Cette découverte archéologique prouve l'existence de femmes scribes au Moyen-Âge

La précieuse poussière de lapis-lazuli a été découverte dans la bouche d’une femme enterrée il y a un millier d’années. Cette découverte est une véritable fenêtre ouverte sur la vie des femmes scribes.

De Andrew Curry
Publication 18 sept. 2024, 09:39 CEST
Une particule de lapis-lazuli est coincée dans la plaque dentaire fossilisée d’une femme du Moyen-Âge.
Une particule de lapis-lazuli est coincée dans la plaque dentaire fossilisée d’une femme du Moyen-Âge.
PHOTOGRAPHIE DE Christina Warinner

Dans l’imaginaire collectif, les scribes et les enlumineurs de manuscrits du Moyen-Âge étaient des hommes, plus précisément des moines qui travaillaient dur dans les scriptoria, à la lueur des bougies, occupés à recopier le savoir mondial sur des pages de parchemin. « C’est toujours des moines, des moines et encore des moines », déclare Alison Beach, historienne à l’Université d’État de l’Ohio. « Lorsque vous imaginez un scribe au Moyen-Âge, vous vous représentez un homme. »

Toutefois, une découverte relativement récente suggère qu’une partie de ce travail était réalisé par des femmes. Selon une équipe pluridisciplinaire dirigée par Christina Warinner, paléogénéticienne à l’Institut Max Planck de la Science de l’histoire humaine, situé en Allemagne, ces femmes scribes et artistes étaient hautement qualifiées, très respectées et se voyaient confiées quelques-uns des pigments les plus chers du 11e siècle et mis à disposition des artistes. Les résultats de leur étude ont été publiés dans la revue Science Advances.

Ce constat s’appuie sur la bouche d’un squelette mis au jour dans un cimetière médiéval de Dalheim, une petite ville située non loin de la ville allemande de Mayence. C’est dans le cadre d’une étude visant à mieux comprendre les régimes alimentaires passés et les maladies dont on pouvait alors souffrir que les archéologues ont commencé à analyser la plaque fossilisée qui se formait sur la dentition des hommes et femmes avant que les soins dentaires existent. Également connu sous le nom de « tartre dentaire », celui-ci piège et préserve l’ADN des bactéries dans la bouche, ainsi que les traces d’aliments ou de boissons consommés par un individu il y a longtemps.

 

DES FEMMES OUBLIÉES PAR L’HISTOIRE

Une tombe portant l’indicatif B78 renfermait le squelette d’une femme d’âge moyen décédée vers 1 100 après J.-C. Au premier abord, ses restes se démarquaient uniquement par l’absence d’usure, ce qui indiquait qu’elle n’avait pas mené une existence physiquement difficile.

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Extrait en Afghanistan, le lapis-lazuli coûtait plus cher que l’or à poids équivalent dans l’Europe médiévale. À l’époque, il était utilisé comme pigment onéreux pour les enluminures des manuscrits.
PHOTOGRAPHIE DE Shelly O’reilly

Mais l’équipe de Christina Warinner a eu une surprise en observant de plus près la dentition du squelette mis au jour dans la tombe B78. « Le microscopiste m’a appelée et m’a dit : « Le tartre de cette femme est composé de particules bleues », se souvient la scientifique. « Je n’avais jamais vu cette couleur dans la bouche de quelqu’un auparavant, ce bleu vif semblable à la couleur d’un œuf de merle d’Amérique. »

L’équipe a ensuite travaillé avec des chimistes pour déterminer l’origine des milliers de particules bleues coincées dans la plaque dentaire solidifiée de la femme. Des analyses approfondies ont révélé qu’il s’agissait de lazurite, un minéral également connu sous le nom de lapis-lazuli, la pierre précieuse.

Au Moyen-Âge, le lapis-lazuli ne provenait que de l’actuel Afghanistan. Alison Beach, co-autrice de l’étude, indique que lorsque la pierre réduite en poudre atteignait l’Europe centrale grâce à un complexe réseau commercial s’étalant sur plusieurs milliers de kilomètres, elle coûtait plus cher que l’or à poids équivalent. Le pigment bleu vif produit par le lapis-lazuli était si précieux que les artistes et enlumineurs de manuscrits du Moyen-Âge le réservaient pour les sujets les plus importants, comme la cape bleue de la Vierge Marie par exemple.

Mais comment ce précieux pigment s’était-il retrouvé dans la bouche d’une femme allemande ayant vécu au 11e siècle ? Le mystère restait entier. Après avoir écarté quelques théories pouvant expliquer la présence de ces traces de lapis-lazuli, comme l’éventualité que la femme ait embrassé une image contenant le pigment dans le cadre d’un rituel de dévotion ou qu’elle ait eu recours à la « médecine lapidaire », une pratique médiévale qui consistait à ingérer des pierres précieuses pour se soigner, l’équipe de recherche a conclu que la femme avait sans doute léché le bout de son pinceau lorsqu’elle peignait, d’où la présence du pigment bleu dans sa bouche.

Au fil du temps, celui-ci s’est incrusté dans le tartre, où il a été conservé pendant près de 1 000 ans. Afin d’être certaine de la découverte, Anita Radini, l’autrice principale de ce document de recherche et spécialiste du tartre dentaire à l’Université de York, a même fabriqué du pigment de lapis-lazuli dans son laboratoire et a prélevé des échantillons de sa salive et sur ses lèvres pour vérifier les résultats qu’elle avait obtenu. « Nous pouvons affirmer que cette personne a été exposée à plusieurs reprises à cette poudre. Il s’agit sans aucun doute d’un comportement répété », indique la scientifique. « C'est la toute première preuve d’artisanat que nous ayons. »

Mais le précieux lapis-lazuli n’était pas confié à n’importe quel artiste. « Le fait que ce pigment ait été donné à une femme démontre qu’elle faisait partie des meilleurs, que son art était réputé », explique Alison Beach. « C’est la preuve physique la plus ancienne que nous ayons de l’existence de femmes scribes. »

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    PHOTOGRAPHIE DE Christina Warinner

    Dans ce cas, comment est-il possible que des femmes artistes du Moyen-Âge comme B78 aient été oubliées par l’Histoire ? Il existe des traces écrites attestant de l’existence de femmes scribes par le passé, indique Alison Beach. Cependant, lorsqu’un livre n’était pas signé, et la grande majorité des ouvrages du Moyen-Âge l’étaient, les historiens supposaient généralement qu’un homme l’avait produit.

    « Ceci suggère que de nombreux livres qui n’étaient pas signés avaient été réalisés par des femmes, ou tout du moins, qu’il s’agit d’une possibilité que nous ne devons pas écarter », a ajouté l’historienne.

     

    LE SAINT GRAAL DE LA BIOARCHÉOLOGIE

    En attendant, le tartre dentaire devient rapidement une source d’informations pour l’archéologie. Le fait qu’il soit directement issu de la bouche d’une personne décédée est l’un de ses avantages principaux, puisqu’il permet de savoir de façon concluante ce que celle-ci a mangé, bu ou craché, au lieu de tirer des conclusions à partir de ce qui reste dans sa tombe ou a été découvert dans des lieux de peuplement situés à proximité.

    « La reconstruction de l’activité à partir des squelettes humains est le saint graal de la bioarchéologie, mais elle est très difficile à réaliser à partir d’ossements », explique Efthymia Nikita, bioarchéologue à l’Institut de Chypre, situé à Nicosie, qui n’a pas pris part à l’étude. « Le problème, c’est que l’ensemble des méthodes que nous utilisons sont indirectes. »

    « En identifiant différentes microparticules, nous pourrions être capables de déterminer, à haute résolution, une activité spécifique », a-t-elle ajouté. « Je n’ai entendu parler d’aucune autre étude dans laquelle un artiste a été identifié à partir de restes de squelette. »

    Anita Radini estime qu’à l’avenir, la technique pourrait permettre d’identifier des artistes figurant dans les relevés archéologiques, quelque chose qui n’a jamais été fait jusqu’alors. Il serait aussi possible d’identifier avec plus de précision d’autres professions, comme les tisserands et les potiers, à partir de fibres végétales ou de poussières d’argile incrustées dans leur tartre, une source de preuves plus fiable que la recherche de traces d’usures des os.

    Pour le moment, les auteurs de l’étude espèrent que la plaque dentaire composée de pigments de B78 changera le regard des historiens sur le rôle que jouaient les femmes dans la création de la culture occidentale médiévale. « Non seulement nous avons découvert de la lazurite dans le cimetière de cette église perdue, mais en plus, elle se trouvait dans la bouche d’une femme », confie Christina Warinner. « Cela nous offre un aperçu de l’histoire des femmes à cette époque. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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