Un trésor fossile "perdu" vient d’être redécouvert 70 ans plus tard
Les souvenirs d’enfance d’un propriétaire terrien brésilien ont mené des archéologues aux vestiges d’une zone humide préhistorique qui s’est épanouie avant qu’une extinction de masse ne survienne et n’entraîne sa disparition.
Des centaines de fossiles ont été découverts à Dom Pedrito, dans l’État du Rio Grande do Sul, au Brésil, où un écosystème humide a fleuri il y a 260 millions d’années.
En 1951, deux hommes sont arrivés à Dom Pedrito, une ville du sud du Brésil, pour effectuer une cartographie géologique de la pampa, ces prairies de basse altitude. Ils y ont découvert une colline rocheuse recelant les vestiges d’un écosystème humide ayant existé il y a 260 millions d’années.
Lors du Permien, quand les terres émergées formaient encore un supercontinent, la Pangée, des plantes vasculaires (prêles, fougères…) couvraient ce coin de Brésil, tandis qu’une multitude de créatures aquatiques peuplaient une étendue d’eau voisine. Mais l’existence de cet écosystème fut brève, car la vie sur Terre subit alors une extinction de masse qui devait préparer le terrain à l’avènement des dinosaures. Ce site archéologique fossilisé a donc une importance particulière pour les paléontologues.
Mais les deux archéologues ne laissèrent aucune description indiquant l’endroit exact du site extraordinaire qu’ils avaient découvert, un lopin de 1,2 hectare au milieu d’un terrain en mesurant 182. Avec le temps, les routes de terre qu’ils avaient empruntées des décennies auparavant furent remplacées par des grands axes pavés suivant des itinéraires différents et la science perdit la trace de ce site.
Des photographies de l’affleurement de Dom Pedrito, où des fossiles affleurent à la surface. Le cliché de gauche a été pris en 1951 et publié par les premiers chercheurs à avoir étudié le site. Celui de droite a été pris après la redécouverte du site.
Du moins, jusqu’à cette année. Dans un article publié au mois de mai 2022, des paléontologues brésiliens ont annoncé avoir enfin redécouvert le site de Dom Pedrito. Selon les chercheurs en charge des fouilles, ils ont pour l’heure identifié au moins six ou sept espèces de plantes, une espèce de mollusque et deux espèces de poissons ; certaines sont déjà connues des spécialistes et certaines pourraient bien être nouvelles.
« Nous avons recueilli des centaines et des centaines de fossiles », affirme le co-auteur de l’étude, Felipe Pinheiro, paléontologue de l’Université Fédérale de Pampa. « C’est absolument époustouflant. C’est bien supérieur à ce qu’il m’a été donné de voir jusqu’ici. Il y a tant de choses là-bas qu’il serait impossible de tout ramasser. Les fossiles que nous avons découverts nous occuperont à eux seuls pendant des décennies. »
Ce site spectaculaire aurait bien pu demeurer dans l’anonymat sans la curiosité nostalgique de Celestino Goulart et sans son désir d’en savoir davantage sur ce qu’on avait exhumé sur les terres de sa famille voilà plus de 70 ans.
DANS LES YEUX D'UN ENFANT
Quand Celestino Goulart était petit garçon, il était fasciné par le rocher posé sur le tour de cheminée de son grand-père. Sous sa surface était incrusté un poisson ; du moins, le fossile d’un poisson, comme il finirait par le comprendre en grandissant.
Enfant curieux, il découvrit que le fossile provenait de son propre jardin des environs de Dom Pedrito, dans l’État du Rio Grande do Sul. À l’âge de dix ans, il se mit en quête de nouvelles roches étranges et à arpenter les collines ondoyantes de la propriété familiale en compagnie de sa mère.
Et comme il n’allait pas tarder à s’en apercevoir, celles-ci n’étaient pas difficiles à débusquer. « Les roches que nous découvrions affleuraient », se souvient Celestino Goulart, aujourd’hui âgé de 55 ans. Après des périodes de sécheresse, la pluie avait éliminé les sédiments et révélé les fossiles. « C’est comme s’ils poussaient. »
Certains de ces fossiles donnèrent de nouveau des poissons anciens, tandis que d’autres avaient préservé dans le détail l’empreinte de coquilles de mollusques. Mais la plupart étaient des fossiles de plantes. Ceux-ci étaient parfois si bien préservés que Goulart pouvait voir distinctement les rainures de chaque feuille s’étendre comme les doigts d’une main ouverte.
En 2019, il s’est tourné vers la ville pour qu’on l’aide à préserver les fossiles se trouvant sur sa propriété. Margot Guerra Sommer et Rualdo Menegat, respectivement géobotaniste et géologue à l’Université du Rio Grande do Sul, ont été dépêchés sur place pour mieux comprendre ce à quoi on avait affaire.
Ils avaient entendu parler d’un site se trouvant dans cette même région décrit dans les années 1950 comme foisonnant de plantes fossilisées. En étudiant la topographie et les types de fossiles présents sur les terres de Celestino Goulart, ils ont commencé à se douter qu’il s’agissait du site perdu, mais ils devaient en avoir le cœur net.
Les deux chercheurs ont donc fait appel à Felipe Pinheiro qui dirigeait une équipe chargée de recueillir des fossiles dans la région. Lors de sa première visite sur le site, Felipe Pinheiro en a découvert des dizaines. Spécialiste des vertébrés, il savait qu’il aurait besoin d’aide en ce qui concerne la vie végétale fossilisée et a donc fait appel à Josilene Manfroi, paléobotaniste de l’Université Vale do Taquari, et ensemble, ils ont commencé à s’y rendre une fois tous les deux mois.
Des plantes fossilisées recueillies sur le site archéologique de Dom Pedrito.
EXHUMER LES FOSSILES
Lorsqu’ils ont commencé à documenter les fossiles, les chercheurs ont eu l’intuition qu’il s’agissait du site qui avait été décrit au début des années 1950. Mais il aura fallu attendre 2021 pour qu’il soit enfin confondu. On doit cette vérification à Joseane Salau Ferraz, une des élèves du master en biologie dirigé par Felipe Pinheiro.
Elle épluchait un fonds en ligne de vieilles revues scientifique dans le but de trouver tout référence à des fossiles se trouvant sur des terres appartenant à une famille du nom de Goulart et elle ne s’attendait pas à découvrir grand-chose mais, terré dans le corpus scientifique des décennies passées, dans un annuaire de l’Académie brésilienne des sciences, se trouvait un article de 1951 écrit par Emmanoel A. Martins et Mariano Sena Sobrinho.
Dans celui-ci, les deux chercheurs décrivent un site se trouvant à l’immédiate périphérie de Dom Pedrito : Cerro Chato, la « colline plate ». Sur ce site, on avait « récemment découvert des affleurements fossilifères […] présentant des conditions très favorables pour une observation stratigraphique et contenant des fossiles en bon état. » L’article fait également mention d’une large zone regorgeant de végétation fossilisée.
Quand elle s’est aperçue de ce qu’elle avait sous les yeux, elle a immédiatement appelé Felipe Pinheiro. « C’était une immense surprise, se souvient-elle. Cela confirmait tout ce que nous croyions savoir jusqu’alors. »
Avec le soutien financier de la ville de Dom Pedrito et des universités de la région, les chercheurs se sont mis à creuser en retirant petit à petit des sédiments rocheux de la colline à l’aide d’une tronçonneuse et d’un tractopelle. Chaque fois qu’une couche était éliminée, l’équipe entrait en jeu armée de marteaux et de brosses pour effectuer la partie la plus délicate du travail consistant à extraire les fossiles des roches.
À ce jour, ils ont creusé sur près de deux mètres et découvert des strates inférieures renfermant encore plus de fossiles que celles affleurant à la surface ; des fossiles de poissons et de mollusques, encore, mais aussi des écailles isolées et une quantité certaine de plantes anciennes.
ÉTABLIR UN LIEN ENTRE PASSÉ ET PRÉSENT
Grâce à un financement gouvernemental, les chercheurs prévoient de continuer les fouilles à Cerro Chato ces trois prochaines années. Entre-temps, Joseane Salau Ferraz a commencé, dans le cadre de son mémoire de master, à analyser ce qu’ils ont déjà récolté.
La végétation fossilisée a en grande partie été exhumée sous forme fragmentaire, mais il y a au moins une plante complète. Leurs découvertes comprennent des racines et des amas de graines de conifères qui se sont vite remises de l’extinction de masse et qui ont réussi à proliférer par la suite. Plusieurs ptéridophytes (des plantes vasculaires dispersant des spores au lieu de produire des fleurs ou des graines), dont des fougères, des prêles et des lycophytes, ont également résisté à l’épreuve du temps. Dans le sous-groupe des lycophytes, désormais dominé par des espèces qui ne mesurent pas plus de 30 centimètres, se trouvent des plantes qui, au Permien, pouvaient dépasser les 30 mètres de hauteur.
Mais ce sont les fougères qui ont fait la plus forte impression à Joseane Salau Ferraz. « Elles sont si bien préservées que l’on peut même voir les nervures sur leurs feuilles, ce qui est exceptionnel pour cette région », explique-t-elle.
Une fougère en particulier l’aide à en savoir plus sur la façon dont ces plantes ont envahi le paysage il y a des millions d’années. Elle appartient au genre Pecopteris et est la première du type à avoir été découverte dans le Rio Grande do Sul. Elle constitue possiblement à elle seule une nouvelle espèce à part entière.
« C’est vraiment important, insiste Joseane Salau Ferraz, car désormais nous serons plus à même de comprendre la répartition de ces plantes qui ont vécu au Permien. »
Si le Permien est bien documenté dans des régions comme l’Amérique du Nord, l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie, on ne l’a pas encore exhaustivement étudié en Amérique du Sud. Avec les fossiles qui viennent d’être découverts, l’équipe de recherche nourrit l’espoir de mieux comprendre les facteurs qui ont contribué à la plus grande extinction que la Terre ait connue.
Le Permien a pris fin lorsque plus de 90 % des espèces furent anéanties par une série d’éruptions volcaniques titanesques survenues en Sibérie. Cette période de réchauffement galopant est particulièrement importante pour les scientifiques cherchant à apprécier la menace que constitue la sixième extinction de masse que nous traversons actuellement.
« Si ce que nous vivons actuellement est la conséquence d’un comportement humain, les mécanismes d’extinction sont toutefois semblables à ceux qui ont eu cours au Permien, affirme Felipe Pinheiro. Nous interférons avec les mêmes cycles biogéochimiques (le cycle du carbone, le cycle de l’azote) qui, lors du Permien, bouleversés par des facteurs naturels, avaient entraîné la mort de 90 % des espèces. Donc lorsque nous étudions cette extinction, nous étudions le présent. »
Celestino Goulart espère que cette abondance de fossiles permettra également de faire comprendre à ceux qui visitent le Rio Grande do Sul l’importance de ce type de sites paléontologiques. Il étudie déjà la possibilité de faire de Cerro Chato un site culturel et de tourisme éducatif pour préserver ce qui se trouve encore sous terre.
« Quand nous étions enfants, nous avions quelques jouets en lien avec ce genre de choses, comme la plupart des enfants », se souvient Celestino Goulart, qui a six frères et sœurs. « Mais nous n’imaginions pas alors, que juste sous notre nez, dans notre propre jardin, nous avions ça en vrai. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.