Yvon Chouinard, fondateur de Patagonia, a cédé son entreprise pour sauver la planète
Il a changé l'industrie du vêtement de sport et est devenu milliardaire. Puis il a fait quelque chose d'encore plus extraordinaire : céder sa lucrative entreprise. "Ce n'est pas une question d'ego. De toute façon, je serai mort dans quelques années".

Yvon Chouinard photographié par Jonas Fredwall Karlsson, dans la rivière Snake, dans le Wyoming, aux États-Unis.
Cet article fait partie de la série de portraits National Geographic 33.
Yvon Chouinard rit quand il tente de se rappeler le plus vieux vêtement en sa possession. « Presque tout ce que j’ai est vieux, remarque-t-il. J’utilise tout jusqu’au bout. » Le fondateur de Patagonia, 86 ans aujourd’hui, balaie du regard son bureau dans son ranch du Wyoming, puis montre les manches de sa chemise écossaise, usées jusqu’à la corde.
« Ma vie a été plutôt simple. Je ne suis pas un adepte de la consommation. » Cela peut sembler étonnant de la part du créateur d’une entreprise au chiffre d’affaires annuel de 1 milliard de dollars. Mais Yvon Chouinard a longtemps soutenu qu’il n’avait pas lancé Patagonia pour faire des bénéfices : « J’ai ce qu’il faut pour vivre, déclarait-il au New Yorker en 1977, et je n’en attends rien de plus. »
Près d’un demi-siècle plus tard, en septembre 2022, il stupéfiait le monde des affaires en annonçant qu’il cédait sa société, évaluée à 3 milliards de dollars, allouant 2 % des actions à un trust pour que les bénéfices servent à des actions sociales, et les 98 % restants à l’organisation Holdfast Collective, chargée de défendre des causes environnementales.
« La Terre, écrivait alors Yvon Chouinard sur le site Internet de la marque, est désormais notre seul actionnaire. » Sa décision a notamment été motivée par son entrée dans la liste des milliardaires établie par le magazine Forbes. Il ne s’était jamais considéré comme tel et s’en est trouvé blessé. Sans Patagonia, il pourrait vivre comme l’homme qu’il se sentait être : un cow-boy octogénaire portant de la flanelle usée dans un ranch avec 60 000 dollars
de revenus annuels, avec un Toyota Corolla de 1987.

Yvon Chouinard photographié par Jonas Fredwall Karlsson.
« Il serait aussi heureux de vivre sous un pont ou dans un van pour surfer Dieu sait où que d’être riche, confirme Kris Tompkins, première PDG de Patagonia, qui est aussi l’une de ses plus proches confidentes. C’est là tout son génie. »
Yvon Chouinard a toujours fait montre de cette modestie. « J’ai été un dirtbag climber (un « grimpeur vagabond »), un fondu de la grimpe, et je tiens ma philosophie de mon père, relate-t-il. J’étais complètement fauché, je mangeais de la nourriture pour chat, des écureuils. Je me glissais dans les jardins pour voler des fruits. » Pour celui qui a fait de l’escalade sur tous les continents, le sport est ce qui lui manque le plus aujourd’hui. « Je n’ai plus le sens de l’équilibre », soupire-t-il. Pour autant, sa connexion viscérale à la nature lui a permis de comprendre il y a longtemps les changements irréparables infligés par l’homme à la planète – ne serait-ce qu’en en écorchant la roche pour l’escalader. Pendant ses
soixante ans de carrière, il a fait en sorte de l’abîmer le moins possible. Mais, souligne-t-il, « Patagonia n’est pas pour autant une entreprise sans impact environnemental. Cela n’existe pas. Je considère notre philanthropie non pas comme une oeuvre de charité, mais comme le prix à payer pour faire du commerce, pour utiliser des ressources non renouvelables. »
L’homme n’est pourtant pas un optimiste. Pour lui, la crise climatique ne sera pas résolue tant que les gens ne trouveront pas une connexion spirituelle avec la nature – comme lui avec les sommets du Wyoming et les parois du Yosemite. Il estime que les entreprises cotées ne choisiront jamais la durabilité au détriment des gains de leurs actionnaires. Mais il
compense ces craintes par la foi en la capacité des individus à bien faire lorsqu’ils ont les bonnes ressources à disposition
– dans son cas, l’une des plus grandes marques d’équipement de plein air. Il est aussi plus actif dans le fonctionnement de Patagonia qu’il y a deux ans. Parce qu’il a besoin de
s’assurer que l’entreprise pourra perdurer afin d’avoir une chance d’honorer son audacieuse mission : « Sauver notre planète ».
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic d'avril 2025. S'abonner au magazine.
