. « Au bout de onze jours, comment arriver à dire : ‘Je suis vraiment désolée, continuez à attendre.’ ? », demande-t-elle. « Ça me crève le cœur. Que faisons-nous en comparaison de la peur avec laquelle ils vivent ? On ne fera jamais assez. »
Elle a lancé une collecte de fonds participative pour couvrir les coûts : le tarif d’un trajet pour rejoindre l’aéroport coûtait 10 dollars (8,40 euros) en taxi et est passé à 4 000 dollars (3 400 euros) avec une entreprise de sécurité privée. Elle s’est tournée vers le monde du cyclisme, si prompt à encourager les équipes afghanes ces dernières années, et a déjà réuni 36 000 dollars (30 000 euros).
Le 1er mars, à Kandahar, des femmes font la queue pour s’enregistrer à un bureau du Ministère des réfugiés et du rapatriement. La majorité des populations déplacées l’étaient en interne et arrivaient alors des districts d’Arghandab et de Panjwai où les talibans étaient présents depuis des mois.
Cette collecte de fonds n’est qu’une parmi tant d’autres. Le créateur d’un compte de memes sur Instagram a lancé un GoFundMe pour pouvoir affréter des vols d’évacuation privés et a réussi à lever 5 millions de dollars (4,2 millions d'euros) en vingt-quatre heures. Une semaine plus tard, ce chiffre est de 7 millions de dollars (5,9 millions d'euros).
Mais l’argent n’est qu’un paramètre parmi d’autres pour pouvoir s’extirper du chaos de l’aéroport de Kaboul avant la date-limite. On estime qu’un siège à bord d’un avion en partance coûte 1 500 dollars (1 270 euros), et certains vols décollent remplis à moins de 25 % à cause de soucis logistiques qui empêchent les passagers d’embarquer. Au début, les talibans autorisaient la population à se rendre à l’aéroport, mais depuis la semaine dernière la route est fermée et les voitures doivent s’arrêter à des checkpoints.
Entravés par des régulations chaotiques qui ne cessent de changer, l’aide humanitaire ne peut évacuer les Afghans qu’au compte-goutte. Jusqu’ici, Shannon Galpin croit que cinquante personne ont pu être évacuées sur sa liste de 400. Mais elle ne le saura pas avant le retrait complet des forces américaines. « Le 31, ce ne sera pas la fin, poursuit-elle. Après ça, il faut qu’on s’occupe des personnes qui sont restées. »
Une cycliste qui se tenait dans la conduite d’égouts qui passe devant l’entrée de l’aéroport de Kaboul, où se sont massés des milliers d’Afghans, a interpellé les soldats qui géraient l’afflux et leur a hurlé que son nom était sur la liste d’un charter. « J’ai dit que c’était un vol pour l’Ouganda, et le soldat britannique a ri », a-t-elle dit dans un message envoyé à Shannon Galpin. Après des heures à passer des coups de téléphone, la femme a pu embarquer à bord d’un avion quasiment vide.
Des étudiants de la province de Deykandi se rendent à pied sur le campus de la seule université de la région, qui se trouve au sommet d’une montagne à l’extérieur de la ville de Nili. Ceux qui ne peuvent pas s’offrir un trajet en minivan ou en mobylette marchent une à deux heures chaque jour pour y arriver.
UN AVENIR INCERTAIN
Pour le moment, nous n’avons que des pistes concernant ce qui va se passer sous le régime des talibans.
Malgré la campagne de communication du nouveau gouvernement, les talibans refusent d’ores et déjà aux étudiantes et aux professeures l’entrée de l’université d’Herat, ville de l’ouest du pays, et des écoles de filles d’autres provinces ont été fermées depuis leur arrivée au pouvoir. On a également demandé aux femmes qui faisaient des emplettes seules sur les marchés de Mazar-i-Sharif de revenir accompagnées d’un homme, et des présentatrices télé ont été licenciées.
Ces vingt dernières années, l’accès à l’éducation dans les bastions talibans a largement varié. Dans certains districts, on a permis aux femmes de se déplacer pour étudier dans des universités d’État. Dans d’autres, il n’y a même pas d’écoles primaires pour les filles. De manière plus générale, l’éducation des filles est restreinte une fois qu’elles ont atteint la puberté et s’arrête plus ou moins en classe de cinquième.
« L’Émirat islamique est attaché aux droits des femmes dans le cadre de la charia », a affirmé Zabihullah Mujahid, porte-parole des Talibans, lors d’une conférence de presse donné le 17 août. « Nos sœurs, nos hommes ont les mêmes droits ; ils auront la jouissance de ces droits […] Ils vont travailler avec nous, de front avec nous. »
Pour Rada Akbar, ces promesses sonnent creux, et même tristement ironiques. Cette photographe, peintre et activiste qui vit à Kaboul n’a jamais caché son opposition aux talibans. Plus tôt cette année, elle s’est retrouvée sur une liste de cibles à assassiner. « Cela fait vingt ans que les talibans ciblent des femmes comme moi et mes amies, raconte-t-elle. Il faut être vraiment naïf pour croire qu’ils ont changé. Vingt ans de massacres et de destructions et du jour au lendemain ils auraient changé ? Non. Ils n’ont pas changé. »
Dans la province de Bamiyan, des scouts de Seconde et de Première se prépare pour la cérémonie de la cloche. Chaque année, à la rentrée scolaire, on fait sonner simultanément une cloche dans les écoles de trente-cinq provinces afghanes.
Fatima, 25 ans, et Zeinab 21 ans (à droite) sont présentes pour l’ouverture d’une nouvelle boutique en mars 2021. Zeinab est vendeuse et Fatima est présentatrice à la télévision et influenceuse. Ces sœurs ne partagent pas les mêmes croyances religieuses mais travaillent ensemble : l’an dernier, elles ont lancé un café.
Femmes et filles se rassemblent aux abords du village de Kohna Deh dans le district de Nili pour laver des vêtements, des couvertures et des tissus à la veille de Norouz. Ce rassemblement fait partie d’une tradition appelée Khane-takani, littéralement le « secouage de maison ».
« L’ironie c’est que quand ils ont pris Kaboul, ils ont prononcé l’amnistie et ils ont dit : ‘Nous pardonnons tous les Afghans.’ Comment ça, vous nous pardonnez ? Vous nous avez massacrés. Vous avez assassiné nos amis et nos collègues. Vous me pardonnez pour quoi ? Parce que je suis artiste ? Vous nous pardonnez d’avoir perdu la vie ? »
Il y a trois mois, les membres de sa famille se sont retrouvés le temps d’un dîner pour organiser leur fuite. Sa mère a refusé d’emblée : la famille avait déjà fui au Pakistan quand les talibans avaient pris le pouvoir en 1996. Elle ne voulait pas être réfugiée à nouveau. Cela n’a pas apaisé les inquiétudes de Rada Akbar, et elle s’est alors mise à confier ses tableaux et des disques durs à ses amis qui voyageaient à l’étranger.
Des membres du club de yoga Momtaz participent à un pique-nique et font du yoga au palais Chihilsottun à Kaboul. La fondatrice de ce club a lancé le projet dans le bureau d’un studio informatique et rassemble désormais plus de 500 élèves.
Le 15 août, elle a reçu un appel hystérique de la part d’une de ses amies photographes vivant à Kaboul. « Rada, a-t-elle hurlé, ils arrivent, ils arrivent ! » Rada a abandonné son repas et laissé derrière elle la plus grande partie du travail accompli ces dix dernières années, et elle s’est rendue à l’ambassade de France. Au bout de quelques jours, on l’a transférée à l’aéroport dans un convoi de quinze minibus et véhicules blindés. Elle aurait voulu que cela se fasse de nuit, pour ne pas avoir à voir sa ville envahie par les Talibans. Elle est en ce moment en quarantaine dans un hôtel parisien avec des centaines d’autres Afghans qui attendent qu’on leur dise où ils vont devoir aller ensuite. Sa famille est dispersée en Allemagne, aux États-Unis, en France et en Turquie.
Sous peu, des milliers d’Afghans vont devenir réfugiés, et bien plus nombreux seront ceux qui auront été abandonnés sans aucun moyen de s’échapper. « Quand les États-Unis ont renversé le gouvernement taliban, un effort a été fait pour vraiment essayer d’aider ces femmes à avancer. Et au bout de vingt ans nous avons réalisé tant de progrès en matière d’éducation et de vie professionnelle », rappelle Melanne Verveer, qui dirige l’Institut pour les femmes, la paix et la sécurité de Georgetown. « Je crois que les gens sont vraiment en train de prendre conscience que tout cela est en train d’être effacé. Mon dieu, qu’est-ce qui va leur arriver maintenant ? »
Des milliers de personnes voyagent des heures voire des jours pour prendre part aux festivités de Norouz qui se tiennent dans le village reculé de Nalij. Cela fait plus de cent ans que ce village accueille les festivités. Sous le régime taliban, cette fête a été bannie car elle célèbrerait des traditions païennes.
Pourtant, selon les données de son institut, l’Afghanistan est toujours l’avant-dernier pays en matière de qualité de vie pour les femmes à cause de l’instabilité et des violences sexistes.
« Pour le moment, nous ne savons pas vraiment ce que les talibans veulent nous enlever et sacrifier », affirmait Shinkai Karokhail, parlementaire et défenseure des droits des femmes, dans un article paru dans National Geographic en 2020. « Nous ne sommes pas contre la paix, nous ne sommes pas contre le retour des talibans en [politique en] Afghanistan pour au bout du compte perdre cette longue guerre. »
Sous l’administration Obama, Melanne Verveer était ambassadrice pour les droits des femmes dans le monde. Au cours d’un voyage en Afghanistan, elle a rencontré un groupe de femmes journalistes. L’une d’elles lui a tendu un petit bouquet de fleurs en plastique et lui a récité un proverbe : « Une fleur ne fait pas le printemps, mais plusieurs, oui. » Puis elle a fait un geste désignant les femmes dans la pièce pour montrer que le printemps était enfin arrivé.
Ce souvenir hante Melanne Verveer, désormais à la tête d’une campagne nommée Protect Afghan Women qui facilite l’évacuation des magistrates, des journalistes et des défenseures des droits humains. « Je continue de me dire que le printemps a viré à l’hiver rigoureux pour le moment », se lamente-t-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.