New York s'apprête à fêter le centième anniversaire de Gatsby le Magnifique
Cent ans après que Gatsby le Magnifique a mis en lumière les somptueuses demeures de Long Island et les bars clandestins, l’esprit des années folles revient à New York.

La flèche du Chrysler Building est un emblème art déco des immeubles de New York.
En cette fin de matinée à Harlem, le brunch jazz bat son plein au Minton’s Playhouse. Les cocktails fusent de l’autre côté du bar aux miroirs polis, tandis que, plus loin dans la salle, sous les projecteurs de la scène, une chanteuse interprète d’une voix suave un morceau d’Ella Fitzgerald. Sur les murs sont accrochées des photos encadrées des grands noms du jazz qui ont autrefois jammé dans ce club de légende, dont Billie Holiday et Dizzy Gillespie. Jeter un coup d’œil dans cette salle faiblement éclairée, où résonnent les bavardages et le jive, argot des musiciens de jazz, donne l’impression de remonter dans le passé chargé d’histoire de New York : un retour à l’époque des bars clandestins rythmés par des concerts, ainsi que des coupes au carré et nœuds papillon.
Je suis venue au Minton’s Playhouse pour rencontrer Michael Arenella, un musicien et chef d’orchestre qui a réinterprété l’âge d’or du jazz new-yorkais pour une nouvelle génération. C’est une période étroitement associée à Gatsby le Magnifique, le roman culte de Francis Scott Fitzgerald publié en 1925, qui fête ses cent ans cette année.
L’histoire a lieu dans l’État de New York. Il s’agit d’un swing entre le grondement des bars clandestins de la ville et l’opulence somptueuse de Long Island. Elle retrace l’ascension et la chute de Jay Gatsby, un homme dont la fortune est entourée de mystères. Se déroulant durant la Prohibition, période entre 1920 et 1933 durant laquelle était en vigueur l’interdiction d’importer, de fabriquer, de vendre et de consommer de l’alcool aux États-Unis, le roman lève le voile sur les soirées élégantes et les extravagances alcoolisées qui se poursuivaient en dépit de ces mesures, au rythme entraînant du jazz.
Avec ses cheveux habilement arrangés en une raie gominée sur le côté, un mouchoir repassé avec soin qui dépasse de sa poche de poitrine et un pantalon en lin crème qui n’aurait pas dépareillé dans la garde-robe de Jay Gatsby, Michael a tout du gentleman élégant. Il a demandé à ce que nous nous rencontrions dans cette institution du jazz de Manhattan car celle-ci occupe une place particulière dans son cœur, m’explique-t-il à son arrivée.
« Cet endroit est vraiment le dernier lien avec la Renaissance de Harlem », poursuit Michael, faisant référence à l’époque des années 1920 et 1930, durant laquelle la littérature, la mode et la musique afro-américaines, en particulier le jazz, ont prospéré dans la ville. Après avoir été fermée pendant des décennies, cette légende qu’est le Minton’s Playhouse a rouvert ses portes en 2006. Puis, en 2023, il a été protégé au titre des monuments historiques en raison de son importance culturelle.
Le jazz est la bande-son vibrante de cette ville depuis un siècle, souligne Michael. « Il incarne New York à la perfection, telle la musique de la spontanéité, de l’évolution et de l’énergie frénétique ». Bien que le jazz ne soit plus la musique pop des États-Unis, comme il l’était à son apogée, une scène dynamique existe toujours dans la ville. « Beaucoup de jeunes gens en sont aujourd’hui passionnés et il existe encore des lieux où l’on peut en entendre jouer en concert. Je joue chaque semaine avec mon quintette au Clover Club et il y a aussi un super bar en sous-sol à Greenwich Village, le Smalls Jazz Club, où l’on peut assister à des prestations presque tous les soirs », indique Michael.

La musique et le style ont leur importance à la Jazz Age Lawn Party qui a pour thème la mode des années 1920 et qui se déroule à Governors Island, juste en dessous de la pointe sud de Manhattan.
Voici vingt ans de cela, Michael a décidé de rassembler un « groupe hétéroclite de passionnés de rétro » et de lancer sa première Jazz Age Lawn Party sur la Governors Island, à New York. Cet événement phare de la saison estivale, organisé sur le thème des années folles, se déroule désormais sur deux week-ends et attire plus de 10 000 personnes.
« Tout le monde aime parler des fêtes de Gatsby. C’est ce à quoi ça ressemblerait de recevoir une invitation pour son manoir », décrit Michael. « Les gens se laissent aller à l’ivresse, dansent le Charleston en robes de garçonnes coupées en biais et essaient de se surpasser les uns les autres avec leurs pique-niques sophistiqués », dépeint le musicien débonnaire avec un sourire alors que nous laissons derrière nous les tintements de piano du Minton’s Playhouse pour marcher sur l’une des avenues bordées d’arbres de Harlem.
L’époque de Gatsby a laissé son empreinte dans toute la ville, m’affirme l’historien Kevin Draper lorsque nous nous retrouvons plus tard dans l’après-midi devant le Rockefeller Center. « D’une certaine manière, ça a été l’une des décennies les plus festives du siècle, alors que l’alcool était pourtant prohibé ». Co-fondateur de New York Historical Tours, Kevin m’emmène dans ce qui a jadis été le plus célèbre bar clandestin de New York : le 21 Club. Il est niché derrière un portail noir forgé sur la 52e rue, autrefois connue sous le nom de Swing Street en raison de ses nombreux clubs de jazz animés. Après une descente de police en 1930, les propriétaires ont conçu un système illicite de portes secrètes et de caves à vin dissimulées.
« Il y avait même des étagères sur le bar où l’on actionnait un interrupteur et les bouteilles disparaissaient en glissant dans une goulotte menant au sous-sol, au cas où l’endroit serait à nouveau sujet à une descente », révèle Kevin. Ce contrôle du 21 Club n’a jamais eu lieu et son héritage a perduré. Le joueur de baseball Joe DiMaggio y amenait l’actrice Marilyn Monroe lors de leurs rendez-vous et Michael Douglas, ainsi que Charlie Sheen, y ont tourné des scènes du film Wall Street. Le 21 Club a malheureusement fermé ses portes en fer forgé pour de bon durant la pandémie. Il se dit toutefois à voix basse que ses propriétaires envisagent de le faire vivre à nouveau, les bootleggers et le gin produit de manière clandestine en moins cette fois-ci.
OUVRIR LE BAL
Voici un siècle, un sentiment d’optimisme virevoltait dans l’air alors que les États-Unis commençaient à découvrir leur propre personnalité, intrépide, précise Kevin alors que nous entrons à l’intérieur de l’hôtel Edison près de Times Square. Il s’agit d’un hôtel art déco qui a ouvert ses portes en 1931 et dont le hall est orné, pour le plaisir de nos yeux, de fresques sur l’âge d’or du jazz. « Il n’était plus question d’avoir le regard tourné vers l’Europe en ce qui concernait notre culture. Un revirement s’est produit : le monde a commencé à poser les yeux sur les États-Unis et, tout à coup, de la musique jazz s’est élevée des cafés parisiens. New York était réellement au cœur de tout cela, en tant que capitale financière des États-Unis », expose-t-il alors que nous contemplons une peinture représentant des musiciens de Harlem.
« Je vois beaucoup de parallèles entre les années 1920 et aujourd’hui », médite Kevin. « La pandémie [de grippe espagnole] touchait à sa fin, les gens retournaient dans les villes, les droits des femmes faisaient partie du débat et il y avait aussi cet enthousiasme pour l’avenir ». Je quitte Kevin au coin de la cinquième avenue et me dirige, pour la nuit, vers ma chambre au luxe tape-à-l’œil.


Le Clover Club de Brooklyn associe les cocktails classiques au jazz intemporel.
Le Fred F. French Building, de style art déco, situé sur la cinquième avenue, a ouvert ses portes en 1927.
L’hôtel The Plaza se dresse fièrement près de l’entrée arborée de Central Park depuis son ouverture en 1907. Il a obtenu un rôle de premier plan dans Gatsby le Magnifique : au cours d’un après-midi étouffant, Gatsby, Daisy Buchanan, son mari Tom, la sportive professionnelle qui s’illustre dans la haute société, Jordan Baker, et le narrateur, Nick Carraway, descendent dans une « chouette » suite pour une confrontation forte en émotion, accompagnée de cocktails mint julep et du son des accords étouffés montant de la salle de bal.
Peu de choses ont changé dans cet hôtel grandiose depuis l’époque à laquelle l’auteur de ce roman, Francis Scott Fitzgerald, y séjournait de manière régulière, déclarant avec un certain attachement que « rien d’insignifiant n’arrive jamais au Plaza ». Plus récemment, une suite extravagante sur le thème des années 1920 a été aménagée, à laquelle, j’imagine, il aurait levé son verre d’une quelconque boisson pétillante.
Conçue par la cheffe décoratrice oscarisée Catherine Martin, collaboratrice et épouse de Baz Luhrmann, qui a réalisé le blockbuster Gatsby le Magnifique sorti en 2013, la suite dotée d’une seule et unique chambre est située au dix-huitième étage. Un majordome en gants blancs m’ouvre la porte décorative dorée, révélant à mes yeux un trésor d’ameublement art déco, truffé de références à cette œuvre.
Un trophée de polo en argent, gravé au nom de Tom Buchanan, brille sur une étagère, à côté de photos encadrées de Francis Scott Fitzgerald et de sa femme Zelda, ainsi que d’un ancien gramophone qui semble prêt à s’animer à tout moment au rythme de Beale Street Blues. Je m’enfonce dans le lit somptueux et me laisse tomber de sommeil sous un lustre kaléidoscopique scintillant, comme aurait pu le faire le protagoniste de Gatsby si sa visite au Plaza s’était terminée de façon un peu moins brutale.

Le phare de Fire Island est un amer près de Long Island.
Le lendemain matin, je monte à bord d’un train pour Long Island, une bande de terre de 190 kilomètres de long qui s’avance sur l’océan, au sud-est de New York, et que Francis Scott Fitzgerald a décrite comme une « île mince et turbulente ». C’est ici, sur la côte nord de Long Island, que Gatsby a passé un long été brumeux à s’agiter dans son immense palais, organisant des fêtes de plus en plus extravagantes dans l’espoir d’attirer l’attention de la mondaine volage Daisy Buchanan.
Le réalisateur Baz Luhrmann a également passé un été à Long Island, à repérer ses maisons de campagne dans le cadre de ses recherches pour l’adaptation cinématographique du roman. Je marche dans ses pas en faisant un tour au musée Vanderbilt. Cette demeure majestueuse datant de l’âge d’or des États-Unis était la résidence de l’une des familles les plus riches du pays, qui faisait collection de trophées ramenés de ses voyages autour du monde, les exposant comme un immense cabinet de curiosités.
Je parcours la collection, qui comprend notamment un requin-baleine de près de 10 mètres de long suspendu au plafond et une momie égyptienne, acquise dans une boutique du Caire en 1932. La piscine au sel du manoir, qui scintille à travers la fenêtre, est désormais teintée du vert de la jungle et ornée d’une fontaine jaillissante. Elle aurait eu une influence sur la conception de la piscine de Leonardo DiCaprio dans le rôle Gatsby à l’écran.

Le château d’Oheka aurait inspiré le manoir du film Gatsby le Magnifique.
C’est néanmoins le château d’Oheka, situé à près de 15 kilomètres de là, sur la côte nord de Long Island, qui est considéré comme étant la principale source d’inspiration du superbe manoir du protagoniste dans le film. Mon taxi s’engage dans la longue allée de gravier bordée de genévriers de Virginie et s’arrête devant ce qui a un jour été la deuxième plus grande demeure privée des États-Unis. Elle était autrefois la résidence d’Otto Hermann Kahn, un millionnaire qui s’est construit seul et qui aimait mener la grande vie. La construction du manoir a commencé en 1917 sur le modèle d’un château français. Il a depuis été transformé en un hôtel de trente-quatre chambres désormais devenu un lieu de mariage prisé qui est également ouvert pour des visites guidées.
Il est facile de se représenter Gatsby vivant le rêve américain dans ce cadre grandiose, allongé dans une baignoire en marbre sur pieds, contemplant les jardins parfaitement entretenus aux dix bassins réfléchissant le décor, encadrés par des statues grecques, ou bien se faufilant par la porte dérobée dissimulée dans une étagère en bois dans la belle bibliothèque du domaine.
Son créateur, Francis Scott Fitzgerald, devait avoir la même vision, alors qu’il assistait à des fêtes furieusement extravagantes au château d’Oheka, où le monde et sa maîtresse, ainsi que l’acteur Charlie Chaplin et le cinéaste de légende Orson Welles, venaient boire des cocktails gin rickey avec des glaçons.
Les hédonistes ont quitté les lieux depuis longtemps. Cependant, leurs fantômes glamours hantent encore le New York contemporain, se tapissant dans l’ombre de ses clubs de jazz animés, de ses temples art déco, de ses hôtels luxueux et de ses demeures situées à Long Island. Il suffit de savoir où les trouver.
Cet article a initialement paru en langue anglaise dans le guide de voyage États-Unis, disponible avec le numéro de janvier/février 2025 du magazine National Geographic Traveller (Royaume-Uni).
