Stephen Petranek : "Aller sur Mars fera progresser l'humanité tout entière"
Pour l'auteur du livre qui a inspiré la série MARS, c'est une évidence : dans moins de 10 ans, l'Homme posera le pied sur la planète rouge.
Pour Stephen Petranek, le futur est ailleurs. Celui de l'espèce humaine, plus précisément, qu'il conçoit comme la première espèce multi-planétaire. Pour l'auteur du livre Comment nous vivrons sur Mars, sur lequel est basé la série docufiction MARS (Disponible sur Disney+), c'est une évidence : dans moins de 10 ans, l'Homme foulera la terre rouge martienne.
Nous avons rencontré ce journaliste et auteur passionné à Londres au moment de la sortie de la saison 2. La discussion qui suit devrait vous emmener loin, très loin, aux confins de notre système solaire.
Comment résumeriez-vous la saison 1 de Mars et les enjeux de la saison 2 ?
La première saison se concentrait sur la conquête de Mars, sur le fait de s'y rendre et d'établir une colonie permanente, et toutes les difficultés que cela induit. Dans la deuxième saison, de nombreuses personnes ont rejoint la première équipe de scientifiques. Des centaines de personnes vivent maintenant sur Mars. Dans la réalité, dans un intervalle de cinq ans, il est plus probable que des milliers de personnes auraient rejoint la colonie.
Parmi ces nouveaux arrivants, on trouve sans surprise les nouveaux chercheurs d'or. Ceci étant, l'analogie n'est pas exacte parce que si vous trouviez sur Mars l'équivalent d'un lingot d'or cela serait si coûteux de le renvoyer sur Terre que vous perdriez de l'argent. Dans cette seconde saison, nous avons décidé de nous concentrer sur l'eau. Les personnes nouvellement arrivées sont sur Mars pour découvrir de larges sources aqueuses.
Justement, des molécules organiques ont récemment été découvertes sur Mars et sur Encelade et les preuves de formes de vie au-delà de la Terre s'accumulent. D'un point de vue éthique, est-il bien raisonnable de vouloir poser le pied sur une autre planète quand on risque de compromettre son écosystème ?
Dans un monde parfait, non ça ne le serait pas. Mais il essentiel à notre survie de comprendre l'univers qui nous entoure. Et le seul moyen pour ce faire est de l'explorer. Nous prenons beaucoup de précautions pour nous assurer que les vaisseaux et sondes quittant la Terre sont stériles. Par conséquent si par exemple nous envoyons une sonde sur Europe et que nous creusons à travers la glace à la recherche de vastes étendues d'eau souterraines pouvant abriter la vie, nous ne serons pas nécessairement une menace si la sonde est bien stérile et cela pourrait étendre notre compréhension du cosmos.
Nous ne savons pas comment la vie s'est formée sur Terre. Vraiment, nous n'en savons rien. Et l'une des grandes questions auxquelles nous devons encore répondre est la suivante : la vie existe-elle ailleurs dans l'univers ? Si la réponse est non, cela rend la vie sur Terre encore plus précieuse que nous ne l'imaginons. Mais il semble impossible de croire que la vie n'est présente nulle part ailleurs parce que tous les éléments qui ont permis le développement de la vie sur Terre sont présents dans l'univers. On estime d'ailleurs qu'il pourrait y avoir des centaines de millions de planètes similaires à la Terre orbitant autour d'autres étoiles que notre Soleil. Nous nous devons d'explorer pour mieux comprendre les rouages de ce qui nous entoure. Si nous nous disons « Il pourrait y avoir des formes de vie, alors n'y allons pas », nous n'irons nulle part.
Pour autant, est-il nécessaire de coloniser une autre planète quand on pourrait « simplement » construire une station spatiale ?
C'est vrai, on pourrait construire une station spatiale. On peut construire des structures dans l'espace qui auraient la taille de villes. Mais le coût de telles constructions serait énorme. Et il faut pour cela avoir les matériaux nécessaires à la construction de ces stations spatiales. Vous ne pourriez pas trouver ces ressources sur Terre, où les ressources naturelles s'épuisent peu à peu. On trouve par exemple de moins en moins de cuivre sur Terre, idem pour le fer. Donc il paraît irréaliste aujourd'hui de construire des structures de vie dans l'espace. Cela coûterait beaucoup plus cher que la colonisation de Mars.
Vous savez, les gens s'inquiètent que nous fassions sur Mars ce que nous avons fait sur Terre, que nous avons pillée. Mais il n'y a rien à piller sur Mars, il n'y a pas d'écologie que nous pourrions perturber, il n'y a que d'immenses pierres au sol. Ceci étant, si l'on trouvait de la vie sur Mars, la question se poserait différemment et cela repousserait l'exploration et la colonisation de la planète. Mais si l'on part du fait qu'il n'y a pas de vie sur Mars à l'exception de quelques molécules, je pense que l'exploration est nécessaire pour assurer notre propre survie.
Que répondez-vous à ceux et celles qui pensent que l'argent investi dans la conquête spatiale serait mieux dépensé sur Terre pour trouver des solutions au changement climatique, sujet très présent dans cette seconde saison de MARS ?
Ma première réponse est la suivante : nous ne savons pas combien de temps il nous reste sur Terre. Nous ne savons pas si l'astéroïde qui nous est destiné s'écrasera sur notre planète demain, dans trois mois ou dans des milliers d'années. Par conséquent si nous avons la capacité et les moyens technologiques de préparer l'après, nous devons partir.
Ceci étant dit, je comprends l'argument selon lequel l'argent pourrait être mieux utilisé s'il l'était pour régler les problèmes de notre planète. Le souci c'est que nous ne saurions pas comment dépenser cet argent. Il y a 190 nations sur Terre et aucun accord universel sur ce sujet. Si je vous disais que l'établissement d'une colonie martienne coûterait 50 milliards de dollars, et qu'au lieu de coloniser Mars je vous donnais ces 50 milliards de dollars pour les distribuer sur Terre et régler les problèmes que nous avons, je ne pense pas que vous pourriez définir comment faire. Vous pourriez prendre des initiatives ici ou là mais je ne pense pas que 50 milliards suffiraient à régler la crise climatique que nous connaissons. Il faudrait au moins un trillion de dollars pour cela. Et nous ne sommes pas capables de nous unir face à ce défi en tant que civilisation. Si nous l'étions, je vous dirais « Très bien, je suis d'accord avec vous, prenez cet argent et sauvons d'abord notre planète ». Mais je ne pense pas que nous en soyons capables.
Dans votre livre et dans la série, plus que des enjeux technologiques, c'est du facteur humain que dépend la réussite de la mission…
Le facteur psychologique est toujours prépondérant, où que vous soyez. Si vous vivez dans un petit appartement miteux à Londres ou ailleurs, cela peut jouer sur votre psyché. Idem si vos proches vous manquent, si vous vous sentez isolé ou incompris. Dans l'espace, c'est amplifié. Je pense que la psychologie, la motivation et la passion des hommes et des femmes est un facteur clef de la transformation de notre civilisation. La technologie n'y est pour rien. Quand des Hommes iront sur Mars pour y accomplir cette mission, cela fera progresser l'humanité tout entière.
Conduire cette adaptation avec National Geographic sachant que tous les faits seraient revérifiés a-t-il compté pour vous ?
Oui. Je me sens très chanceux d'avoir vu cette adaptation confiée à National Geographic. La série aurait pu finir chez Netflix ou HBO, ou sur d'autres chaînes. Et je ne pense pas qu'une autre chaîne aurait eu autant à coeur de vérifier chaque fait et de rendre la série aussi réaliste. Je leur suis très reconnaissant.
Vous savez, cela a éliminé beaucoup d'hésitations pour moi. Je ne savais pas ce qui allait advenir de mon livre... Parfois votre oeuvre vous échappe, vous perdez le contrôle de son adaptation avec l'intervention de scénaristes, de producteurs, et vous arrivez à un résultat que vous ne reconnaissez même pas. Ce n'est pas vrai pour National Geographic. Ça a été un vrai plaisir de travailler avec eux et je peux dormir la nuit.
Plusieurs de nos abonnés sur Instagram nous ont envoyé des questions qu'ils souhaiteraient vous poser. L'exercice vous tente ?
Ah oui ! Avec plaisir.
Voici la première : « Iriez-vous sur Mars ? »
Demain.
Demain, vraiment ?
Oui. Sans aucune hésitation. Cela pourrait être la plus grande aventure de toute une vie. Vous verriez des choses que des milliards d'autres êtres humains ne verront jamais.
Autre question : « Pourquoi tant de fascination pour Mars ? »
Parce que c'est le seul endroit dans le système solaire où nous pourrions nous rendre. Vous ne pouvez pas aller sur Mercure ou Vénus, il y fait beaucoup trop chaud. Vous ne pouvez pas aller sur Jupiter, où il y a bien trop de radiations. Vous ne pouvez pas non plus aller sur Neptune ou Uranus, où il fait trop froid. Il y a bien les lunes de Saturne et de Jupiter mais elles sont bien plus difficiles à rejoindre. Mars est l'option la plus proche et la plus raisonnable.
Un autre membre de notre communauté nous demande si la Terre est la seule planète où la vie existe.
Non je ne pense pas. Je crois que d'un point de vue statistique il doit y avoir d'autres formes de vie, et même de vie intelligente dans l'univers. Il y a environ une centaine de millions de planètes semblables à la Terre dans l'univers, alors penser que la vie n'a pas pu se former ailleurs semble incongru. Ceci étant il me paraît étrange que nous n'ayons jamais reçu la visite d'une autre civilisation que la nôtre. Un élément de réponse à cela est que ces formes de civilisations se sont peut-être auto-détruites.
Pensez-vous que Mars soit l'unique chance de survie de l'espèce humaine ?
Ce n'est pas notre unique chance. Je pense que nous pourrions trouver une planète semblable à la Terre assez proche pour nous y rendre, dans l'intervalle d'une vie humaine. Mais Mars est la meilleure chance que nous ayons à l'heure actuelle.
Dernière question, à nouveau envoyée par un membre de notre communauté Instagram : « Pensez-vous qu'en un quart de siècle, l'humanité sera capable de marcher sur Mars ? »
D'ici 10 ans je pense. Nous sommes déjà capables de poser le pied sur Mars aujourd'hui. Nous avons juste besoin d'un peu plus d'argent, mais cela arrivera.
Cet entretien a été édité pour des questions de longueur et de clarté.