Sri Lanka : l'attentat de Pâques souligne le besoin d'unité nationale
Robert Draper est un journaliste qui a couvert la guerre civile qui a ébranlé ce pays de l'Asie du Sud. Il se penche sur le cycle de vengeance constaté aujourd'hui et sur la nécessité de construire une identité nationale unifiée.
Les attentats-suicides perpétrés au Sri Lanka le 21 avril dernier, dimanche de Pâques, qui ont fait près de 300 morts et 500 blessés, semblent être l'œuvre d'un groupe extrémiste islamiste peu connu appelé National Thowheeth Jama'ath. Si cela était vérifié, la tragédie marquerait un nouveau chapitre d'une histoire longue de 70 ans, mêlant rancoeur religieuse et ethnique.
Les Sri Lankais espéraient ne plus en être là. Leur pays compte des temples somptueux et des plages épurées, des plantations de thé verdoyantes surplombées par des éléphants. Après presque trois décennies d'une guerre civile qui a pris fin en 2009, les chefs d'entreprise du pays se sont montrés désireux de projeter un visage ouvert à l'Occident. Certains d'entre eux étaient donc mécontents du ton sceptique de mon article paru dans le magazine National Geographic de novembre 2016, Le Sri Lanka peut-il préserver cette paix fragile ?
J'avais passé près de deux mois au Sri Lanka pour tenter de répondre à cette question. Cela m'avait demandé un effort considérable, car les plages somnolentes et la capitale animée de Colombo racontent une version de l'histoire du Sri Lanka quand la province du Nord de l’île en raconte une autre. Cette dernière est la patrie des hindous tamouls et la terre des Tigres de libération de l'Îlam tamoul, défait après 26 ans d'une lutte acharnée pour l'indépendance qui les opposait au gouvernement contrôlé par les bouddhistes cinghalais. Bien que les rebelles tamouls aient déposé les armes en mai 2009, le nord était toujours une zone d'occupation lors de ma première visite en décembre 2014. Les habitants vivaient dans la peur des forces armées. Partout où je me suis rendu, des soldats m'ont suivi et interrogé.
Quelques mois après la défaite électorale du régime autoritaire de Mahinda Rajapaksa en janvier 2015, je suis retourné au Sri Lanka, ayant reçu des nouvelles encourageantes selon lesquelles le nouveau gouvernement avait l'intention de forger une paix durable avec les Tamouls. Mais la réalité était autre. Les militaires occupaient toujours le nord. Le gouvernement ne souhaitait toujours pas répondre de ses crimes de guerre. Avant tout, le pays devait adopter une identité nationale.
Harsha de Silva, le vice-ministre des affaires étrangères, m'a dit : « Cela doit partir de l'assurance que ce pays nous appartient à tous. Et cela doit venir du haut et du bas dans la manière dont nous éduquons nos enfants : 'Ici, c'est un pays multiethnique et multi-religieux.' » Il a ajouté : « À un moment donné, nous devons être Sri Lankais et fiers de l'être. »
Le caractère insaisissable de cette indication temporelle, « à un moment donné », est le propre de la tragédie sri lankaise. Les dirigeants du pays n'ont jamais trouvé politiquement profitable d'encourager l'unité. Au lieu de cela, ils ont toujours joué en faveur de la majorité bouddhiste cinghalaise (environ 75 % des 21 millions d’habitants que compte le pays) aux dépens des hindous tamouls et des 2 millions de Sri Lankais musulmans.
En 1990, les Tamouls ont expulsé plus de 70 000 résidents musulmans du Nord, « un chapitre très noir de notre histoire », m'a confié M.M. Zuhair, ancien membre du parlement sri lankais et dirigeant musulman. Plus récemment, des militants bouddhistes se sont engagés dans des actes anti-musulmans et ce de 2014 à 2018. Cette hostilité envers les musulmans a été reflétée dans une remarque de Galagoda Atte Gnanasara, le chef du groupe extrémiste bouddhiste BBS : « Ils veulent détruire la diversité et créer un monopole religieux. »
Bien sûr, aucun acte de persécution ethnique ne justifie le terrorisme. Mais il est possible de condamner les kamikazes islamistes tout en reconnaissant que de tels actes découlent rarement du vide. Pendant la guerre civile, Rajapaksa a toujours qualifié les Tamouls de « terroristes ». Après les attentats du dimanche de Pâques, la famille de l'ancien président radical, qui a tenté un « coup d'Etat » sans succès il y a quelques mois, est maintenant considéré comme le principal bénéficiaire politique de l'attentat. Si le clan Rajapaksa reprenait le pouvoir, cela pourrait perpétuer le cycle de violence au Sri Lanka.
Une des bombes a explosé au Cinnamon Grand, un hôtel où j'ai séjourné pendant mes deux semaines à Colombo. Le vice-président marketing de la chaîne d'hôtels Cinnamon, Dileep Mudadeniya, avait joué un rôle déterminant dans l'obtention des autorisations nécessaires pour me rendre dans la province du Nord après que Rajapaksa avait interdit aux journalistes l'accès aux territoires tamouls.
Beaucoup ont considéré l'élection de 2015 comme une bonne nouvelle pour le Sri Lanka, un signe que la paix pouvait enfin s'installer de manière durable et que l'île était ouverte aux affaires. Mais pour que cela soit une réalité, il faudrait plus que du zèle entrepreneurial. Aucun pays n'a jamais réussi à sortir d'une époque de conflit ethnique ou racial prolongé sans faire un examen de conscience.
« Nous sommes de nouveau en fonction et déterminés à revenir plus forts », m'a écrit le vice-président de Cinnamon, que j'ai contacté pour lui présenter mes condoléances. La tragédie de Pâques offre au Sri Lanka une occasion supplémentaire de faire davantage que de se relancer économiquement, de proclamer sa revanche sur des années de guerre et de reprendre ses activités comme si de rien n'était. il y a là une chance de reconfigurer un pays fracturé depuis longtemps. C’est alors seulement que le Sri Lanka pourra se regarder dans un miroir et constater, pour la première fois, une nation qui lui rend son sourire.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.