Reconstitution d’une armure de 1 800 ans grâce aux jeux vidéo

Cette nouvelle approche permet de rendre compte de la souplesse des armures pendant l'Antiquité et de quelle manière les « barbares » ont su innover sans l’aide des Romains.

De Andrew Curry
Publication 1 avr. 2021, 16:52 CEST
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La cotte de mailles de Vimose pèse près de 10 kg. Il y a 1 800 ans, elle a été jetée dans un marais au Danemark en guise d’offrande après une bataille.

PHOTOGRAPHIE DE M.A. Wijnhoven

En l’an 200 après J.C., quelque part dans l’actuel Danemark, un guerrier germanique de haut rang perdit la vie au combat. À l’issue de la bataille, ses ennemis lui retirèrent sa précieuse armure en cotte de mailles, soigneusement fabriquée à la main à partir de vingt-mille minuscules anneaux de fer. Ils la lancèrent dans un marais en guise de sacrifice à leurs dieux en échange de leur victoire.

Connue sous le nom de « la cotte de Vimose », cette pièce d’armure de près de 10 kg a été découverte par les archéologues près de Vimose au Danemark vers la fin du 19e siècle. Grâce à la faible teneur en oxygène présente dans le marais, l’armure a été particulièrement bien conservée et retrouvée presque complète.

Plus de 1 800 ans après avoir été jetée, des chercheurs ont utilisé une technologie développée pour les jeux vidéo afin de déterminer comment était enfilée cette cotte de mailles et comment son propriétaire décédé depuis tant d’années la portait, le tout, sans jamais réellement la porter physiquement. Le rapport final de leurs recherches a été publié dans le Journal of Cultural Heritage.

Les chercheurs tentent de comprendre de quelle manière les gens se vêtaient à cette époque. La manière dont les tissus s’étiraient, se pliaient et se tenaient est déjà connue. « La matière est extensible, souple et pas si lourde que ça. Elle réagit à la gravité d’une manière particulière », explique Aleksei Moskvin, co-auteur de l’étude et informaticien à l’université d’État des technologies industrielles et du design de Saint-Pétersbourg. 

La reconstruction du port de la cotte de mailles, elle, s’avère être un défi plus compliqué à relever qu'il n’y paraît. Les milliers de petits anneaux en métal entrelacés qui composent la cotte de mailles sont particuliers. Ce type d’armure est apparu vers l’an 300 avant J.C. et était porté lors des batailles par tous les guerriers, des tribus germaniques aux légionnaires romains en passant par les conquistadors espagnols. L’influence de la gravité sur un seul de ces maillons se répercute sur la mobilité et la suspension de tous les autres. Les mailles posées à plat sur une table ne s’articulent pas de la même manière que lorsqu’elles sont portées sur les épaules d’un guerrier.

Toutefois, il ne s’agit pas de la seule raison pour laquelle les chercheurs ont eu du mal à comprendre comment ces armures ancestrales étaient portées et utilisées. « Il n’est pas possible de porter un artefact aussi ancien », révèle Martijn Wijnhoven, co-auteur de l’étude et archéologue à l’université libre d’Amsterdam. « Pour le voir interagir et pour tester ses réactions, il faut trouver d’autres solutions. »

À l’aide d’une technologie de pointe développée pour l’industrie du jeu vidéo, M. Moskvin et M. Wijnhoven ont entrepris des travaux pour obtenir des réponses. Les conservateurs du Musée national du Danemark ont autorisé M. Wijnhoven à mettre la cotte sur un mannequin afin de voir à quoi elle ressemblait une fois portée.

Après l’avoir positionnée sur le mannequin, l’équipe de scientifiques a repris un code développé pour l’industrie du jeu vidéo, que l’on appelle un moteur, afin de modéliser chaque anneau de la cotte de Vimose et ainsi « suspendre » cette version numérique sur un mannequin, lui aussi virtuel. La plus grande difficulté à laquelle ils ont fait face a été de calculer les lois physiques qui régissent les interactions entre chacun des presque vingt-mille anneaux. « [Le faire pour] vingt ou cent anneaux, ce n’est pas un problème », a expliqué M. Moskvin. « Mais simuler les interactions entre dix-neuf-mille anneaux, c’est difficile. »

Ils ont ensuite repris les modèles numériques de certains vêtements retrouvés dans des marais similaires afin d’observer à quoi ressemblerait et comment se placerait et se comporterait la cotte de mailles sur un guerrier en tenue de combat. « J’aime beaucoup ce genre d’approche », explique Gregory Aldrete, professeur émérite à l’Université du Wisconsin à Green Bay qui n’était pas impliqué dans cette nouvelle étude. « Il s’agit du type d'informations que l’on obtient uniquement grâce à ce genre de simulation, en testant différentes variables, et c'est exactement ce qu’ils ont fait. Elle est là, la récompense. »

Par exemple, cette modélisation a permis de démontrer que le port d’une ceinture par-dessus la cotte de mailles permettait de répartir le poids des maillons de manière plus équitable et l’empêchait de trop bouger lors des batailles. Elle était suffisamment ample et extensible pour pouvoir porter un sous-vêtement en feutre épais qui servait de rembourrage et de protection supplémentaire au combat.

Dans la mesure où la plupart des mailles découvertes lors de fouilles archéologiques sont en morceaux et souvent très corrodées ou endommagées, la cotte de Vimose constituait une parfaite preuve de concept. Puisqu’il s’agit de l’une des cottes de mailles les mieux préservées au monde, « c’est une pièce idéale pour une telle expérience » selon Jonathan Coulston archéologue à l’université de St Andrews en Écosse et qui n’était pas impliqué dans cette nouvelle étude.

À l’avenir, les chercheurs espèrent appliquer cette technique pour [modéliser] d’autres cottes de mailles ancestrales. « À partir d’à peine deux ou trois maillons bien conservés, on peut reconstituer l’ensemble de la cotte », explique M. Wijnhoven

Ainsi, il serait possible d’imaginer quelles étaient les exigences des armuriers de l’époque ainsi que celles de leurs clients. La priorité était-elle la protection, à l’aide de mailles lourdes et rigides ? Ou bien préféraient-ils les cottes légères et souples ? « Nous avons la chance de pouvoir tester certaines choses grâce à la réalité virtuelle que nous ne pourrions jamais faire dans le monde réel », déclare le chercheur. « Est-il possible de monter à cheval en la portant ? Est-il possible de courir avec ? »

« Cette nouvelle méthode pourrait nous être très utile », a indiqué M. Coulston  « Il serait intéressant de voir [...] dans quelle mesure on pourrait l’utiliser, pas uniquement pour modéliser le port de ces artefacts en mouvement, mais on pourrait également l’implémenter dans de réelles études pour la protection contre les missiles et contre les armes tranchantes ou contondantes. Ça nous permettrait de mesurer les traumatismes induis par ce type de blessures. »

Bien qu’au départ, il ne s’agissait que d’une simple preuve de concept pour la simulation assistée par ordinateur, cette étude donne d’ores et déjà de nouvelles perspectives. Cette simulation suggère que le guerrier germanique qui portait la cotte de Vimose privilégiait la souplesse, grâce à l’utilisation de maillons larges et fins, qui ensemble, formaient une cotte de mailles légère.

Et ce n’est pas tout. Martijn Wijnhoven explique que les archéologues pensaient que les peuples « barbares » qui vivaient au-delà des frontières de l’Empire romain n’étaient pas assez développés pour fabriquer leurs propres mailles et se reposaient plutôt sur l’importation d’armures et le pillage d’équipements des légions romaines.

Toutefois, l’encolure de la cotte de Vimose s’attachait de part et d’autre du cou grâce à un système de sangles ingénieux qui permettait d’élargir ou de resserrer l’ouverture tout en modifiant l’ajustement. « C’est une caractéristique unique qu’on ne retrouve pas dans l’Empire romain », révèle le chercheur. « Cette petite découverte nous permet à elle seule d’en apprendre énormément sur la technologie et la société [de l’époque]. »

Parallèlement, cette technique pourrait être appliquée en retour à l’industrie du jeu vidéo ou des effets spéciaux pour permettre aux modélisateurs de reproduire des armures réalistes sur toute taille le jour où les plateformes de jeux vidéo seront suffisamment puissantes pour traiter les lourds calculs nécessaires [à cette simulation]. M. Wijnhoven espère qu’un jour cette technologie puisse être présentée dans un musée.

« Ce serait génial de vous habiller virtuellement avec ces vêtements, non ? »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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