En 1960, la première grève qui a fait trembler Hollywood

Alors que la télévision venait de faire une entrée fracassante dans les foyers américains, les acteurs et scénaristes se sont unis pour réclamer une rémunération plus équitable, sous l'impulsion de Ronald Reagan, alors président de la Screen Actors Guild

De Parissa DJangi
Publication 24 juil. 2023, 11:49 CEST
La fin de la grève hollywoodienne de 1960 a eu lieu dans cette pièce : l'acteur ...

La fin de la grève hollywoodienne de 1960 a eu lieu dans cette pièce : l'acteur Charlton Heston (à droite) serre la main d'un dirigeant de l'Association of Motion Picture Producers (AMPP). L'acteur et futur président des États-Unis Ronald Reagan, également présent au centre de l'image, a mené les négociations pour la Screen Actors Guild.

PHOTOGRAPHIE DE Bettmann, Getty Images

En 1960, l'usine à rêves de l'Amérique s'est arrêtée : les acteurs et les scénaristes d'Hollywood se sont mis en grève. Pour faire pression sur les producteurs afin qu'ils leur accordent de meilleurs salaires et avantages, les deux syndicats représentant une part importante des talents hollywoodiens - la Screen Actors Guild (SAG) et la Writers Guild of America (WGA) - ont demandé à leurs membres de cesser de travailler.

Soixante-trois ans plus tard, acteurs et scénaristes américains se sont à nouveau unis pour bloquer Hollywood dans une grève qui n'est pas sans rappeler celle de 1960. À l'époque, les grèves avaient soulevé de nombreuses questions sur le travail et la rémunération dans une industrie en pleine mutation, et elles s'appuyaient sur l'aura des stars pour parvenir à leurs fins.

 

DEUX GRÈVES, UN MÊME BUT

Entre 1950 et 1960, la proportion de foyers américains équipés d'un téléviseur est passée de 9 à 90 %. Les spectateurs n'avaient plus besoin de sortir de chez eux pour voir des films. Ils n'avaient qu'à allumer leur téléviseur.

Au cours de la décennie précédente, les scénaristes et les acteurs s'étaient interrogé sur la manière dont la télévision allait faire perdurer leur travail cinématographique, d'autant plus que les studios s'apprêtaient à gagner des millions en vendant de vieux films aux chaînes pour des diffusions aux heures de grande écoute. En tant que créateurs de ces films, les scénaristes et les acteurs ont fait valoir qu'ils devaient recevoir une compensation sous la forme de droits résiduels, c'est-à-dire de paiements pour la rediffusion de contenus déjà diffusés.

Les droits résiduels n'étaient pas la seule question urgente. Les membres de la SAG et de la WGA souhaitaient également bénéficier de mutuelles de santé et de systèmes privés de retraite, des avantages sociaux qui étaient en train de devenir la norme dans d'autres secteurs d'activité.

La WGA soumit ces questions à l'Alliance of Television Film Producers (ATFP) lors des discussions contractuelles qui débutèrent en 1959, mais les négociations se soldèrent par un échec. Le 16 janvier 1960, les scénaristes d'Hollywood déclarèrent la grève.

À l'époque, la SAG était dirigée par l'acteur Ronald Reagan, qui est devenu des décennies plus tard président des États-Unis, ironiquement célèbre pour ses pratiques anti-syndicales. Alors que les scénaristes poursuivaient leur grève, il négocia avec l'Association of Motion Picture Producers (AMPP), dans l'espoir d'obtenir des droits résiduels sur tous les films réalisés depuis 1948. Les discussions n'avançant pas, les membres de la SAG votèrent leur propre grève, qui débuta le 7 mars. C'est ainsi qu'Hollywood se mit en grève.

 

UN ENTRACTE POUR HOLLYWOOD

Les studios trouvèrent des moyens détournés de contourner la grève de la WGA : Warner Brothers réutilisa par exemple de vieux scénarios sous le pseudonyme de W. Hermanos, mais sans acteurs, ils furent rapidement limités. Avec deux des plus grands syndicats de talents de l'industrie refusant de travailler, les studios interrompirent la production de plusieurs films à gros budget, dans lesquels devaient jouer Elizabeth Taylor, Jack Lemmon ou Marilyn Monroe. Les studios en arrivèrent à licencier des milliers de personnes, et tentèrent de faire peser la responsabilité de cette décision sur la SAG : « 5 899 acteurs ont voté pour la grève et des milliers d'employés de studio sont maintenant au chômage », déclara l'AMPP dans le Motion Picture Daily du 9 mars. 

Marilyn Monroe reprend le travail tout en élégance après la fin de la grève de la ...

Marilyn Monroe reprend le travail tout en élégance après la fin de la grève de la Screen Actors Guild en avril 1960. Certains membres de la SAG estimaient que le syndicat avait fait trop de concessions ; les scénaristes ont poursuivi la grève pendant deux mois supplémentaires.

PHOTOGRAPHIE DE Dennis Stock, Magnum Photos

L'association critiqua également la demande de la SAG concernant les droits résiduels sur les films diffusés à la télévision, affirmant que les acteurs cherchaient à « être payés deux fois pour un seul travail ».

En dépit des rumeurs, la 32e cérémonie des Oscars eut lieu comme prévu le 4 avril 1960. « Bienvenue à la réunion de grève la plus glamour d'Hollywood », s'amusa l'animateur Bob Hope dans son discours d'ouverture.

 

LES CÉLÉBRITÉS EN GRÈVE

Trois semaines plus tôt, 4 000 membres de la SAG s'étaient réunis au Hollywood Palladium pour une véritable réunion de grève. Vêtues de manteaux de vison, de chapeaux et de perles, les stars entrèrent dans le théâtre tandis que les fans se bousculaient dans l'espoir d'apercevoir John Wayne et Bette Davis.

La grève fut une convergence entre les droits des travailleurs et le pouvoir d'influence des stars. Le comité de négociation de la SAG comprenait des noms connus comme James Garner et Charlton Heston. Tony Curtis, Spencer Tracy et Janet Leigh, membres de la SAG, soutenaient publiquement la grève.

Bien que les projecteurs aient été braqués sur les célébrités, celles-ci étaient minoritaires dans les deux syndicats. Comme le souligne l'universitaire David F. Prindle, « l'image de la SAG en tant que syndicat de country-club » de stars privilégiées a persisté, même si plus des deux tiers de ses membres percevaient un salaire annuel inférieur à 4 000 dollars. Le magazine Life a rapporté le 21 mars que c'étaient ces « figures minoritaires aux multiples visages » de la SAG qui « étaient les plus favorables à la grève ».

Pourtant, 17 % des votants de la SAG se sont opposés à la grève. Parmi eux, Hedda Hopper, reine des ragots d'Hollywood, dont les convictions antisyndicales l'ont propulsée au rang d'« opposante la plus éminente et la plus médiatisée » de la grève, selon la biographe Jennifer Frost. Hedda Hopper est allée jusqu'à établir un lien erroné entre la grève et le communisme.

 

LA FIN DE LA GRÈVE

Après avoir ébranlé Hollywood, la SAG s'est efforcée de maintenir son élan et a finalement mis fin à la grève le 18 avril en acceptant un compromis : ses membres ne pourraient recevoir des indemnités résiduelles que pour les films tournés à partir de 1960, et non de 1948. Les producteurs ont également accepté de verser une somme forfaitaire de 2,65 millions de dollars pour les régimes de santé et de retraite des membres de la SAG.

L'accord a reçu un accueil mitigé de la part de la communauté d'acteurs et d'actrices, qui estimait que Reagan en avait fait trop de concessions. Les productions interrompues reprirent une fois le feu vert reçu pour reprendre le travail.

Désormais seule, la WGA mit fin à sa grève le 12 juin après avoir obtenu des concessions sur les revenus résiduels et un soutien financier pour les régimes d'assurance santé et de retraite. Bien que, comme la SAG, elle ait obtenu moins que ce qu'elle espérait, la WGA a depuis lors qualifié l'accord de « contrat révolutionnaire » pour ce qui est de l'extension des avantages accordés aux scénaristes.

Les grèves jumelles de 1960 ont souligné l'importance du travail créatif en tant qu'acte de travail, méritant une rémunération et des avantages comme tout autre emploi. Mais les grèves n'ont pas mis fin à la discussion sur les droits résiduels. Au contraire, elles l'ont amplifiée.

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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