L'athlète paralympique Oksana Masters nous met au défi de repenser le possible
À trente-cinq ans, elle a participé à sept jeux paralympiques depuis 2012 – et gagné dix-neuf médailles en paracyclisme, aviron, ski et biathlon.

Oksana Masters photographiée par Joyce NG au Canmore Nordic Centre dans l'Alberta, au Canada.
Cet article fait partie de la série de portraits National Geographic 33.
Le casque aérodynamique bien ajusté étouffe les bruits du monde qui l'entoure. Mais Oksana Masters n'a aucun mal à entendre les enfants assis au bord de la route : « Whoa, regarde ça ! On dirait une fusée ! » Elle pédalait sur son vélo à main, repérant le parcours d'une course de paracyclisme sur route. Lorsqu'elle a entendu les enfants, elle a souri. Puis elle a pensé à ce qu'ils n'avaient pas dit : où sont ses jambes ?
Six orteils à chaque pied, six doigts à chaque main dont cinq collés, pas de pouce ni de tibia. Née avec ces difformités congénitales en 1989, trois ans après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, Oksana Masters a vécu en orphelinat jusqu’à l’âge de huit ans. Adoptée, elle part vivre aux États-Unis, où elle subit une amputation des deux jambes au-dessus du genou et une chirurgie reconstructive douloureuse. Ses mains ont été reconstruites, notamment pour transformer son cinquième doigt en pouce ; ses doigts sont encore partiellement palmés et des cicatrices chirurgicales parsèment sa peau. Elle se couvre le corps avec des manches longues et des pantalons, mais elle a toujours l'impression d'être une bête de foire. Les enfants sont cruels et les adultes à l'école lui disent qu'elle ne peut pas faire partie de l'équipe de danse. Elle a commencé à détester son reflet dans le miroir.
Lorsqu'elle a commencé à faire de l'aviron adapté, elle ne l'a fait que pour satisfaire sa mère. Elle ne voulait pas être étiquettée « para ». Pour elle, elle était déjà suffisamment différente. Sur l'eau, elle a ressenti un sentiment inattendu de sécurité, de puissance, se libérant des tourments du passé et du présent. Elle s'est rendu compte que c'était son « corps étrange » qui l'avait guidée jusque là.
Aujourd’hui, à trente-cinq ans, elle a participé à sept jeux paralympiques depuis 2012 – et gagné dix-neuf médailles en paracyclisme, aviron, ski et biathlon.

Oksana Masters photographiée au Canmore Nordic Centre.

Oksana Masters avec sa coach en ski nordique, Eileen Carey.
Elle est parvenue à accomplir tout cela en dépit de blessures débilitantes et d'une diminution de la force de ses mains. À chaque revers, elle a redoublé d'efforts. Elle s'est entraînée plus dur. Lorsqu'elle se présente enfin sur la ligne de départ, elle doute souvent d'elle-même mais fait confiance à ses entraîneurs, et lorsqu'elle gagne, elle leur demande ce qu'elle aurait pu faire de mieux. « Vous ne pouvez pas la convaincre de son talent », soupire son fiancé, Aaron Pike, sept fois paralympien en ski nordique et en athlétisme.
Oksana Masters est désormais l'un des visages du mouvement paralympique : elle a été choisie pour des publicités pour Delta et Toyota, et son image figure actuellement sur un bâtiment du campus de Nike. Les gens la reconnaissent, et bien qu'elle soit très sollicitée entre ses entraînements, ses obligations auprès des sponsors et ses apparitions dans les médias, elle s'efforce de répondre aux sollicitations du grand public. Surtout à celles des enfants. Surtout si elle entend leurs parents leur dire de ne pas la dévisager. Elle sait que ses prothèses peuvent avoir l'air effrayantes, alors elle leur raconte que les jambes avec lesquelles elle est née lui faisaient mal et l'empêchaient de marcher. Elle avait donc besoin de nouvelles jambes.
Tout d'un coup, ils commencent à demander : « Je peux les toucher ? », raconte Masters, qui enlève parfois les deux prothèses pour que les enfants puissent bien les voir. « Plus vous leur parlez, plus ils commencent à vous voir comme une personne normale. Et je fais cela pour que les parents sachent qu'il n'y a pas de mal à ce que leurs enfants posent des questions. Sinon, comment sont-ils censés apprendre ? »
Pour l'athlète, il s'agit avant tout de montrer ce qui est possible et de normaliser ce qui est différent. Bien qu'elle contribue à promouvoir l'égalité des sexes, c'est peut-être son travail en tant que cofondatrice et vice-présidente de l’association à but non lucratif Sisters in Sports qui la passionne le plus. Cette organisation à but non lucratif utilise l'athlétisme pour rapprocher les jeunes filles et les femmes handicapées par le biais de programmes de bien-être, de subventions et de mentorat. Certaines participantes sont novices en matière de sport ou nouvellement handicapées, tandis que d'autres tendent à faire partie d'une équipe paralympique.
En tant que mentor, Oksana Masters donne des conseils sur l'entraînement et les courses. Mais ce qu'elle aime le plus, c'est aller au fond des choses. Elle parle de ses insécurités et de ses journées difficiles. Elle raconte aux autres athlètes comment elle cachait ses mains et ses prothèses, comment elle se regardait dans le miroir et se disait des choses horribles, à quel point elle se sentait seule et avait honte. « Ils sont choqués d'apprendre que je n'ai pas toujours été aussi heureuse ou confiante », dit-elle. « C'est à ce moment-là qu'ils commencent à se rendre compte que j'étais dans la même situation qu'eux. Je comprends exactement le chemin qu'ils empruntent et j'essaie de les aider à changer la façon dont ils se perçoivent. »
Par le biais de Sisters in Sports, elle veut encourager le parcours unique de chacune dans le sport. Si l’une d’elles finissait par la battre, Oksana Masters serait la première à la féliciter. « Je veux que ces femmes reprennent la flamme et la brandissent après moi », dit-elle.
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic d'avril 2025. S'abonner au magazine.
