Une nouvelle monnaie pourrait-elle détrôner le dollar ?

Aujourd’hui première monnaie de réserve mondiale, le dollar pourrait se retrouver menacé par une nouvelle monnaie venant des BRICS, qui souhaitent par-là se détacher de l’hégémonie américaine.

De Morgane Joulin
Publication 2 mai 2024, 16:43 CEST
Selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), le dollar représentait à la fin de l'année ...

Selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI), le dollar représentait à la fin de l'année 2021 près de 59 % des réserves mondiales de change. S'il reste majoritaire, sa part se réduit tendanciellement depuis 1999, année où il représentait 71 % des réserves de change mondiales.

PHOTOGRAPHIE DE Finnbarr Webster / Alamy Banque D'Images

Aujourd’hui, le dollar est la monnaie la plus utilisée et la plus puissante au monde. Elle constitue une unité de compte, c’est-à-dire qu’elle permet de fixer le prix de chaque bien. Elle est aussi la monnaie dans laquelle se font la plupart des opérations financières et une grande partie du commerce. 

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis jouissent de ce que Valérie Giscard d’Estaing qualifiait en 1964 de « privilège exorbitant ». Il s’agit du caractère propre aux États-Unis en termes fiduciaires, qui fait qu’il ne peut subir de crise de balance des paiements, puisque le pays paye ses importations avec sa propre monnaie. « Les États-Unis peuvent se permettre de vivre au-dessus de leurs moyens, parce qu’ils n'ont pas besoin de justifier la valeur du dollar par leur contexte économique national. Le dollar, étant donné que c’est la monnaie internationale, se justifie par la dynamique internationale », résume Carl Grekou, économiste au Centre d’Études Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII).

Même après que le président Richard Nixon a mis fin aux accords de Bretton Woods le 15 août 1971, qui organisait le Système Monétaire International (SMI) autour du dollar américain convertible en or, le billet vert est resté la monnaie de référence. « Comme tout le monde a investi sur le dollar et que personne n’est prêt à se désenrichir pour faire sa migration vers une autre monnaie, alors le dollar ne représente rien, mais comme c’est l’unité de compte et la réserve de valeur, alors [il] prend d’un coup une valeur. » 

 

UNE REMISE EN CAUSE DE L’HÉGÉMONIE DU DOLLAR

Cette domination fiduciaire n’est pas exempte de critiques, et une partie des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) a souvent évoqué l’idée de la création d’une nouvelle monnaie de réserve. « Sous cette volonté de se soustraire au dollar, il y a une volonté de réduire l'influence politique américaine », indique l’économiste. Car de fait, l’utilisation du dollar comme monnaie internationale « oblige tous les pays tiers qui veulent faire des transactions entre eux à passer par le dollar, et donc mécaniquement, compte tenu de l'extraterritorialité du droit américain, les États-Unis ont un droit de regard. »

Ainsi, cette dynamique de « dédollarisation » a récemment été accélérée par la Russie. En avril 2023, Alexandre Babakov, alors vice-président de la Douma, avait annoncé la création d’une nouvelle monnaie, qui fut débattue lors du sommet des BRICS à Durban. Victime de sanctions occidentales depuis l'invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, « la Russie a 300 milliards d'avoirs gelés. » Aux yeux des pays des BRICS, voire du monde, « si les pays occidentaux peuvent se permettre d'infliger de telles sanctions financières à la Russie et de confisquer ces 300 milliards de réserve, alors ces économies-là peuvent se permettre de le faire pour tous les autres pays. » La crise en Ukraine a donc catalysé cette volonté de dédollariser.

Les BRICS ne sont d’ailleurs pas le seul groupe à vouloir se détacher de cette influence américaine sous-jacente. « Même à l'intérieur des pays européens, c'est un mouvement qui fait envie », relate l’économiste, avant de préciser que ces derniers acceptent cette hégémonie car « l'un dans l'autre, ils en bénéficient. » Le vieux continent étant l’un des partenaires commerciaux principaux des États-Unis, explique qu’il « profite également de ce privilège exorbitant. »

Les États-Unis eux-mêmes ont d’ailleurs conscience de cette lassitude, et le président Joe Biden plaide pour une refonte du Système Monétaire International. « S’ils sont malins, cela peut ralentir significativement la dynamique des BRICS. Mais les promesses d’indépendance et d’autosuffisance portées par les BRICS risquent de l’emporter. »

 

UN PROJET RÉALISTE

Au sein du SMI, il n’a encore jamais été vu la cohabitation de deux monnaies internationales. « L'hégémonie monétaire ne se partage pas, parce qu'elle vient avec certains privilèges qui ne sauraient se partager. » C’est pour cela que « La chute du dollar ne se fera pas de façon très douce », selon Carl Grekou. L’expert pense qu’« il y aura potentiellement un conflit, parce que les États-Unis ne peuvent pas se permettre de lâcher le privilège qu'ils ont avec le dollar. » 

Pour lui, la volonté de créer une nouvelle monnaie est « beaucoup plus un projet politique qu’autre chose. » Loin de s’en tenir uniquement au plan économique, l’alliance des BRICS pourrait, à terme, bouleverser l’ordre géopolitique mondial. 

En effet, les pays des BRICS connaissent aujourd’hui une croissance économique nettement supérieure à celle des pays développés. En 1990, leur poids dans le PIB mondial atteignait à peine 10 %, contre 25,5 % en 2018. Parmi eux, la Chine affiche le taux de croissance le plus élevé, atteignant 8,4 % en 2021. La force des BRICS est qu’ils détiennent la plupart des réserves en matières premières du monde, telles que le pétrole, le gaz naturel, les minerais et les métaux précieux. Dans une interview accordée à Giuliano Noci, chargé de la Chine à l'École polytechnique de Milan, il a été révélé que les BRICS élargis ont maintenant la capacité de créer un cartel majeur dans le domaine des matières premières.

« Si les BRICS réussissent, comme ils sont en train de le faire, à accaparer les marchés de l'énergie et des matières premières, alors le réseau du système monétaire international du dollar tel qu'on le connaît aujourd'hui serait nettement moins important », avertit Carl Grekou. 

Souvent pointées du doigt, les divergences culturelles et politiques des pays des BRICS ne seraient pas un frein à cette nouvelle monnaie selon l’économiste. « On regarde beaucoup les différences entre ces pays-là, mais ce sont les mêmes différences que l’on pouvait avoir entre les différents pays quand on a placé le dollar au cœur du système monétaire international avec Bretton Woods. »

 

LA LIMITE DE LA FONCTION DE RÉSERVE DE VALEUR

La monnaie des BRICS, si elle est aujourd’hui un projet réaliste, doit tout de même remplir toutes les fonctions académiques de la monnaie (réserve de valeur, unité de compte et moyen d’échange), pour pouvoir espérer concurrencer le dollar. Aujourd’hui, le projet est limité par la fonction de réserve de valeur, c’est-à-dire le stockage de la valeur dans le temps sans risquer que celle-ci ne soit détruite. « Une fois cette équation résolue, il n’y aura aucune limite pour cette nouvelle monnaie. »

Autrefois indexé sur l’or, le dollar tient désormais sa fonction de réserve de valeur grâce au fait qu’un très grand nombre de personnes aient investi dedans. Pour les BRICS, « cela pourrait être autre chose » que l’or, par exemple « un certain pouvoir d’achat en termes de matières premières. » 

Le projet d’une nouvelle monnaie commune aux BRICS est donc « tout à fait possible » voire « cohérente » selon Carl Grekou. Pour autant, rien ne dit que cette monnaie « sera suffisamment puissante, suffisamment attractive, pour remplacer le dollar. » Si le projet venait à voir le jour, cela pourrait du jour au lendemain « mettre une forte contrainte sur les perspectives économiques dans les pays avancés », conclut l'économiste.

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