Révéler l'existence des peuples isolés pourrait bien les sauver
Une vidéo récemment rendue publique montrant des peuples isolés en Amazonie, au Brésil, a ouvert le débat sur l’attention que nous leur portons alors qu’ils ne la demandent pas.
Note de la rédaction : Le 16 novembre 2018, un Américain a été tué par des membres d’une tribu isolée vivant sur l’île de North Sentinel, dans l’océan Indien, alors qu’il n’était pas autorisé à s’y rendre. En 1956, le gouvernement indien a fait de l’île une réserve tribale et aucune tentative formelle de contact avec la tribu n’a été effectuée depuis 1988.
Ces dernières semaines, la décision du Brésil de diffuser des clips vidéo montrant des peuples indigènes isolés reflète un malaise grandissant parmi les organismes de défense des droits des autochtones. Ces dernières estiment qu’il ne reste plus beaucoup de temps pour protéger les dernières tribus isolées de l’Amazonie et leur territoire au sein de la forêt tropicale.
Depuis juillet dernier, le FUNAI, l’organisme des affaires indigènes brésilien, a publié deux vidéos. Celles-ci ont été filmées lors de deux expéditions menées pour suivre et protéger les peuples indigènes qui vivent dans des réserves coupées du monde extérieur.
Dans la première vidéo, on peut voir un homme robuste en train d’abattre un arbre au cœur de la forêt. C’est une équipe du FUNAI chargée de protéger cet homme qui a filmé la séquence. Ils n’étaient qu’à quelques mètres de distance l’un de l’autre. L’homme vit seul depuis 22 ans dans la réserve indigène de Tanaru qui couvre 77 km² et qui est située dans l’Ouest du Brésil dans l’État du Rondônia. La réserve avait été délimitée pour le protéger des bûcherons et des propriétaires de ranch qui sont soupçonnés d’avoir éliminé le reste de sa tribu au cours des sursauts de violence des années 1980 – 1990. Personne ne connaît ni le nom du survivant solitaire, ni le nom de la tribu à laquelle il appartenait.
Dix semaines plus tard, le 21 août, le Département des peuples indigènes isolés et récemment contactés du FUNAI a publié une seconde vidéo, prise à l’aide d’un drone. On y voit, au milieu de la jungle, plusieurs individus qui se déplacent dans une grande clairière où poussent des cultures. Un homme brandit un arc et plusieurs flèches en bambou. Le FUNAI a indiqué que cette vidéo avait été filmée l’année dernière au cours d’une mission dans la réserve indigène de la Vale do Javari, située dans l’extrême-ouest du Brésil, afin d’enquêter sur les accusations de massacre perpétré contre la tribu, appelée les Fleicheiros ou le Peuple de la Flèche par les étrangers.
Les deux vidéos ont été filmées à l’insu ou sans le consentement des sujets, ce qui a soulevé des questions relatives à leurs droits. Elles suscitent également l’inquiétude, puisqu’elles pourraient inciter des aventuriers à partir seuls à la recherche des tribus isolées.
Les représentants du FUNAI ont fait savoir qu’ils avaient pris la décision de diffuser les images après que les agents de terrain vétérans sont parvenus à un consensus destiné à sensibiliser le Brésil et le monde entier de l’existence des tribus isolées et de leur statut de plus en plus précaire.
« Plus le public en sait et plus le débat autour de ce problème est important, plus les chances seront grandes de protéger ces peuples et leurs terres », a indiqué par téléphone depuis le siège du FUNAI situé à Brasilia Bruno Pereira, le nouveau directeur du département des Indiens isolés. « Ces peuples pourraient disparaître avant même que le public ne connaisse leur existence à cause de la frontière agricole et des autres activités qui grignotent la forêt amazonienne, à l’instar de l’exploitation minière et forestière », a-t-il ajouté.
Bruno Pereira a conscience que l’on peut reprocher au FUNAI d’avoir utilisé une méthode aussi agressive que l’utilisation d’un drone pour observer le Peuple de la Flèche, mais il précise que l’appareil a été déployé l’année dernière pour vérifier si les rumeurs concernant un prétendu massacre étaient vraies, et non pour porter atteinte à la vie privée de la tribu. C’était la première fois qu’un drone filmait un peuple isolé et ces images ont constitué une occasion unique d’obtenir des informations sur les Flecheiros, ce qui pourrait finir par renforcer les efforts de protection à leur égard.
Selon les représentants du FUNAI, au cours des dernières années, l’organisme a fait face à un nombre grandissant d’attaques au Brésil de la part de puissants lobbyistes et de politiciens qui l’accusent de freiner le développement de l’Amazonie en mentant sur l’existence des tribus isolées. Sous le gouvernement du président Michel Temer, le FUNAI a connu d’importantes coupes budgétaires, compromettant la capacité de l’organisme à protéger les terres indigènes des étrangers avides qui cherchent à exploiter ces régions sauvages riches en ressources naturelles.
Les chefs indigènes brésiliens ont applaudi la décision du FUNAI, qu’ils considèrent être un pas en avant dans la protection des peuples isolés, encore très susceptibles de développer des maladies contagieuses et exposés à la violence des étrangers.
« Le fait même que ces tribus soient isolées les rend particulièrement vulnérables car elles sont invisibles pour le grand public », a expliqué Beto Marubo, membre d’un groupe grandissant de militants indigènes qui convoite un rôle de chef de file afin de parler au nom de ses frères et sœurs isolés.
Son peuple, les Marubo, fait partie des six tribus contactées qui vivent dans la réserve indigène de la Vale do Javari. Ces tribus partagent le territoire avec au moins 11 peuples isolés, notamment les Fleicheiros. « L’affaiblissement de l’unique institution gouvernementale responsable de leur protection augmente les dangers qui pèsent sur les peuples isolés. »
Les mystères qui entourent le survivant solitaire de l’État du Rondônia et les Flecheiros de la Vale do Javari abondent. Ils n’ont jamais eu de contact direct et pacifique avec le monde extérieur et, à l’instar du survivant solitaire, personne ne sait comment les Flecheiros s’appellent. La tribu a été baptisée ainsi en raison de la réputation de ses membres à être de très bons archers et pour la différencier des autres peuples isolés qui vivent dans la réserve de Javari et qui utilisent des massues comme armes plutôt que des flèches.
À plus de 800 km de Javari, dans la réserve de Tanaru, le survivant solitaire continue d’éviter tout contact direct avec les étrangers. Il fuit les membres du FUNAI qui suivent ses mouvements, lui offrent des graines et des outils et patrouillent le périmètre de la réserve pour empêcher les intrusions qui pourraient mettre sa survie en péril.
D’après Bruno Pereira, un certain niveau de confiance se serait établi entre l’homme et les membres de la FUNAI : à plusieurs reprises, il a signalé aux patrouilles la présence de pièges qu’il creuse pour attraper des animaux sauvages et pour se défendre contre les étrangers.
L’homme creuse également des trous profonds et étroits à l’intérieur des huttes au toit de feuilles de palmier qu’il se construit au fil de ses promenades seul dans la réserve. Les agents du FUNAI ont découvert des dizaines de ces habitations présentant le trou caractéristique en leur centre lors de leurs missions de surveillance. Ces trous laissent le FUNAI perplexe mais certains pensent qu’il pourrait s’agir de vestiges des pratiques spirituelles de sa tribu. Comme le nom de son peuple est inconnu, les agents du FUNAI ont fini par l’appeler « o índio do buraco », l’homme du trou.
« J’ai le sentiment que je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour réparer ce qui est arrivé à cet homme et à son peuple », écrit dans un email depuis une base avancée dans la jungle Altair Algayer, l’agent du FUNAI en charge de la protection de cet indigène depuis 13 ans.
L’agent espère que la diffusion récente de la vidéo montrant le survivant solitaire invitera les autorités brésiliennes à « assumer leurs responsabilités », tout en aidant à multiplier par deux le travail de l’organisme pour protéger le survivant solitaire et les autres peuples indigènes de l’Amazonie.
« L’intégrité de ces peuples est un sujet de préoccupation pour les Brésiliens, mais aussi pour l’humanité », a indiqué Felipe Milanez, professeur de sciences humaines à l’Université Fédérale de Bahia, qui a accompagné à deux reprises des agents du FUNAI lors de missions d’enquête sur le territoire du survivant solitaire. « Il ne devrait pas être perçu comme un reclus qui fuit la société. Cet homme a survécu à un génocide. Il n’a pas choisi de vivre seul. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.