"Être spectatrice de cette pandémie a été une révélation"
La photographe et exploratrice National Geographic Hannah Reyes Morales a utilisé son objectif pour explorer les thèmes de la résilience et de la tendresse face à l'adversité.
Une enfant emmaillotée dort à Oulan-Bator, en Mongolie.
Ces dernières années, j'ai travaillé sur « Chansons douces », mon projet photographique ayant pour vocation de montrer la façon dont les parents et tuteurs rassurent leurs enfants par le biais de chansons et d'histoires du soir.
Rupert Compston, le photographe avec lequel je travaille, et moi sommes allés à la frontière turco-syrienne. Pour les familles de réfugiés et de migrants vivant là-bas, les berceuses étaient un morceau de leur culture et de leur pays qu'elles pouvaient emporter avec elles, presque comme des sanctuaires portables. Nous sommes allés au Libéria, où nous avons parlé avec de jeunes mères qui avaient eu des enfants alors qu'elles n'étaient elles-mêmes que des adolescentes, et nous avons vu comme elles chantaient l'espoir dans leurs berceuses. Ensuite, nous nous sommes rendus en Mongolie, dans l'un des endroits les plus froids du monde. Pour chauffer leurs maisons, les familles nomades brûlaient du charbon, ce qui pollue bien sûr l'air. Nous avons rencontré une mère qui chantait des berceuses avec des paroles de guérison lorsque ses enfants peinaient à respirer.
Hannah Reyes Morales travaille pour National Geographic depuis 2017.
Après ces premières étapes, nous avions prévu tout un itinéraire pour conter le reste de l'histoire. Mais comme tout le monde nous avons dû faire face à une expérience inédite : la pandémie. J'ai pu voir à quoi ressemblait la création d'espaces sûrs en temps réel, les parents aidant leurs enfants à naviguer dans des environnements changeant sans cesse.
Aux États-Unis, j'ai rendu visite à des familles dont les enfants avaient une perte auditive. Les berceuses ne sont pas seulement une histoire de chants ; c'est aussi sentir le visage de votre mère près de vous, la sentir se balancer doucement. Une mère dont le fils a un implant cochléaire m'a dit qu'elle chantait pour lui tous les soirs parce qu'elle savait pas s'il pourrait toujours l'entendre le lendemain.
Nous considérons les berceuses comme des chansons réservées aux enfants, mais elles sont aussi destinées à celles et ceux qui prennent soin d'eux. Dans le contexte de la pandémie, nous avons voulu montrer comment le personnel soignant et d'autres travailleurs essentiels avaient encore recours aux rituels et berceuses au moment du coucher, de manière à créer une bulle pour eux et leurs enfants. Une professionnelle de santé m'a dit que c'était très différent de la vision qu'elle avait toujours eue de la protection. Avant, il s'agissait d'être physiquement présente - mais maintenant, pour protéger ses enfants, elle devait être physiquement loin d'eux, leur chantant des chansons et leur racontant des histoires uniquement par téléphone et via des appels vidéo.
C'était une telle révélation pour moi de voir cette pandémie immobiliser le monde et de la voir ensuite à l'échelle granulaire dans différents espaces de coucher. Je suis fière que nous ayons pu poursuivre un projet qui me tenait à cœur et de ne pas avoir laissé la pandémie le mettre à mal.
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic.