En 1902, cette éruption meurtrière a secoué la Martinique, anéantissant la ville de Saint-Pierre

L’éruption soudaine de la montagne Pelée le 8 mai 1902, qui a réduit en cendres la ville de Saint-Pierre en quelques minutes, a marqué un tournant dans l’étude des volcans.

De Nadège Lucas, National Geographic
Publication 17 juil. 2024, 16:11 CEST
Panorama sur la colline du volcan vert du mont Pelée, en Martinique, département français d'outre-mer.

Panorama sur la colline du volcan vert du mont Pelée, en Martinique, département français d'outre-mer.

PHOTOGRAPHIE DE Vadim Nefedov / Alamy Banque D'Image

La montagne Pelée, en Martinique, a non seulement donné son nom à un type de volcans – le type péléen, hautement explosif – mais elle a également marqué de manière significative l’histoire volcanologique : l'éruption cataclysmique de 1902 a entraîné la destruction totale de la ville de Saint-Pierre. 

Après une éruption modérée en 1851, ce volcan gris actif était considéré comme présentant un risque éruptif relativement faible. Le 23 avril 1902 pourtant, une éruption volcanique majeure, la plus meurtrière du 20e siècle, commença sous terre. Elle secoua l'île française quelques jours plus tard, pour se poursuivre jusqu'au 5 octobre 1905. Cette activité soudaine, d’une puissance inattendue, fut dévastatrice : « la structure interne du volcan était instable en raison de la présence de poches de magma sous pression », explique Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue à l’université de Paris-Saclay. 

Les habitants ignoraient qu’ils vivaient sur une véritable bombe à retardement depuis plusieurs jours : du magma en fusion se trouvait à quelques kilomètres sous leurs pieds. « Juste avant l’éruption, le magma est monté rapidement, entraînant l’augmentation de la pression puis l’explosion du somment de la montagne. Cette éruption très spécifique appelée nuée ardente, ou écoulement pyroclastique, est redoutable » précise le volcanologue. « Elle provoque un nuage brûlant composé de gaz, de roches, de cendres et de magma qui déferle sur le flanc du volcan à des vitesses atteignant plusieurs centaines de kilomètres par heure et des températures de plusieurs centaines de degrés. »

 

LA PERLE DES ANTILLES 

Au début du 20e siècle, Saint-Pierre est la ville la plus peuplée de Martinique. Prospère et moderne, elle en est la capitale économique et est surnommée tantôt La perle des Antilles, tantôt Le petit Paris. Avec ses rues pavées, ses maisons colorées, son théâtre, et son remarquable jardin botanique – considéré comme le plus beau de toutes les Antilles – Saint-Pierre est une ville moderne, dotée d’un système de canalisations et d’un réseau électrique offrant des infrastructures et des équipements très appréciés des Pierrotins. La ville est par ailleurs le principal port marchand de l’île, et ses activités commerciales liées à la production sucrière ont largement contribué à son développement. 

Entrée du jardin botanique de Saint-Pierre, Martinique. 

PHOTOGRAPHIE DE Bygone Collection / Alamy Banque D'Images

Le 8 mai 1902, une journée sèche et sans pluie s’annonçait. C’était la fin de la récolte sucrière et les navires chargés de sucre et de rhum s'apprêtaient à quitter la rade pour rejoindre les ports de Saint-Nazaire et de Bordeaux en métropole.

Quelques semaines avant le drame, la montagne Pelée, caractérisée par un dôme de lave à son sommet formé lors des éruptions antérieures, avait présenté des signes d’une nouvelle activité sous forme de secousses telluriques, de fumerolles et de lueurs bien visibles dans la nuit qui commençait à inquiéter les habitants. Cependant, en raison d'un désaccord entre les scientifiques de l'époque sur l'évaluation du danger, la population ne fut pas avertie. 

Dès le 23 avril, la montagne présenta des signes clairs de réveil à travers un nuage de cendres. Le 24 avril, une première colonne noire s’éleva jusqu’à 600 m de haut, et dès le lendemain, un manteau de cendres recouvrit la commune du Prêcheur, située à dix kilomètres de Saint-Pierre. Le 28 avril, des tremblements de terre se firent sentir, les câbles sous-marins rompirent, et les sources se tarirent. Bien que l’ordre d’urgence ait été déclaré, quelques jours plus tard, personne ne songeait à partir. Le premier tour des élections législatives avait même eu lieu la veille, avec un taux de participation de 86 %. 

Le rapport Lascroux de 1902, La Martinique avant et après le désastre du 8 mai 1902, retrace la chronologie des événements : « le 3 mai la montagne Pelée est éclairée la nuit par la lave incandescente qui remplit son cratère » ; « le 4 mai elle couvre les environs de cendres » ; « le 5 mai la mer recule de 90 mètres, un jet de boue engloutit une sucrerie… », entraînant la mort de trente-six personnes.

Après l’ensevelissement de l’usine Guérin par le débordement de la rivière Blanche, l’activité volcanique de la montagne Pelée se poursuivit les jours suivants, sans que quiconque ne prenne pleinement conscience de la catastrophe imminente. « Il y avait eu un précédent », rappelle Jacques-Marie Bardintzeff, faisant référence à l’éruption sans conséquence de la montagne Pelée en 1851. Les plus anciens supposèrent qu’il ne se passerait rien de plus. Le journal local Les Antilles s’en amusa même en titrant dans son édition du 30 avril, « la montagne Pelée vient nous faire manger un poisson d’avril ». 

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    En avril 1902, la montagne Pelée en Martinique a éclaté. 

    ILLUSTRATION DE United Archives GmbH / Alamy Banque D'Images

    Le matin du 8 mai, deux minutes après huit heures, la nuée ardente s’abattit sur Saint-Pierre. Rien ne résista à la déferlante qui, en quelques instants, laissa place à un champ de ruines fumantes, sans âme qui vive. La position géographique de la ville, construite en amphithéâtre et surplombée par la montagne, a probablement contribué à faire de cette éruption l’une des plus grandes catastrophes naturelles du 20e siècle. « Les personnes se trouvant sur la trajectoire de la nuée ardente n’avaient aucune échappatoire, aucune chance de survie » déplore Jacques-Marie Bardintzeff.

    Les nombreuses distilleries entourant la ville explosèrent, achevant de précipiter Saint-Pierre sous les cendres volcaniques de la montagne Pelée. La ville fut totalement ensevelie sous une couche de boue et de lave, se transformant en un vaste cimetière.

     

    L'ESCALADE

    Dès le soir du 8 mai, selon le rapport Lascroux, un télégramme du commandant du Suchet à Fort-de-France, fut adressé au ministre des colonies : « Reviens de Saint-Pierre. Ville complètement détruite par masse de feu... Suppose toute population anéantie. Ai ramené une trentaine de survivants. Tous navires sur rade incendiés et perdus… ».

    Le ministre des colonies lança alors un appel afin d’obtenir des informations et de l'aide. Un nouveau télégramme en provenance de Sainte-Lucie rapporte que le Roddam arriva avec à son bord trente-cinq rescapés, tel une épave fantôme avec ses bâches et ses voiles calcinées, sans son ancre et ses chaînes jetées dans les eaux bouillantes pour s’échapper plus rapidement, signe de la précipitation avec laquelle le navire avait dû quitter le port de Saint-Pierre. 

    Le samedi 10 mai, à onze heures du matin, le gouverneur de la Guadeloupe annonça : « Le Suchet vient d’arriver de Martinique, venu chercher des vivres et il y repartira ce soir. » À son retour à Saint-Pierre le Suchet transmit une nouvelle dépêche : « Toute la ville en feu. L’éruption continue. Pluie de feu et de roches. Impossible de pénétrer dans la ville. Pas aperçu êtres vivants. Nombreux cadavres sur les quais... ». 

    Le capitaine du Roddam rapporta plus tard qu’après avoir affronté une terrible tempête dans la nuit du 7 au 8 mai, il s’ancra à une bouée dans la rade en face de Saint-Pierre. Soudain, à huit heures du matin, il observa une large nappe de fumée s’abattre sur la ville et sur le port, parsemée de scories incandescentes. En quelques secondes Saint-Pierre disparut sous ses yeux, avalée par les flammes et les cendres. Juste avant de fuir, il parvint à sauver les personnes se trouvant sur une chaloupe juste avant que celle-ci ne coule à pic. 

    Volcan de la montagne Pelée, 1902 et ruines de Saint-Pierre depuis le croiseur français "Suchet", quarante-huit heures après l'éruption du 8 mai 1902. Dessin Contemporain par H.C. Seppings Wright après un croquis par Marc Legrand.

    ILLUSTRATION DE GRANGER - Historical Picture Archive / Alamy Banque D'Images

    Les 11 et 12 mai, des dépêches venant de la Dominique signalèrent que de nombreux canots en provenance de la Martinique arrivaient, transportant des rescapés, hommes, femmes et enfants, démunis de tout et pleurant leurs proches disparus. Ces réfugiés témoignèrent de la poursuite de l’éruption, avec l’ouverture d’un cratère plus au nord, incitant un nombre croissant de personnes à fuir les environs de Saint-Pierre. Traumatisés, ils racontèrent avoir été témoins de plusieurs noyades pendant la traversée.

    De nouvelles dépêches rapportèrent un afflux important de réfugiés à Fort-de France. De nombreuses crevasses se formèrent au nord de la ville, des vallées nouvelles apparurent brusquement dans les localités voisines de Saint-Pierre, abandonnées par la population. Le Suchet, le Belem et le Pouyer-Quertier effectuèrent de multiples trajets entre Fort-de-France et Saint-Pierre, ramenant près de 4 000 personnes des environs de Saint-Pierre et du Prêcheur. Malgré ces efforts coordonnés, on estime à 28 000 le nombre de victimes de l’éruption de la montagne Pelée.

     

    LES MIRACULÉS DE SAINT-PIERRE

    Louis-Auguste Cyparis

    PHOTOGRAPHIE DE ART Collection / Alamy Banque D'Images

    Parmi les habitants réfugiés à Fort-de-France, certains revinrent à Saint-Pierre dès qu’ils le purent, espérant retrouver des proches qui auraient survécu sous les décombres. Le 11 mai, des plaintes émergèrent des ruines. C'est ainsi que Louis-Auguste Cyparis, détenu à la prison de Saint-Pierre pour son implication dans une rixe meurtrière, fut découvert. On parvint à l'extraire miraculeusement vivant des épais blocs de pierre de sa cellule. Il raconta avoir senti la terre vibrer sous ses pieds pendant plusieurs jours et entendu des grondements inquiétants venant de la montagne. Puis, au petit matin, l’obscurité et le feu… Projeté dans le fond de la cellule par le souffle brûlant de l’explosion, il se protégea le visage. Les flammes lui brûlèrent néanmoins la peau, laissant de nombreuses cicatrices. 

    Louis-Auguste Cyparis, un temps considéré comme l'unique survivant, devint le miraculé qui avait défié la mort et survécu au « jour du jugement dernier ». Après avoir été gracié, il fut recruté dans la troupe du cirque Barnum and Bailev's, devenant le premier homme noir célèbre aux États-Unis. 

    On découvrit ensuite un deuxième survivant, Léon Compère Léandre, un jeune cordonnier de Saint-Pierre qui se trouvait dans la cave de sa boutique au moment de l’éruption. Il déclara : « J'ai à peine eu le temps d’entendre l’explosion, j’ai senti souffler un vent terrible et j’ai vu le ciel noir au-dessus de ma tête, j’ai monté les trois ou quatre marches pour remonter et j’ai senti mes bras et mes jambes brûler... ». 

    Cyparis et Compère Léandre sont les seuls survivants de Saint-Pierre à avoir être retrouvés sous les décombres.

     

    ET APRÈS ?

    Saint-Pierre disparut complètement et les localités voisines furent abandonnées. Les familles rescapées se dirigèrent vers Fort-de-France, dans le sud de l’île ou dans les îles avoisinantes. Certains choisirent même de partir en métropole. 

    La pénurie de vivres et de médicaments se fit rapidement sentir. Le président américain Theodore Roosevelt fit voter par le Congrès américain une contribution de 200 000 dollars. La Suède, l’Italie et de nombreux autres pays suivirent son exemple. Le roi d’Angleterre octroya l’équivalent de 25 000 francs au Comité mis en place, tandis que l’empereur d’Allemagne envoya 10 000 marks. Des provisions et des dons arrivèrent de toutes parts pour apporter de l’aide aux rescapés et à la région sinistrée.

    La destruction de Saint-Pierre et l’abandon des communes voisines marquèrent la fin d’une époque prospère pour la Martinique. Après la catastrophe, Fort-de-France devint la capitale économique de la Martinique, et ce n’est que le 23 mars 1923 que Saint-Pierre fut reconstruite. Aujourd’hui, la ville compte un peu moins de 7 000 habitants. L’activité de la ville s’est progressivement recentrée sur le tourisme, notamment la plongée sous-marine axée sur l'exploration des épaves des nombreux navires ayant sombré pendant l’éruption de 1902.

    La dernière éruption du volcan a eu lieu de 1929 à 1932, avec un pic le 18 octobre 1929, sans faire de victimes.

    Selon Jacques-Marie Bardintzeff, si un tel événement devait se reproduire – inévitable dans les siècles à venir – le scénario de la catastrophe serait nettement différent de celui de 1902. La montagne Pelée est désormais surveillée constamment par des scientifiques hautement qualifiés depuis un observatoire volcanologique de pointe. Les signes précurseurs d’une éruption sont maintenant parfaitement identifiés (microsismicité, déformations, anomalies thermiques) et enregistrés en temps réel, permettant une évacuation des populations. « Tout semble indiquer que les mesures de précautions nécessaires seront prises, de sorte que lorsque la prochaine nuée ardente arrivera, aucune personne ne se trouvera sur son chemin. »

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