1960 : Sirimavo Bandaranaike devient la première femme première ministre de l'histoire

Sirimavo Bandaranaike, élue sri-lankaise, fut la première femme première ministre au monde, ouvrant la voie vers les plus hautes instances politiques à de nombreuses femmes. Elle gouverna pendant trois mandats.

De Amandine Venot
Publication 8 mars 2025, 14:11 CET
Sirimavo Bandaranaike photographiée dans les années 1960.

Sirimavo Bandaranaike photographiée dans les années 1960.

PHOTOGRAPHIE DE colaimages / Alamy Banque d'Images

« C’est d’abord son mari, Solomon West Ridgeway Dias Bandaranaike qui, le premier, accéda au pouvoir en 1956, lorsque le peuple commença à rejeter le vieux parti national uni, au pouvoir depuis l’indépendance en 1948 », raconte Nira Wickramasinghe, docteur en philosophie à l’université d’Oxford et maître de conférences au département d’histoire et de science politique de l’université de Colombo, au Sri Lanka.

Il était en effet le fondateur d’un nouveau parti, le Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP), fondé quelques années plus tôt, en 1951. Avec ce nouveau parti, il sut insuffler un vent socialiste progressiste dans le pays, offrant à son peuple une politique radicalement différente de celle du parti nationaliste, plus conservateur. Toutefois, son ère ne dura pas longtemps, puisqu’il fut assassiné seulement trois ans après le début de son mandat.

À sa mort, son épouse, qui avait été à ses côtés pendant sa campagne électorale et durant les différentes phases de sa vie politique, fut poussée sur le devant de la scène pour succéder à son défunt mari. « Elle représentait, aux yeux de tous, celle qui incarnait la continuité du projet de son mari pour les élections présidentielles de 1960 », souligne Nira Wickramasinghe.

 

UN PREMIER MANDAT LABORIEUX

En un sens, « il est surprenant qu’une femme ait été choisie pour représenter le parti à l’élection de 1960 », admet Nira Wickramasinghe. Mais la véritable raison derrière ce choix réside dans le fait que « son parti pensait certainement pouvoir la manipuler et qu’elle ne serait en réalité qu’une figure de proue pour le parti, sans véritable pouvoir […]. Cela s’est avéré tout à fait faux ».

Néanmoins, qu'une femme soit élue dans ce pays n’était pas aussi surprenant qu’on pourrait le croire. « Le Sri Lanka est le premier pays d’Asie du Sud à avoir voté le suffrage universel pour les hommes et les femmes en 1931. Les femmes pouvaient alors voter depuis déjà une trentaine d’années ; elles étaient considérées comme des citoyennes à part entière et, par conséquent, pouvaient être un choix rationnel pour diriger un parti », relève Nira Wickramasinghe.

Au début de sa carrière, Sirimavo Bandaranaike n’était pas perçue comme un puissant leader. Elle entama une nouvelle carrière tout en faisant le deuil de son mari, sous le regard scrutateur de tous. Ainsi exposée, elle devint la cible des partis d’opposition, qui se jettèrent sur l’occasion pour la surnommer « la veuve en pleurs », un surnom pernicieux censé véhiculer l’image d’une femme irrationnelle, dominée par ses émotions.

Elle ne se laissa pourtant pas abattre. Entourée de ses conseillers les plus avisés et des membres de sa famille, elle réussit à se faire une place sur l’échiquier politique. Son image de veuve et de mère éplorée servit finalement sa cause : elle était désormais perçue par le peuple comme une mère et une épouse, un personnage auquel on peut s’identifier facilement. 

Le 9 septembre 1976, Sirimavo Bandaranaike, première ministre du Sri Lanka, prononça un discours à l'assemblée ...

Le 9 septembre 1976, Sirimavo Bandaranaike, première ministre du Sri Lanka, prononça un discours à l'assemblée générale des Nations Unies.

PHOTOGRAPHIE DE Keystone Press / Alamy Banque d'Images

 

 UNE POLITIQUE AUX ACCENTS SOCIALISTES

« Dans la mémoire srilankaise, on se souvient surtout de Sirimavo Bandaranaike grâce à sa loi sur la réforme agraire », souligne Nira Wickramasinghe. La réforme fut appliquée à deux reprises : une première fois en 1972, et une seconde fois en 1975. « Elle consistait à saisir les terres agricoles des particuliers pour les redistribuer de manière plus homogène parmi la population […] c’était une manière de résoudre les mécontentements et les inégalités ». Elle fut aussi à l’origine de plusieurs autres politiques sociales en faveur des minorités.

Sur le plan international, « elle soutenait les droits humains avant tout », raconte l’historienne. Par exemple, « elle a rompu ses liens avec Israël et a réitéré son soutien au combat des Palestiniens. Elle se positionnait également en faveur du mouvement anti-Apartheid en Afrique du Sud ».

Elle a surtout joué un rôle important dans le mouvement des pays Non-Alignés, une coalition de cent vingt pays, globalement issus des continents africain et asiatique, refusant de s’aligner formellement avec l’un des deux blocs de la Guerre froide. Une grande partie de ces pays, venant tout juste d’obtenir leur indépendance, considérait les États-Unis et l’Europe comme des colonisateurs, et le communisme soviétique comme indésirable. Ils créèrent donc une troisième voie, en choisissant de ne pas prendre parti dans ce conflit.

Lorsque Sirimavo Bandaranaike accéda au pouvoir, elle organisa en 1961, aux côtés de Ruslan Abdulgani, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de la République d’Indonésie, du Myanmar, de l’Inde et du Pakistan, la conférence de Bandung en Indonésie, qui marqua les débuts d’une coopération afro-asiatique économique et culturelle.

Durant son deuxième mandat, elle organisa en 1976 à Colombo le cinquième sommet du mouvement des Non-Alignés, avec la participation de quatre-vingt-six nations et l’observation de trente autres pays, représentant tous les continents. L’événement fut l’un des succès géopolitiques les plus importants du Sri Lanka. « Il a permis d’apporter de la visibilité au pays sur la carte géopolitique mondiale », commente Nira Wickramasinghe.

 

REDÉFINITION DU RÔLE DES FEMMES EN POLITIQUE 

« En devenant première ministre, Sirimavo Bandaranaike a ouvert la porte aux femmes en politique », estime l'historienne. « Il n’est, depuis son investiture, plus possible de dire qu’une femme n’a pas les capacités pour être première ministre ». Durant ses mandats, Sirimavo Bandaranaike nomma des femmes dans son cabinet ministériel. Et elle mena son troisième mandat sous la présidence de sa fille, Chandrika Kumaratunga.

Depuis novembre 2024, le Sri Lanka a de nouveau une femme première ministre, cette fois issue d’une famille non dynastique. « Harini Amarasuriya est le résultat de notre histoire », conclut fièrement l’historienne.

les plus populaires

    voir plus

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2025 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.